Organisations
Le premier anniversaire de la réforme ratée de la formation (2ème partie)
Si en 2004 la réforme de la formation était novatrice, prônée par tous les partenaires sociaux et devait préparer le pays à son entrée dans l’économie de la connaissance, la réforme de 2014 montre notre pays sous son pire jour social :
- une réforme où la formation n’est qu’un prétexte à marchandage social, des partenaires sociaux et un Parlement divisés sur un sujet pourtant consensuel des entreprises et des salariés oubliés.
Cette nouvelle règlementation de 2014 handicape le monde du travail du fait de ses incohérences, de ses insuffisances et du manque de compétences des pouvoirs publics qui ne maîtrisent plus les grands chantiers.
La réforme, une triple impasse
- Une impasse sociale
A. Au sein des entreprises, le compte personnel de formation et la forte baisse des cotisations obligatoires ont deux conséquences.
- La déresponsabilisation en cours du nombre d’employeurs sur le développement des compétences des salariés : « je paie 0,2 % et mes salariés se débrouillent avec leur compteur et la caisse des dépôts ou l’OPCA »).
- Le rationnement des formations : moins de cotisations obligatoires se traduit automatiquement par moins de formations, surtout pour le personnel le plus fragile et le moins inséré.
B. Dans les PME/TPE, la situation des apprentissages s’aggrave (justifiant le refus de la CGPME de signer l’accord formation du 14 décembre 2013) du fait d’une mutualisation démantelée (comme l’a dénoncé en novembre dernier la Cour des Comptes).
C. Pour les travailleurs précaires ou non qualifiés, le CPF est une promesse de formation irréaliste. Face à de timides et rares demandes de CPF, le salarié non qualifié (ne parlons pas du non-salarié) sera invariablement renvoyé vers les budgets (absents), les dossiers (forcément) incomplets ou l’absence de prestataires qualifiés.
D. Pour les pouvoirs publics qui perdent leur énergie et leur crédibilité en s’étant lancés sans réflexion, ni budget ni compétences dans un méga-système d’information qui les dépasse.
- Une impasse organisationnelle : le CPF, un compteur (conteur) totalement impensé
A. La comptabilisation des heures de DIF était logique dans une perspective de dialogue social avec l’employeur, les deux parties devant réfléchir à la manière et au moment de se former. Il s’agissait donc d’une co-responsabilité et d’un dialogue social qui disparaît de fait avec le CPF.
B. La comptabilisation des heures de CPF est devenue inutile pour les actifs : si le salarié reste dans son emploi, on ne comprend pas en quoi cette comptabilisation lourde, complexe et centralisée apporte le moindre bénéfice de formation. Le salarié a perdu son interlocuteur privilégié (et impliqué) au profit d’un pseudo-service (mal) informatisé qui ne fonctionnera jamais.
- Si le salarié perd son emploi et se retrouve au chômage, on ne comprend toujours pas pourquoi il faudrait limiter son éventuelle formation au solde de son compteur CPF.
La seule et modeste avancée du CPF existe si le salarié change d’employeur avec son compteur formation qu’il préserve d’un employeur à l’autre (mais si les formations sont devenues inaccessibles, on ne voit plus l’intérêt).
On voit donc que le modeste objectif d’une préservation des heures de DIF tout au long de la vie professionnelle s’est transformé en un monstrueux projet CPF qui fait désormais plonger les apprentissages professionnels en France.
Le CPF, la réunion d’une mauvaise idée (remplacer le DIF) et d’un inapte (inepte) système d’informations (le compteur national d’heures)
Deux illustrations de l’indigence du CPF en 2015
- Un demandeur d’emploi parisien disposant de 100 heures de DIF se verra proposer pour une formation bureautique, deux années complètes de formation dans le nord de la France (DEUST à Boulogne-sur-Mer ou Calais) ou encore un BP bureautique (toujours en deux années) à St-Denis-de-la-Réunion.
- Second cas, une hôtesse de caisse en activité (CODE APE des hypermarchés 4711F) qui souhaite utiliser ses 50 heures d’ex-DIF lance une recherche libre. Elle se voit proposer un total de 1914 formations (référence sans doute au parcours du combattant !) qu’elle réside à Paris ou en Corse (ou n’importe où ailleurs en France). Parmi les formations proposées à cette hôtesse de caisse (n’ayant sans doute pas le bac), le diplôme d’Etat d’Ergothérapeute en 3 années (3 200 heures de formation) ou encore le diplôme d’État d’infirmier anesthésiste (accessible uniquement aux titulaires d’un diplôme d’infirmier et ayant exercé au moins deux années).
Une impasse éducative
Dans un monde qui change sans cesse et très vite, alors que les entreprises du secteur concurrentiel vivent un mouvement permanent d’adaptation et de restructurations, on a voulu croire que la formation et les apprentissages pouvaient être circonscrits dans des répertoires et des listes.
Il s’agit d’une vision surannée de la formation, les entreprises ont besoin de travailleurs ayant un solide niveau d’éducation (au moins du niveau du bac avec la pratique courante de l’anglais et de l’informatique) mais elles ont aussi et surtout besoin de travailleurs motivés, fiables, capables de changer et de se lancer des défis. Pour ces travailleurs du XXIème siècle, les formations courtes sont les plus efficaces (et recherchées) alors que des formations de 500 ou 2 000 heures ne seront qu’exceptionnellement entreprises (la reprise d’études concerne moins de 1 % des travailleurs en France).
Encadrer, normer ou certifier la formation, c’est la tuer.
Les quelques rares cas d’escroqueries ou de malversations en formation (ce secteur n’a pas plus de raison d’être épargné que les autres) ont entraîné le législateur dans une impasse, celle de la quête effrénée de la « qualité » et de la certification (censée garantir la qualité et l’adéquation avec les besoins du travail).
La certification n’est pas le gage d’une formation de qualité, ni même d’une formation adaptée au travail. Partout en Europe, la formation des adultes est un marché ouvert et concurrentiel dans lequel l’État n’intervient pas (nos partenaires européens ont compris que le rôle de l’État n’est plus celui de faire le gendarme mais d’accompagner la société sans prétendre la diriger).
Sans confiance ni bienveillance, la formation va étouffer en France.
À vouloir tout contrôler, limiter et certifier, on aboutit très logiquement à tuer l’innovation, tuer la confiance (on ne peut pas former ni se former sans confiance en l’autre), tuer la concurrence (on favorise les rentes de situation) et tuer l’entrepreunariat (impossible de lancer un nouvel organisme de formation sans des centaines de milliers d’euros et des années d’effort dans un secteur devenu non viable).
La formation, c’est l’anticipation.
Le principe des listes et des certifications obligatoires est une aberration, un contre-sens dans la société de la connaissance et de l’information où les capacités d’apprendre par soi-même et de s’adapter au changement prévalent sur la norme, la règlementation et la catégorisation.
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