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17 / 09 / 2009 | 114 vues
Alain Bourgeois / Membre
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Inscrit(e) le 09 / 09 / 2009

Remorquage portuaire, les enjeux

Avant l’arrivée d’un deuxième opérateur de remorquage dans le port du Havre, l'entreprise jouissait d’un monopole naturel ou de fait. Qu’est-ce qu’un monopole de fait ? Il s’agit en général d’activités dont les coûts d’investissement (coûts fixes) sont si élevés qu’il ne serait pas viable de les multiplier pour permettre l’introduction de la concurrence. Un exemple évident : le tunnel sous la Manche, en l’espèce le remorquage.

Pour des raisons économiques, le port a décidé de confier une mission de service public à cet opérateur, en plus de sa mission commerciale, à savoir la sécurité dans le port. Pratiquement en dehors de son service commercial, l’opérateur doit pouvoir justifier auprès du port qu’il arme en permanence 8 remorqueurs prêts à intervenir, dits en veille permanente, si un navire casse ses amarres, s'il prend feu...


De manière plus générale, l’opérateur devait démontrer qu’il avait en fait suffisamment de remorqueurs pour assurer:

  1. la fluidité du trafic portuaire,
  2. la sécurité des infrastructures portuaires,
  3. à titre annexe, la sécurité du littoral.

(Ces trois points ont d’ailleurs fait l’objet d’une recommandation adressée par l’OMI - Organisation Maritime Internationale - aux gouvernements.)


Pour des raisons économiques naturelles, un seul opérateur assurait donc un service commercial de remorquage pour tous les « usagers » du port. Le port s’affranchissait ainsi d’avoir ses propres remorqueurs en veille permanente pour assurer la sécurité du port, mais permettait néanmoins aux opérateurs de répercuter le surcoût de cette veille dans la tarification, encadré par une « commission de remorquage portuaire », ces tarifs étant soumis au préfet.


Contre toute attente et toute logique économique, le 1er janvier 2006, après 10 ans de bataille juridique et surtout à la faveur de la présomption d’un vote favorable sur la deuxième proposition de directive européenne sur la libéralisation des services portuaires, un deuxième opérateur s’installe au Havre.

  • Cette proposition prévoyait la libéralisation totale des services techniques portuaires – lamanage, pilotage, remorquage - et des services de manutention. Fait unique dans l’histoire de l’Europe, elle sera rejetée une seconde fois le 6 janvier 2006 par le Parlement.

Quels ont été les effets immédiats de l’arrivée de ce nouvel opérateur sur le trafic portuaire et sur les tarifs ?


Sur la fluidité du trafic

Le nouvel opérateur est arrivé avec 5 remorqueurs dont une coque dite de réserve. Si un remorqueur est indisponible, il peut toujours répondre à son obligation de 4 coques en veille permanente, et donc à ses obligations sécuritaires.

Pour l’activité commerciale, les choses sont tout à fait différentes. Le nouvel opérateur a passé des contrats avec ses propres clients et la notion d’usagers disparaît donc immédiatement.


L’inconvénient est supporté par le port : en effet ce changement fondamental s’accompagne d’une rupture de la fluidité du trafic et ce, alors que le nombre de remorqueurs dans le port est plus important. Explication : lorsque les remorqueurs du second opérateur sont tous occupés, l'un de ses clients peut se présenter et ne pas être servi, alors que des remorqueurs de l’opérateur historique sont à quai. Il devra donc attendre.

Sur les tarifs

Si le tarif officiel existe toujours, l’arrivée du deuxième opérateur a immédiatement créé une guerre commerciale et les tarifs ont donc enregistré une baisse quasi-immédiate de 25 à 30 %. Cela peut paraître énorme mais doit être relativisé. Les coûts fixes d’escale d’un porte-container au Havre se décompose ainsi : 50 % de frais de port, 25 % de remorquage et 25 % de pilotage lamanage. Ces coûts fixes représentent 30 % des coûts d’escale. Ce rabais ramené aux coûts fixes représente pour l’armateur une économie d’environ 8 % sur ces derniers. Ramené au coût global de l’escale, une économie de 1,5 à 2 %. Un armateur prendrait-il le risque de faire attendre un de ses navires en rade pour gagner 1,5 à 2 % sur son coût d’escale ?


L’arrivée de ce nouvel opérateur a donc immédiatement et naturellement brisé la fluidité du trafic portuaire et généré une baisse des tarifs, insignifiante au regard du coût global d’une escale.

  • Est-ce ce constat qui a aujourd’hui amené la Commission européenne à revoir sa position sur la libre concurrence portuaire ? En effet, cette dernière a infléchi sa position en janvier 2009 en laissant la possibilité aux États membres de déclarer ces services d’intérêt économique général. En clair, de les déclarer en tant que services publics.

