Participatif
ACCÈS PUBLIC
20 / 01 / 2015 | 4 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
Articles : 84
Inscrit(e) le 23 / 10 / 2008

Magistral coup de torchon sur les CHSCT - acte II

On parle beaucoup de caricatures depuis l’assassinat monstrueux à Charlie Hebdo. L’humour comme résistance suprême, comme résistance ultime… Dans la même veine, chacun se réjouira car le dessinateur Gotlieb a décidé de relancer cette année Super Dupont, un héros bien de chez nous et typiquement français, créé en 1972 et que le reste du monde nous envie. Coïncidence ou effet de mode sans doute, Super Dupont est sans doute le modèle retenu par les négociateurs du MEDEF pour les prochains représentants du personnel.

Ces derniers seraient conduits à siéger dans les futures instances uniques : conseil d'entreprise appelé à reprendre les prérogatives à la fois des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du CHSCT. Ne nous y trompons pas. Super Dipont est une parodie de super-héros. Les élus au sein des instances de représentation du personnel ne sont encore que des humains ; cela alors que la réforme envisagée par le MEDEF leur demanderait un travail titanesque, un travail devenu « impossible » de super-héros au quotidien pour défendre les intérêts des salariés.

En effet, l'une des premières conséquences de l’accord proposé par le MEDEF pour « moderniser le dialogue social » est de supprimer environ 60 % des représentants du personnel qui œuvrent encore aujourd’hui à la prévention, c’est-à-dire au bien commun au sein des entreprises. La suppression des délégués du personnel et des 26 000 CHSCT qui structurent près de 100 000 membres préventeurs actifs non rémunérés pour leurs actions (menées en sus de leur travail et le plus souvent en prenant des risques) conduirait ces derniers à raccrocher leur tablier.

Le risque serait que les élus deviennent des apparatchiks sous influence et loin du terrain

Sans une relève importante des quotas, les élus qui demeureraient au sein des futurs conseils d’entreprise auraient donc à assumer une densification très importante de leurs actions de représentation et de prévention. La petite cohorte d’élus qui resterait, sans une nette augmentation des quotas de représentation, serait elle-même bien isolée… Au bout du compte, sans exagération aucune, on reviendrait au modèle « dominants/dominés ».

Le risque serait que les élus deviennent des apparatchiks sous influence et loin du terrain, ils auraient d’autres priorités que la prévention au quotidien.

Cela constituerait un recul des droits historiques propres à la France car dans tous les autres pays avancés, les salariés bénéficient d’une bonne représentation pour défendre leurs intérêts, leurs conditions de travail et leur santé… En Allemagne, qui semble inspirer les négociateurs syndicaux actuels, les salariés bénéficient quasiment à parité d’administrateurs au sein des comités d’administration des entreprises… En outre, les conseils d'entreprises dans ce pays rendent des avis qui ne sont pas simplement consultatifs mais qui peuvent être bloquants. Le MEDEF se plaint de rigidité mais il faut raison garder. 

Pierre Gattaz, qui sent que les circonstances ne lui ont jamais été aussi favorables, tente ce qui aurait été de l’ordre de l’impensable il y a encore quelques mois : la suppression pure et simple des CHSCT en sus de celle des délégués du personnel. Sur un plan, il a raison : pourquoi ne pas se servir si les responsables syndicaux lui lâchent toutes les revendications sans réelle contrepartie ? C’est un dialogue social par le vide. Il est plus aisé de se mettre d’accord avec soi-même que de partager avec les autres. Le monologue social comme ultime ersatz de la simplification. Cette saignée qui instaurerait la diagonale du vide en prévention n’est pas encore actée. Mais il y a urgence à obtenir toutes les garanties indispensables.

Le MEDEF a mis tout son poids dans la balance pour obtenir pendant la période de la trêve des confiseurs, la suppression des délégués du personnel et surtout des CHSCT, sans pour l’instant aboutir. Le débat commence à s’ouvrir. À la base, les élus et les membres des syndicats commencent à prendre conscience de l’énormité du recul des droits qui est exigé et qui se joue dans la ratification de ce texte. Des syndicats entiers et des fédérations se mobilisent pour dire à leur direction « ne signez pas en l’état ! ». Plusieurs pétitions ont vu le jour, dont celle en annexe et que j’invite chacun à signer et à faire partager « CHSCT en danger ! Peut-on faire l’économie d’un lieu de débat sur le travail au sein de l’entreprise ? ».

