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La médiation sous tutelle judiciaire en échec
L’échec entretenu de la médiation judiciaire
Le rapport présenté à la ministre de la Justice pour promouvoir la résolution amiable des différends apparaît frappé d’un lourd paradoxe. L’échec des expérimentations et celui de la sectorisation de la médiation familiale sont flagrants : les auteurs du rapport demandé par la ministre ne les cachent pas. Les chiffres témoignent de la catastrophe de la politique en cours.
Néanmoins, les auteurs recommandent de continuer à frapper sur un clou fragile, tordu dans tous les sens : ils recommandent la médiation juridique. Ils racontent sans logique ni référentiel que ce qu’ils préconisent doit être maintenu. Ils affirment qu’il faut continuer, en renforçant les mêmes dispositifs, augmentant un peu les moyens et mélangeant tout ce qui peut se ressembler, même de loin, le tout sous la tutelle de magistrats déjà débordés.
Ce travail mérite donc d’être analysé afin de comprendre pourquoi les représentants de l’administration poussent les politiques sur les chemins de cette conception de la médiation.
L’incompréhension du panorama de la médiation, de ses enjeux et caractéristiques
Des arguments sont lancés d’autorité :
- « Les missions de conciliation et de médiation ne peuvent se distinguer par la technique mise en œuvre » ;
- « Les auditions réalisées ont montré que le processus amiable, de médiation ou de conciliation, s’adapte aux besoins et aux situations. », p. 15.
Des résultats catastrophiques pour la médiation sous tutelle
Ils font le constat que « …depuis vingt ans, les dispositions de la loi de 1995 n'ont pas rencontré le succès escompté dans les juridictions et la médiation judiciaire s'est très peu développée » (p. 16) mais ils n’en recommandent pas moins de poursuivre à précipiter l’organisation judiciaire dans ce gouffre de dépenses et d’incompétences.Les meilleurs résultats sont inférieurs à 20 %. Les pires témoignent de l’incompétence des médiateurs pour préconiser la médiation. Exemple, à Versailles en 2014, sur 132 orientations vers la médiation par les juges, seulement 21 médiations ont finalement été ordonnées. Aucun résultat précis n’a été communiqué. À Paris, la barre est en dessous de 5 %. À ce stade, on peut comprendre que les juges les plus soucieux du service public se montrent réticents à promouvoir les « modes alternatifs de règlement des différends ». Ils sont légitimes à s’interroger quant à la pertinence de cette nouvelle mesure si fortement recommandée par les instances gestionnaires (pp. 18-19).
« Au TGI d'Arras, le bilan du premier semestre 2014 a établi que les dossiers orientés vers la médiation représentent moins de 10 % des saisines du JAF. Les deux parties se rendent ensemble à l'entretien d'information dans 60 % des dossiers concernés et la médiation est acceptée dans 30 % des cas. Parmi les dossiers envoyés en médiation, le taux d'aboutissement à un accord total ou partiel est de l'ordre de 15 % », soit une rentabilité de 2 % (p. 20).
La médiation obligatoire, incomprise par les auteurs du rapport
À ce compte, on peut comprendre que les auteurs du rapport ne soient pas favorables à la médiation obligatoire. De toute évidence, ils la rejettent si fortement qu'ils ont préféré ne pas nous entendre.
Les auteurs du rapport observent que « si la médiation était rendue obligatoire dans toutes les affaires relatives aux demandes après divorce, la durée totale de traitement du contentieux familial augmenterait en moyenne de 1,5 mois pour s'établir à 11,7 mois ». Sans avoir de chiffres fiables, à leur propre constat. Ils trouvent cependant à mentionner que « le coût du traitement des contentieux civils est estimé à 993 € devant les CA et 669 € devant les TGI. Ce montant moyen est calculé sur la base des dépenses de personnel, de fonctionnement et d’intervention. Il s’agit ainsi du coût moyen de traitement d’une affaire civile pour le ministère de la Justice et non pour les parties elles-mêmes. Or, s’agissant de la médiation, seul a pu être estimé le coût pour les parties qui s’élève en moyenne à, hors médiation familiale, entre 1 500 et 2 000 €. » Et de renforcer leurs dires par la citation de chiffres dont le sérieux est contesté depuis longtemps et émanant d’une étude invérifiable publiée par un cabinet juridique italien.
La pacification des relations dans un univers professionnel d’adversité
Le constat est fait que le domaine de la médiation est investi par de nombreuses professions. Le rapport fait remarquer que les huissiers ont rapidement développé sur internet un site visant à faire de la « médiation en ligne » (p. 23) ; le barreau de Paris s’est lui aussi appliqué dans la captation de cette nouvelle source en créant une école de formation spécialisée dans la médiation juridique.
