Organisations
La réforme des IRP : de la concertation à l’injonction
Après les services de santé au travail, les institutions représentatives du personnel sont sous les feux des réformateurs
Quels sont les reproches formulés et en quoi les IRP seraient un frein à l’économie ?
- Il existerait un effet un seuil induit par les obligations réglementaires de constituer des instances représentatives.
Les entreprises de plus de 10 salariés doivent se doter de délégués du personnel.
Les entreprises de plus de 49 salariés doivent se doter en plus d’un comité d’entreprise et d’un comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT) depuis 1982, date de publication des lois Auroux.
C’est également le seuil de l’existence des délégués syndicaux.
Que les entreprises aient si peur de l’introduction d’instances représentatives montre à quel point le dialogue social n'est pas dans la culture française.
La comparaison avec nos voisins du nord de l’Europe cherche à mettre en évidence le rôle de l’effet de seuil dans le manque de croissance de l’effectif salarié en France. Cependant, cette comparaison oublie l’évidente culture du dialogue social dans ces pays.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que le projet de réforme du dialogue social, en mettant en péril l’obligation du dialogue social dans les entreprises du fait de la mise en place des IRP, occulte complétement ce hiatus culturel.
Les employeurs craignent le contre-pouvoir et la mise en cause de leur pouvoir de direction, ce qui n’est en rien l’objet des IRP.
- Les IRP coûtent cher et font perdre du temps.
Effectivement, la mise en place des institutions DP et CHSCT induit des heures travaillées « perdues » :
- formation des DP/CHSCT,
- heures de délégation,
- temps passé en réunions des IRP,
- temps passé en réunions des représentants des employeurs.
Cette protection est justement destinée à faciliter le dialogue social puisqu’elle permet de libérer la parole des élus et des autres salariés dont ils sont le mode d’expression, sans risquer de sanction.
- Les IRP sont protégées.
Mais cette protection empêche de licencier et permet dans notre culture de non-dialogue social de contrarier la parole de la direction.
Plus il y a d’institutions, plus il y a de salariés protégés.
Les IRP, notamment les DP qui ont aussi une fonction de prévention de la santé et de la sécurité des travailleurs (SST) et les CHSCT, sont associés à l’employeur concernant la prévention (DU, enquêtes AT, mise en place des mesures de prévention).
- Tout cela coûte cher mais…
Ils ont aussi une autonomie en matière d’investigation des conditions de travail et complètent nécessairement les évaluations faites par l’employeur ou ses représentants.
- La prévention au sens large rapporte avec un retour sur investissement considérable : 1 € investi en prévention SST rapporte 2,20 €.
- La prévention des RPS permet des retours sur investissements impossibles à imaginer pour l’appareil de production. Selon une étude européenne, 1 € investi dans la prévention des RPS rapporte 13 € (synthèse de l'EU-Osha).
Au fond, s’attache-t-on réellement à parler évaluation et optimisation des coûts quand on considère ces rendements qui dépassent les rêves les plus fous de rentabilité des entreprises ?
Ou bien est-on toujours dans l’archaïsme du refus du dialogue social avec aucun intermédiaire entre le pouvoir de direction et le devoir de subordination ?
- La mise en place d’un organisme unique, le conseil d’entreprise, incluant DP/CE/CHSCT, remet en cause le droit d’alerte autonome et indépendant des DP et CHSCT et son sens contraignant à l’action en ne conservant qu’un seul droit d’alerte. Ceci va dans le sens de la réticence extrême des employeurs à l’existence d’un contre-pouvoir en matière de SST.
Les employeurs auront un garde-fou en moins, un système de veille en moins et se retrouveront seuls face à leur obligation de sécurité et de résultat, leurs risques civils et pénaux. Les salariés, eux, auront « une protection collective » en moins.
L’expertise coûte cher mais elle peut aussi, du seul fait de la non-prise en charge des effets sur la SST de modifications profondes des conditions de travail ou même des effets sur la charge de travail d’un plan social, faire capoter la stratégie d’entreprise.
- Contrairement à ce qui est annoncé, il n’y a pas inflation d’expertises CHSCT. Il n’y aurait que 300 à 400 expertises chaque année, ce, qui rapporté au 24 000 CHSCT, relativise l’ampleur du phénomène.
- L’expertise est faite pour éclairer les IRP mais ausi l’employeur, bien entendu, et lui éviter de prendre des décisions aux effets irréversibles.
- Certaines expertises sont demandées dans une situation conflictuelle dans laquelle, justement ce fameux dialogue social, main dans la main, n’existe pas ou plus…
Dans le projet, il n’y aurait qu’une demande d’expertise issue du conseil d’entreprise, l’employeur prendrait part au vote et le coût pourrait être subi par le CE réduisant automatiquement les possibilités financières de recours à l’expertise.
L’expertise coûte cher mais les risques psycho-sociaux sont de plus en plus prégnants dans les demandes d’expertise.
- Comment évaluer la charge de travail des salariés « rescapés » d’un plan social ?
- Comment accompagner les salariés et l’entreprise dans la prévention des RPS dans un moment particulièrement difficile ?
- Comment évaluer les RPS, leurs effets, leurs déterminants et leur prévention ?
- Comment évaluer les conséquences d’un changement drastique d’orientation ?
L’expertise coûte cher mais si l’on considère deux affaires emblématiques (Orange et Renault), quelles ont été les conséquences humaines, financières et économiques de ces drames ?
Prendre le temps d’évaluer, d’expertiser et de corriger n’est-il pas l’un des fondamentaux de la prévention primaire ? N’est-ce pas l’ambition de prochains PST ?
Le conseil d’entreprise
Cette instance unique regrouperait les DP, le CE et le CHSCT avec perte de représentants physiques et une diminution certaine des heures de délégation.
S’il y a plusieurs établissements, des conseils d’établissement et un conseil central d’entreprise seraient créés.
Le CHSCT, chargé de protéger la santé et la sécurité des salariés, n’aurait plus d’autonomie propre. Ce serait une commission du CE qui « assisterait » le conseil d’entreprise.
- Cette commission ne serait pas obligatoire pour les entreprises de moins de 300 salariés.
- Elle serait obligatoire au-delà de 300 salariés, sauf accord d’entreprise contraire, lit-on ?
- Ce qui revient potentiellement à supprimer les CHSCT et la commission s’y substituant si l'on considère le peu d’appétence des entreprises pour le dialogue social institutionnel.
La prévention primaire en SST, pilier du PST 3, sacrifiée au nom d’un alibi et au nom d’une carence
Au nom de la libéralisation de l’économie créatrice d’emploi, il est manifeste que le gouvernement est prêt à sacrifier une institution de 30 ans pas encore arrivée à complète maturité. Le dialogue social n’est qu’une gravure, il est toujours à la peine dans l’entreprise, du fait d’un archaïsme comportemental, culturel loin, très loin de la France des Lumières et de l’esprit de 1981.
La santé au travail n’est pas une variable d’ajustement ; elle est coûteuse pour les salariés et pour l’entreprise.
Cette régression pèsera lourdement sur l’économie des entreprises, compte tenu du gisement encore considérable de profits potentiels pour les entreprises du fait du retour sur investissement d’un facteur 2 pour la prévention SST et 13 pour les RPS. De quoi faire rêver tout investisseur digne de ce nom...
Notre économie n’a pas besoin de cette réforme au service d’un dogme issu du temps des forges du XIXème siècle : autorité et paternalisme.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia
- Relations sociales
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