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Suicides en lien avec le travail : mode, contagion, épidémie…
- Pourtant, parler de "contagion" ou "d'épidémie" à propos du suicide n'est, semble-t-il, qu'une "facilité" de langage. Il s'agit en effet de termes discutables sur le plan scientifique. Le suicide ne peut pas être réduit à un phénomène assimilable à une maladie dont la propagation serait assurée par un microbe ou un virus ou selon un quelconque autre mode inconnu de transmission. En revanche, le danger de multiplication des suicides est bien réel, tant que l'environnement socioprofessionnel dans lequel a vécu le suicidé reste inchangé.
Dans cette situation d'urgence et de gravité, il s'agit de procéder rapidement à l'étude et la mise en place des moyens permettant d'éviter un nouveau drame en agissant notamment sur les causes psychosociales dont l'organisation du travail fait partie.
Sur ce sujet, Émile Durkheim lui-même utilise avec beaucoup de précautions le terme d'« imitation » et prend le soin de le définir sur deux pleines pages du livre qu'il a consacré au suicide. Il insiste sur le fait qu'à son époque, cette propagation du suicide par "imitation" était surtout constatée parmi deux groupes sociaux fermés aux perspectives de vie très réduites ou fortement contingentées, à savoir les prisonniers d'une part et les militaires en situation de combat désespérée, d'autre part.
Un PDG [2] s'est récemment rendu célèbre en affirmant qu'il fallait mettre une fin à la "mode des suicides" dans le groupe qu'il dirige. Il s'est attiré la réprobation générale de l'opinion publique, l'indignation des salariés et il s'est lui-même ridiculisé le lendemain en ajoutant à des excuses devenues indispensables, qu'il avait confondu "mode" avec "mood [3]" en anglais. Il s'est ensuite illustré en parlant de "spirale infernale" sans même être conscient que l'enfer auquel son expression se réfère, c'est celui de l'entreprise qu'il préside. Un suicide, ou la tentative de suicide, constitue à la fois une situation d’urgence à gérer et un signal d’alerte sur un possible phénomène de malaise plus largement répandu.
Pour éviter une possible contagion, des mesures peuvent ou doivent être adoptées en urgence. Au-delà des incantations, il existe des moyens d'agir de manière responsable. La solidarité doit être organisée avec les proches de la victime et une prise en charge psychologique des collègues de la victime doit être mise en place avec, le plus souvent, une aide extérieure. Les personnes touchées par cet événement doivent pouvoir « évacuer » le traumatisme. Il convient de préciser qu'au-delà de la prise en charge psychologique, la prise en charge doit aussi, voire d'abord, être sociale, donc collective. Ce qui incite à insister sur toute action qui renforce la cohésion de groupe. Il est essentiel de permettre et organiser l'écoute des collègues et des proches et de rendre la prise de parole possible. Pour les personnes identifiées comme étant en danger, les orienter vers un thérapeute peut relever de la compétence du médecin, l'un des rôles des représentants du personnel et des syndicats étant d’obtenir que la prise en charge financière de ces soins soit effectuée au titre de l’accident de travail ou de service.
[1] Comprendre le mot "contexte" au sens large : il peut s'agir selon les cas de la même entreprise, soit du même lieu de travail, soit du même métier ou toute combinaison de ces éléments de contextes sociaux, psychologiques ou professionnels
[2] Didier Lombard sur RTL en septembre 2009. revenant sur son choix de vocabulaire malheureux, Didier Lombard a reconnu sur Europe 1, le 9 octobre avoir commis une "énorme bourde" en parlant quelques semaines auparavant de "mode des suicides", "le mot le plus catastrophique".
[3] Le mot anglais "mood" signifie d'abord "humeur" et dans les domaines grammatical et musical, il signifie "mode" (dictionnaire Robert & Collins)
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