Concurrence rime avec dumping social

Les enjeux sociaux

Si ce nouvel opérateur peut travailler en bafouant toutes les règles antérieures, pourquoi pas un autre opérateur ? Bien évidemment, pour s’implanter et prendre rapidement des parts de marchés (30 à 35 % du trafic) le nouvel opérateur ne disposait que de la masse salariale comme variable d’ajustement pour équilibrer ses comptes en proposer des tarifs 30 % plus bas que le tarif officiel. Pour y parvenir, il a employé tous les moyens à sa disposition : lobbying, recours systématique en justice, répression et divisions des salariés, politique très ciblée de recrutement etc.

L’opérateur historique se trouve confronté à un choix stratégique:

  • Lutter commercialement tout en préservant les emplois.
  • Se mettre au même niveau de conditions salariales que son attaquant.


En fait, aujourd’hui nous sommes en phase terminale du premier choix. À la crainte fondée des partenaires sociaux et de voir se profiler le début du 2ème choix. Avec des vagues de licenciement sec dans tout le secteur. Si ce nouvel opérateur peut travailler en bafouant toutes les règles antérieures, pourquoi pas un autre opérateur ?

Comment en est-on arrivé là ?

Un bon avocat

Tout est possible avec un bon avocat qui jette le trouble dans les textes, même les plus clairs, et qui, bien évidemment, pousse son client à jouer la stratégie du juridique jusqu’au-boutiste. Exemple avec ce nouvel opérateur : attaque des accords de branche en Conseil d’État, recours hiérarchique, attaque de la nomination du délégué syndical devant le tribunal d’instance, attaque de l’arrêté préfectoral, recours contre le Ministère en Cour d’Appel administrative etc. Pendant que la justice travaille, l’opérateur travaille en toute impunité.

Une administration déficiente

Devant un tel avocat, l’administration locale est désarmée. Et dans sa prudence légendaire, elle cède sur tous les points par peur de se voir confrontée à une procédure devant le tribunal administratif.

Un agrément qui met trop d’entités en jeu

Un opérateur de remorquage portuaire doit obtenir du port un « agrément ». Le remorquage entre dans le cadre de la « police du port ». Pour obtenir cet agrément, les autorités maritimes doivent délivrer une fiche d’effectif dans le cadre d’un contrôle a priori mais, et c’est là l’incohérence du système, sans nécessairement tenir compte des conditions imposées de veille permanente. Il est demandé aux affaires maritimes d’accorder les fiches d’effectif indifféremment selon que le remorqueur est utilisé pour le remorquage côtier (non soumis à agrément) ou pour le remorquage portuaire (soumis à agrément).

Malgré un avis défavorable transmis aux autorités maritimes, l’agrément a été renouvelé.

On pourrait dès lors penser que l’inspection du travail puisse intervenir dans le cadre d’un contrôle a posteriori. Mais à quoi bon, lorsque l’on sait que cette dernière peut difficilement transmettre un rapport sur une entreprise privée à un tiers. C’est une impasse. Néanmoins, dans ce dossier, cette dernière a été amenée à donner son avis (lors d’un renouvellement des fiches d’effectif du nouvel opérateur) dans le cadre du contrôle a priori en avril 2008. Malgré un avis défavorable transmis aux autorités maritimes, l’agrément a été renouvelé.

Et demain ?

Dans le pire des cas, l’histoire se répète comme à Hambourg dans la fin des années 1990. Le même scénario a conduit l’opérateur historique à s’aligner sur les conditions de travail de l’entrant. Aujourd’hui, les « anciens combattants » s’entendent, se louent mutuellement des remorqueurs et l’opérateur historiquement en place achète même des remorqueurs à son ancien ennemi, après s’être bien entendu mis d’accord pour remonter ensemble les tarifs. Il n’y a plus de guerre commerciale, un nouveau monopole « économique », s’est créé. Le profit du secteur redevient plus important pour les actionnaires, au détriment des salariés et des usagers. Hambourg affiche les tarifs de remorquage les plus hauts d’Europe du Nord.

Quel gain pour l’État ?

Il faut savoir que le remorquage portuaire, comme toute activité maritime en général, n’amène aucune rentrée d’impôts à l’État. Le montage est simple, l’opérateur de remorquage n’est pas propriétaire de ses remorqueurs. Des sociétés basées à Malte en sont les propriétaires (une société par navire), ces sociétés touchent les locations des sociétés opératrices (2 000 euros par jour et par navire en ce qui concerne le remorquage). Ces contrats de location sont renouvelables à tout moment et la location ajustée de manière à ne pas faire payer trop d’impôts à la société opératrice. Pour rapatrier l’argent maltais, rien ne vaut une bonne convention européenne fiscale entre les Pays-Bas et Malte, par exemple. Tout est parfaitement légitime.

Une note d’optimisme : un coût d’arrêt peut désormais être donné en adoptant la « récente » volonté des armateurs et des ports qui est de déclarer les services techniques portuaires comme étant des services publics soumis à un cahier des charges : à chaque renouvellement d’agrément, un appel d’offre européen est lancé.

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