Si l’on veut comprendre les enjeux de cette négociation sans trop entrer dans les détails, il faut simplement lire Les Échos de ce lundi 19 janvier 2015.

  • L’éditorialiste écrit en page 9 : « Les syndicats, qui n’ont certes pas grand-chose à gagner dans cette négociation, ne doivent pas pinailler ou jouer la surenchère. Le MEDEF doit, lui, faire fi de l’opposition de la CGPME et des réticences de certaines de ses fédérations. Il s’agit d’être pragmatique : l’exécutif ne serait pas en capacité d’imposer une telle réforme à sa majorité parlementaire sans le paraphe des partenaires sociaux ».


En clair, selon l’éditorialiste, les syndicats doivent accepter de sacrifier une bonne part des droits obtenus historiquement et par la loi (lois Auroux et Aubry) et une bonne partie de leurs membres car c’est bien de cela qu’il s’agit. De même, le MEDEF doit cesser de pousser le bouchon trop loin car ce qui est déjà obtenu est énorme et jamais le Parlement ne concéderait de telles remises en question aux tenants de la déréglementation libérale. D’ailleurs, le Président de la République a confirmé dans ses vœux que ce « n’était pas à la démocratie politique de traiter des problèmes relevant de la démocratie sociale… » même si les droits obtenus l’ont été par le vote du Parlement mais c’était sans doute une autre période historique.

Le projet de fusion en l’état que présentent aujourd’hui les représentants du MEDEF risque d’accentuer gravement les déséquilibres au sein des entreprises. Les problèmes que rencontrent les salariés au quotidien ne seraient plus traités, faute de garanties suffisantes en l’état actuel du projet et de membres actifs, spécialisés et proches du terrain. Ainsi, les membres actuels des CHSCT sont à même d’entendre et capables d’agir pour régler les problèmes avant que des « égratignures » ne deviennent gangrène sociale.

Qu’une simplification soit indispensable comme le demande le Président de la République qui ne veut pas apparaître aux yeux de l’Histoire comme celui ayant été le fossoyeur des droits des salariés, à la limite pourquoi pas ? En revanche, que celle-ci ait lieu sans contrepartie réelle et prenne la forme d’une éradication des droits et des prérogatives des salariés c’est largement contestable, y compris même si on retient la logique libérale. Qui a intérêt à la montée des déséquilibres à l’intérieur des entreprises ? Ce n’est pas jouer les Cassandre que de dire qu’avec un tel retrait du nombre et des prérogatives des élus, les situations de travail délétères vont se développer au sein des entreprises. Présentéisme et absentéisme sont déjà légion ; demain, on assisterait à une forte progression de la violence et du sabotage si un tel accord sans réelles garanties était inscrit dans le marbre…

Que l’on dise la vérité aux signataires et aux salariés.

Première vérité

Aujourd’hui le ressenti des salariés en entreprise (l’un des plus pessimistes au monde) est bien connu. Sans la relève substantielle des quotas de représentants du personnel et des budgets de fonctionnement du conseil d’entreprise, la simplification radicale recherchée aboutirait à une forme de « monologue social » qui contribuerait à l’érosion interne du potentiel de création des salariés et à la montée des risques sur la santé par le développement de situations de travail délétères. Cessons avec cette forme d’angélisme où l’on rêve de relations professionnelles qui dans les faits n’existent pas.

Seconde vérité

Pour les TPE, l’accord propose la mise en place de commissions régionales interprofessionnelles de 20 membres élus de manière paritaire, qui pourraient être sollicités par les salariés des petites structures mais ne pourraient pas intervenir au sein des petites entreprises. Cette construction administrative au niveau régional ne cesse de soulever des questions. Comment une vingtaine de membres pourrait répondre sur la base des 13 régions élargies, aux besoins des salariés de milliers de petites entreprises sans pour autant pouvoir y pénétrer ? Même si demain le MEDEF (qui recherche la sanctuarisation des TPE et PME pour une partie de ses fédérations) accordait le droit aux membres syndicaux de cette commission d’entrer dans ces entreprises après « accord de l’employeur », on ressent bien que cette concession octroyée ne serait que de façade. Les petites structures ne tolèreront pas ce droit s’il n’est pas obligatoire. L’avancée microscopique proposée par le MEDEF n’est pas susceptible de combler les reculs générés par ailleurs. Cet habillage ne permettra pas de finalement présenter aux salariés un accord « gagnant-gagnant ». Les signataires putatifs le savent bien et redoutent la bronca des salariés que provoquerait un tel renoncement.

