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25 / 05 / 2018 | 2 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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La capacité d’innovation des nouvelles administrations doit être encouragée, développée et renforcée

Lucie des Monts et Léon Garibaldi, auteurs de Pour une nouvelle philosophie de l’action publique, dernier ouvrage de Galilée.sp sur un sujet plus que jamais d'actualité, ont bien voulu répondre à nos questions.


Début 2018, Galilée.sp a publié Pour une nouvelle philosophie de l’action publique, ouvrage dont Miroir social a rendu compte au moment de sa parution. Maintenant, les décisions du Premier Ministre sont attendues dans le cadre d’Action publique 2022 ; quelles réflexions souhaitez-vous partager ?
Depuis sa création en 2011, Galilée.sp (« think-tank » opérationnel engagé mais non partisan) met en évidence l’aspiration des agents publics à ce que l’organisation et le management publics soient profondément revus.

Les citoyens français en ayant conscience et attendant des résultats sont nombreux. Mais soit ils attendent « que la décision vienne d’en-haut » quitte à critiquer immédiatement quand elle ne va pas dans leur sens, soit ils donnent des leçons et soutiennent des programmes qui coupent les budgets ou creusent les déficits.

Galilée.sp a constamment témoigné de la richesse d’engagement et de compétences des agents de la fonction publique et de la nécessité de passer à l’action avec méthode, bienveillance et confiance.

Nous croyons que les réformes « top-down » (c’est-à-dire conçues, architecturées, décidées et pilotées depuis le sommet) sont vouées à l’échec et détruisent la République. En effet, elles privent les agents publics, les citoyens et les élus d'initiative. De plus, elles inspirent maintenant la défiance car elles ont trop longtemps été guidées par une vision malthusienne de réduction d’un endettement dont la cause est à rechercher dans le manque de courage de la classe politique depuis plus de 40 ans. Non seulement les fonctionnaires français ne sont pas la cause de la dette publique mais, de surcroît, les études sérieuses montrent que le poids de la fonction publique (particulièrement celle de l’État) se situe dans la moyenne des pays comparables. Ces réformes mal inspirées ignorent également que l’économie, c’est d’abord de la créativité, de l’innovation et donc une prise de risque pour répondre à des besoins exprimés mais encore mal couverts

Aussi, pour éviter les échecs récurrents des 15 dernières années, Gallilée.sp promeut des principes et une méthode pour soutenir un humanisme républicain, régénéré à partir des connaissances scientifiques et historiques contemporaines. Nous pensons qu’il est grand temps de tourner la page du néo-taylorisme qui assimile les gens à des éléments prévisibles et mesurables comme le sont les coûts, les machines ou comme le seraient des cerveaux purement corticaux.

Nos travaux sont régulièrement publiés sur le site de notre association et dans nos ouvrages. Nous avons donc l’impression, à notre niveau, de contribuer à une « révolution philosophique ». Galilée, le physicien de la Renaissance qui nous inspire, était d’ailleurs un spécialiste des « révolutions » puisqu’il a démontré que la Terre tournait autour du Soleil et non l’inverse.

Nous attendons donc avec grande attention la vision et la philosophie que le Premier Ministre proposera aux administrations publiques et aux citoyens français.

Quels sont les éléments auxquels Galilée.sp est attaché ? Y a-t-il, selon vous, des limites à ne pas franchir ? Avez-vous des mesures à proposer ou à déconseiller ? Y a-t-il des mesures que vous applaudiriez des deux mains ?
Je voudrais d’emblée dire que « nous ne sommes pas un « think-tank » qui roule pour un parti politique ». Depuis notre création, nous avons partagé les résultats de nos travaux grâce à notre site internet et les avons aussi transmis aux différents ministres concernés par les questions que nous traitons.

Notre association est composée pour partie de hauts fonctionnaires qui, loyalement, contribuent à rénover la vision du service public en s’associant directement aux citoyens qui viennent de multiples horizons, croyances et métiers.

Notre vision stratégique est articulée autour d’un combat, de missions et de caractéristiques de fonctionnement :

Notre combat est le suivant : face au néolibéralisme et aux tentations de repli identitaire ambiants et à la pensée dominante quantitative, mécaniste et réductrice, nous sommes pour un service public efficace, innovant, humain et au service des citoyens et de la République. Notre devise est : « Les fonctions publiques au cœur de l’innovation ».

Nos missions sont d'éclairer, inventer et mobiliser. Nous sommes un laboratoire d’actions pour encourager les agents de la fonction publique à engager une vision différente de leur mission au service du public, pour mobiliser autour du bien public par l’innovation et l’accompagnement et pour participer aux débats sur les questions d’intérêt public.

Notre cercle de réflexion fonctionne avec des rencontres et des échanges pour développer l’apprentissage par le partage. Nos groupes de travail et de recherche pratiquent le décloisonnement de manière non corporatiste.

Dans ce cadre, Pour une nouvelle philosophie de l’action publique, la fonction publique républicaine on y croit, voilà pourquoi ! nous a menés à mettre à jour et formaliser les principes auxquels nous sommes attachés.

