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La CJUE admet qu’une législation nationale peut imposer une obligation de déclaration de travailleurs détachés pour lutter contre le dumping social
En fait, c'est « du bout des lèvres » que la CJUE admet qu’une législation nationale peut imposer une obligation de déclaration de travailleurs détachés pour lutter contre le dumping social.
Dans un arrêt du 3 décembre 2014, la CJUE se prononce sur une affaire qui met en cause une société belge (occupée à la fabrication de systèmes de refroidissement industriels) dans laquelle travaillaient des salariés polonais, détachés par une « société sœur » établie en Pologne qui réalisait la même activité. Un contrôle réalisé par l’inspection sociale belge a relevé qu’aucun formulaire de déclaration n’existait pour les quatre travailleurs polonais détachés sur le site.
Or, la législation belge oblige le destinataire de la prestation (le commanditaire) auprès duquel sont détachés les travailleurs, à vérifier avant le début de la prestation de services que ces derniers ont bien été déclarés par leur employeur direct (ici la société établie en Pologne). S’ils ne l’ont pas été, il est tenu d’effectuer une déclaration préalable aux autorités belges, déclaration d’identification générale qui porte sur l’employeur, le bénéficiaire de la prestation et les travailleurs. C’est le même système qui a été retenu en France.
Pour la société belge, cette obligation de déclaration représentait une « entrave disproportionnée à la libre prestation de service » prévue par les articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), notamment en ce qu’elle s’ajoutait à l’obligation de déclaration du prestataire de services étrangers. C’est en effet cette double obligation que retient le droit belge. Pour le gouvernement belge (mais aussi danois et français qui se sont joints à la demande), cette législation ne peut être qualifiée d’entrave à la libre prestation de services. Elle se justifie par des « raisons impérieuses d’intérêt général tenant notamment à la protection des travailleurs, à la prévention de la concurrence déloyale et à la lutte contre la fraude ». Elle est « nécessaire à la réalisation de ces objectifs », donc proportionnée.
L’affaire est montée jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne, à laquelle le juge belge a demandé si la libre prestation de services interdit à un État membre de légiférer pour obliger le bénéficiaire d’une relation de détachement à une déclaration préalable auprès des autorités nationales de contrôle, en d’autres termes, une disposition qui viserait à lutter contre le dumping social peut-elle être interdite parce qu’elle porterait atteinte aux libertés économiques ?
La CJUE a passé le droit belge au crible du double contrôle de justification et de proportionnalité. Elle établit d’abord que le droit belge constitue bien une entrave aux libertés économiques. Mais ces entraves, qui selon elle, doivent être limitées, peuvent et sont, en l’espèce, justifiées. La CJUE aurait pu choisir de rendre sa décision en se référant aux principes et valeurs de l’Union, à la charte sociale européenne ou à la charte des droits fondamentaux. Elle fait le chemin inverse : elle réaffirme le principe de libre prestation de service, pour concéder, à demi-mot, que toute atteinte aux libertés économiques est illégale sauf à être justifiée et proportionnée.
En principe en effet, l’article 56 du TFUE prévoit la suppression de toute restriction légale qui serait de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités d’un prestataire de services établi dans un autre État membre. La Cour rappelle que même une restriction de faible portée à une liberté fondamentale est, en principe, prohibée par les traités (on aimerait qu’elle affiche la même ferveur quand il s’agit des libertés syndicales et des droits sociaux).
Mais, indulgente, la Cour reconnaît que cette restriction est susceptible d’être justifiée par la protection des travailleurs salariés détachés, par la nécessité de pouvoir exercer un contrôle effectif du respect de la législation belge applicable à ces derniers, par la prévention de la concurrence déloyale, dont la lutte contre le dumping social, par la préservation de l’équilibre financier du système de sécurité sociale, par la nécessité de prévenir la fraude et de lutter contre les abus.
Sur la question de sa proportionnalité, la Cour rappelle qu’une obligation de déclaration préalable à un détachement imposée à un employeur établi dans un autre État membre, avait déjà été jugé par elle comme une mesure efficace et proportionnée pour contrôler le respect de la réglementation sociale et salariale de l‘État d‘accueil pendant le détachement. Elle avait aussi reconnu que l’imposition de sanctions, même pénales, pouvait être nécessaire pour garantir le respect effectif d’une réglementation nationale.
- Au final, la prudence reste de mise. La Cour n’admet cette restriction que du bout des lèvres et s’en remet au juge national pour valider définitivement la loi belge. Ce n’est donc pas une décision finale. Il est donc possible qu’une décision tout à fait différente voie le jour si elle a à se prononcer sur d’autres affaires…
Soulignons que la Cour n’a pas pu s’appuyer sur la directive 2006/123 plus connus sous le nom de directive « services » qui interdit aux États membres d’imposer une obligation de déclaration dans le cadre d’une prestation de services réalisée dans un autre État membre. Les faits se sont déroulés avant l’entrée en vigueur de la directive : elle n’est donc pas applicable. Enfin, il faut rappeler que l’article 9 de la directive d’exécution de 2014 relative au détachement autorise les États membres à imposer une obligation de déclaration pour un prestataire de services établi dans un autre État membre.