Troisième vérité

Tout au long des négociations, le MEDEF n’a eu de cesse de prétendre que la fusion se faisait à droit constant. Là encore, cette assertion péremptoire ne résiste pas à l’examen dans le détail des textes. Ainsi, la commission spécialisée (CHSCT), censée reprendre les prérogatives dévolues au CHSCT, ne serait obligatoire qu’à partir de 300 salariés. En-dessous de ce plancher, elle ne serait qu’optionnelle et instaurée à la suite d’un accord entre les parties. Rappelons qu’un CHSCT est de droit à partir de 50 salariés et que ce dernier dispose de la personnalité morale et juridique. La commission, elle, n’aurait pas la personnalité morale et n’aurait pas le droit ni d’ester en justice, ni de se faire assister par un expert. L’expert devant être le cas échéant retenu par la majorité des membres du CE. À quoi sert la commission ? Pourquoi une telle commission sans moyen d’agir ?

La commission (comme le conseil d’entreprise) ne pourrait se réunir que sur la base d’une majorité qualifiée de ses membres. Rappelons qu’actuellement le CHSCT peut se réunir en urgence à la demande d’au moins deux de ses membres. Qui plus est, dans le dernier texte du MEDEF, il est même prévu que les membres soient formés et que le coût de la formation soit à la charge du conseil d’entreprise.

Quatrième vérité

Les expertises pour risque grave en matière de santé vont disparaître. En cas de risque grave ou de projet important modifiant les conditions de travail, le CHSCT peut encore aujourd’hui à la majorité de ses membres se faire assister par un expert. Ce droit serait maintenu en façade seulement au sein du futur conseil d’entreprise. En effet, quand un risque grave survient au sein d’une entreprise, les membres du CHSCT peuvent nommer un expert pour faire cesser ce risque, pour en comprendre l’origine, pour simplement faire œuvre de prévention, par exemple en cas de maltraitance, de harcèlement, de violence ou encore de déviance managériale. En général, la direction conteste la demande du CHSCT devant le tribunal de grande instance. Cette contestation, souvent systématique, devrait se renforcer demain. En effet, aujourd’hui le CHSCT n’ayant pas de budget en propre, le coût de la procédure contentieuse devant le TGI générée par la direction est pris en charge par l’employeur. Demain, le coût de cette procédure contentieuse (qui varie de 7 à 12 000 euros) serait à la charge du conseil d’entreprise qui a un budget en propre. Inutile de préciser que le budget de fonctionnement restant pour l’instant à 0,2 %, les moyens feront défaut pour agir en prévention. L’enlisement judiciaire sera une arme redoutable pour les directions.

Cette approche vaut aussi pour les projets importants, même s’il est plus aisé de définir un projet important devant le juge.

À la lecture de ces quelques lignes qui pourraient être complétées par bien d’autres constats similaires, tant sur les modes de consultation totalement centralisés et sur les délais ou encore sur la quasi mise en concurrence des CE et des syndicats dans la négociation des accords, on constate que le texte projeté va générer un profond recul de la prévention des risques en entreprise et produire des déséquilibres préjudiciables à tous.

L’importance des sujets négociés devrait inciter à la sagesse, à prendre le temps d’un bon accord pour éviter les graves reculs en matière de prévention. C’est une évidence, n’en déplaise aux partisans de la fuite en avant et de la dérégulation sociale, la qualité de vie au travail repose sur le respect des uns et des autres dans une régulation équilibrée. Ne demandons pas aux élus du personnel de devenir des super-héros mais donnons-leur les moyens et les prérogatives pour faire honnêtement leur travail de représentation. Chacun gagnera à terme du respect des grands équilibres et de la dignité.

Afficher les commentaires

Il faut que les choses soient dites...c'est fait continuons ensemble l'action pour éviter qu'avec la complicité de certaines OS on en arrive à de tels abhérations Quand on pense à ce que la mise en place dans la fonction publique des CHS a pu apporter on est effaré de voir que certains puissent encore cautionner de telles propositions Signons massivement la pétition lancée