  • Le statut général de la fonction publique n’est pas un texte sacré mais il met en œuvre le principe républicain de l’égalité d’accès des citoyens aux emplois publics et, en tant que tel, il est précieux. C’est un socle du pacte républicain fondé sur les articles 6 et 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. Il est sain que l’accès aux emplois publics se fasse par concours, que les agents publics soient comptables de leurs actes devant la société, que le déroulement de carrière ne soit pas soumis à la seule appréciation politique mais soit organisé dans un cadre connu de tous et applicables à tous ceux qui exercent le même métier. Bref, le statut est un corpus de références applicable aux fonctionnaires, indispensable pour que l’action publique puise sa légitimité dans la République et la fasse vivre pour tous. Il protège autant le citoyen que le fonctionnaire. Les pages 155 à 158 de notre livre rappellent les fondamentaux où nous avons ressourcé notre réflexion.
  • Les gens sont des richesses humaines et pas des ressources. Ceci est valable aussi bien pour les agents publics que pour les citoyens, les élèves, les personnes hospitalisées etc. La République a pour mission d’aider chacun à grandir, à s’émanciper, à vivre à la fois librement et dans le respect d’autrui, à trouver une place qui lui soit propre dans la communauté nationale. La République française porte la bienveillance et organise son épanouissement et sa défense pour et avec chacun.
  • L’innovation. La fonction publique est naturellement porteuse d’innovation et en fait preuve chaque jour. Travailler dans les administrations publiques, ce n’est pas obéir aveuglément ou faire fonctionner des procédures sans esprit, fussent-elles adaptées. Servir son pays et les citoyens en travaillant dans les administrations françaises, c’est aussi avoir une impertinence constructive pour adapter constamment et aider à construire l’avenir. C’est oser les grands projets publics et, au XXIe siècle, aider à les coconstruire avec les citoyens. C’est associer et s’associer. Cette capacité d’innovation doit être encouragée, développée et renforcée par tous moyens. Les révolutions technologiques doivent être mises au service des citoyens et ne doivent pas contribuer à les déposséder. Numériser l’administration est un vaste chantier d’actualité. Il doit être organisé avec, en même temps, une relocalisation de services publics de proximité pour qu’aucun territoire ne soit orphelin de notre République. Il s’agit donc, à certains endroits, d'organiser une « reconquête » sous des formes nouvelles à coconstruire.

L’éducation, la formation et la culture pour tous et tout au long de la vie. Ceci devient une obligation ardente. Il faut placer cet objectif au cœur des projets qui vont permettre de redessiner les missions des administrations publiques.

Les fonctions régaliennes sont les piliers de la République : Défense, Sécurité intérieure, Justice et Finances publiques. Les fonctions régaliennes de l’État incarnent des « services publics » qui sont au cœur du pacte républicain, sans lesquels les citoyens ne connaîtraient ni liberté, ni égalité, ni fraternité. L’État est aujourd’hui menacé d’impuissance. Galilée.sp souhaite donc que les fonctions régaliennes soient réhabilitées et dotées des moyens juridiques et matériels qui sont réellement à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui. Pour prendre ce seul exemple, il est proprement scandaleux que la dépense publique par habitant en matière de justice soit le double en Allemagne par rapport à ce qu'il est en France.

Enfin, il est possible de mobiliser les seniors des administrations publiques ainsi que des inspections générales et corps de contrôle de l’État. Rappelons que chaque ministère a un vivier de hauts-fonctionnaires disponibles pour mener à bien des missions décidées par les ministres dont ils dépendent. Arrêtons de demander des énièmes rapports qui restent dans les tiroirs ou qui servent à valider des projets administratifs classiques. Mettons en mouvement ces hauts-fonctionnaires loyaux qui seront mis au défi de changer de posture et de « retrousser leurs manches » en soutenant les expériences des acteurs de terrain. Les chantiers de la République ne manquent pas. Galilée.sp ouvrait cette voie par son premier colloque sur les seniors organisé en février 2012. Il est maintenant temps de passer à l’action et d’agir dans le réel ! S’il le fallait un clin d’œil, disons que le Premier Ministre pourrait s’inspirer de la belle histoire du film Les grands esprits.

Galilée.sp voit grand et loin et une réflexion vient assez spontanément : « on aimerait y croire mais est-ce vraiment possible ? ». Avez-vous des méthodes ou ce que vous proposez est-il une utopie ?
Nous avons une vision et l’intuition que les administrations nouvelles peuvent devenir des « administrations coactives ». Qu’est-ce qui caractérise ces dernières ?

Au cœur de la République, elles servent à mettre en œuvre le projet républicain, c’est-à-dire à rendre la liberté, l’égalité et la fraternité possibles dans un espace laïc. Les formes de leurs organisations et de leurs actions sont renouvelées pour accompagner les Français du XXIe siècle. Elles sont résolument humanistes et ont des qualités renouvelées : l’écoute, la créativité, la persévérance et la capacité à coconstruire.

Galilée.sp a créé des méthodes en ouvrant de nouveaux espaces de travail permettant de régénérer les modèles de management et d’administration publique.

  • Les L.I.I. (laboratoires incubateurs d'idées) : on y développe la créativité collective pour trouver des solutions concrètes à des problèmes collectifs non résolus.
  • Le coaching humaniste : il est orienté sur le soutien des gens et des collectifs pour dynamiser la mise en œuvre des projets collectifs ainsi élaborés (c’est le coaching humaniste pour les administrations coactives).
  • P.H.A.C (parcours humaniste pour les administrations coactives) est un parcours de formation pour travailler les fondamentaux de nouvelles postures humanistes (de management, d’enseignement, de conseil et de pilotage de projets).
  • Les jardins philosophiques sont des moments d’élaboration philosophique pour le « grand public », permettant une régénération et un développement de la capacité réflexive de chacun, en lien et sans isolement. Comment notre vie fait-elle sens ? Comment la philosophie aide-t-elle à l’entretenir et la faire fructifier ?

Bref, comme vous le voyez, nous œuvrons à notre échelle : nous imaginons, inventons, testons, innovons, mettons en œuvre et évaluons. Ce que nous faisons, d’autres le font sous d’autres formes. C’est l’esprit du temps et nous nous en réjouissons. Ces évolutions sont déjà présentes, sur le terrain.

Il n’y a plus qu’à jardiner délicatement la République avec sa fonction publique !

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