Malgré ce constat de multiples dérives, les auteurs enfoncent le clou. « L'une des raisons pour lesquelles les parties préfèrent un procès plutôt qu’un règlement amiable de leur conflit tient à l’absence de garantie de la qualité et de la compétence des tiers qui interviennent dans leur litige. L’absence de contrôle possible des garanties offertes par ces tiers n’incite pas les juges à y recourir » (p. 29).
Pas une ligne sur le non-respect du devoir de conseil des avocats concernant le recours aux dispositifs amiables prévus par les textes, pas une non plus concernant la dynamique conflictuelle qui pousse les parties à l’affrontement, parce qu’il n’existe pas de cours dans la formation initiale sur les comportements en cas d’adversité, pas d’analyse sur le système qui ne dit rien sur la promotion de l’altérité. Les auteurs s’enferment dans une discussion qui leur est propre, même s’ils ont reçu et rencontré beaucoup de gens, ils n’ont finalement retenu que ce qui va dans leur sens. Sans curieusement parvenir à être convaincants.
Une justice au rabais
Le vivier des retraités du corps administratif est visé pour remplir cette mission affublée d'un titre générique « les médiateurs de justice ».
Les auteurs préconisent que les conciliateurs de justice, bénévoles défrayés, exercent en tant que médiateurs de justice, avec une formation commune, juridique. Les juges de proximité seraient également appelés à rejoindre ce corps expéditionnaire pour une justice de retraités (p. 31). Ils recommandent de lancer une campagne de recrutement, le bénévolat étant la clef de voûte du dispositif imaginé, on sait déjà vers qui cette campagne va être tournée.
En dépit de ses mauvais résultats vus plus haut, le diplôme d’État de médiation familiale est défendu par les auteurs qui n’ont pas intégré les critiques de fond (invraisemblance de la sectorisation de la médiation, cf conflit familiaux mêlés à la vie professionnelle ou économique, mise sous tutelle culturelle de la médiation, attribution d’un rôle relevant du juge concernant les enfants), en ne citant que quelques critiques non sourcées venant d’avocats qui passent pour des jaloux.
Comme s’ils avaient une idée très efficace, les auteurs préconisent des sanctions pour qui se revendiquerait médiateur familial sans le diplôme d’État. À savoir que Christian Jacob avait retenu les arguments de la CPMN lorsqu’il avait été question en 2004 de cette exclusivité pour les titulaire du DEMF et avait considéré que le CAP’M, diplôme privé des médiateurs professionnels (EPMN), était concurrent légitime sur le terrain de la médiation généraliste et donc familiale.
Les auteurs vont cependant plus loin, reprenant une rengaine chère au prêtre Jean-François Six : créer un ordre des médiateurs. Les auteurs y vont d’un chapitre sur la réglementation pour l’usage du « titre de médiateur » (p. 33), en tout cas pour ceux « qui interviennent en matière judiciaire » (p. 34). On se demande quels intérêts sont en train d’être servis. En tout cas, pas celui des citoyens parce que la compétence en médiation est aussi claire que celle de tout professionnel. Les protagonistes d’un différend ont confiance quand on leur présente un tiers dont la spécialité est affichée.
Le manque de consultation des professionnels
Pour ne pas avoir été consultée dans son instance nationale, le seul syndicat de médiateurs professionnels, la CPMN, est citée de manière implicite mais quand même : « l’apparition de fédérations et chambres professionnelles pour tenter d’harmoniser les pratiques montre l’existence d’un réel besoin d’organisation en ce domaine » (p. 33). On notera pourtant qu’il n’existe qu’une seule « chambre professionnelle », le pluriel est donc flatteur.
Les auteurs se trompent sur ce qui motive les professionnels à se regrouper : pour la CPMN il s’agit d’afficher ce qui est différenciant, la maîtrise de leur discipline, pas d’harmoniser les pratiques des autres. Ludovic Leplat, délégué de la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation pour le Nord, a fait partie des personnalités entendues, le seul pour la CPMN que les auteurs du rapport ont donc continué d’ignorer en privilégiant les interviews des médiateurs juridiques, confessionnels, moralistes et de l’école de psychologie.
Les auteurs s’enferment dans une représentation de la médiation, une médiation en dehors de la recherche du libre arbitre qui est l’esprit même qui doit distinguer la médiation de la décision imposée. Ils indiquent que les organismes de formation « devront bénéficier d’un agrément ministériel pour pouvoir délivrer le diplôme » (p. 34) comme si cet agrément allait changer quelque chose, sachant que c’est déjà le cas pour les organismes de formation à la médiation familiale dont les résultats sont largement mis en cause.
Composer avec l’illégalité administrative ?
On ne se lasse pas non plus d’être surpris en lisant une recommandation des auteurs de devoir composer avec l’illégalité des administrations.
On peut lire en effet que certains fonctionnaires ont des pratiques illégales. Pourtant, les auteurs de ce rapport ne recommandent pas des moyens pour les faire cesser. Ils font le constat de ce que certaines personnes dans l’administration demandent par exemple des documents sur l’exercice de l’autorité parentale, ce qu’ils ne sont pas habilités à faire. Pourtant, ils envisagent de confier aux médiateurs la possibilité de signer les documents demandés par lesdites administrations (p. 36). Autrement dit d’entériner les pratiques illégales dès lors qu’elles sont le fait d’un fonctionnaire trop zélé.
À croire l’accumulation des mesures et des facilitations, le système de bénévolat et l’ouverture à la profession de médiateur à des retraités, anciens de l’administration en tête, pourraient bien fournir une explication plausible du choix de cette forme de médiation dont l’efficacité n’a pas du tout été démontrée tout au long de ce rapport, comme des précédents.
Comment rendre conflictualisable une libre décision ?
Sans se soucier de la finalité de la médiation qui doit précisément consister à déjuridiciser et déjudiciariser les différends, les auteurs entretiennent la judiciarisation de la médiation, en prévoyant l’homologation qui peut être contentieuse, à l’initiative de la partie la plus diligente (p. 37), donnant ainsi la possibilité à quelqu’un de mauvaise foi (dans un contexte conflictuel ça existe) de courir plus vite au recours judiciaire. Étonnante idée ouvrant la voie à une autre forme de conflit...
Les auteurs recommandent enfin une mesure qui est des plus répandues aujourd’hui et qui justement n’est pas appliquée : étendre la possibilité du juge d’enjoindre les parties à se rendre à un entretien d’information sur la conciliation et la médiation.
Dans la suite des idées déjà répétées : création d’un conseil national de la conciliation et de la médiation. Ou encore sur le principe du tableau de la CPMN : la création de liste de médiateurs judiciaires sur le modèle de la liste des experts, combiné à la traditionnelle cérémonie de la prestation de serment.
Conclusion
Peut-il y avoir une « médiation judiciaire » ? Il conviendrait de laisser libre ce qui doit être libre et d'en renforcer les moyens de recours indépendants.
Le rapport établi par l’inspection générale des services judiciaires, met en évidence que les dispositifs de médiation préconisés par l’État en matière civile, sociale et commerciale (voire par anticipation pour les prud’hommes) sont des catastrophes dans lesquelles les hauts fonctionnaires recommandent pourtant de persister.
Les auteurs n’ont visiblement pas été informés qu’il existe deux types de médiation : une médiation pour se conformer et une médiation pour aider à décider, soit une médiation pour obéir et une médiation pour réfléchir. On aura compris que la médiation prônée par ce rapport n’est pas la « médiation professionnelle ». C’est une forme de médiation de même type que la conciliation. Il existe donc une logique d’esprit à vouloir mélanger les deux. Mais le résultat serait de priver les citoyens de l’innovation qui existe en médiation. La crédibilité du système est en cause. La médiation dont ils parlent n’apporte rien. Les auteurs sont passés à côté d’une information pourtant facile d’accès. Il suffit de chercher « formation à la médiation » sur internet et on trouve l’information des trois organisations de la médiation professionnelle.
Les trois organisations de la médiation professionnelle recommandent de confier à la société civile le soin d’exercer la médiation, plutôt que de mettre la médiation sous la tutelle du droit auquel elle est légitime à échapper. Elles soutiennent l’idée du « droit à la médiation », reliée à la déclaration universelle des Droits de l’Homme dont l’article 1er proclame que « tous les êtres humains naissent libres… », ce qui implique que les États ont le devoir de permettre l’exercice de cette liberté, de la promouvoir et de la garantir.
Le droit à la médiation nécessite un contexte permettant l’exercice de la liberté d’expression, garantissant l’égalité des droits et du libre-arbitre (liberté de décision) et consiste en une nouvelle forme de relation favorable à l’anticipation des différends et performante pour encourager leur résolution.
Recommandations de lecture pour les auteurs de rapport sur la médiation :
- deux livres indispensables :
- Code de la médiation et du médiateur professionnel, dirigé par Agnès Tavel, avocate, préfacé par Bruno Steinmann, premier président de Cour d’appel, Médiateurs Éditeurs, 2° édition ;
- Pratique de la médiation professionnelle, un mode alternatif à la gestion des conflits, Jean-Louis Lascoux, ESF, 7ème édition, 2015.
- deux sites internet incontournables :
- Officiel de la médiation, site d’information, de promotion de la médiation professionnelle et du droit à la médiation ;
- WikiMediation, site co-financé par la Commission européenne pour la promotion de la médiation.
- le rapport d’avril 2015 sur le développement des modes amiables de règlement des conflits.
Ce texte est signé par les organisations de la médiation professionnelle :
- Jean-Louis Lascoux, président de l’École professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN) ;
- Henri Sendros-Mila, président de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation (CPMN) ;
- Fabien Eon, président de ViaMediation, réseau de confiance de la médiation professionnelle.