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Vivendi, le projet industriel se dessine mais avec quelle ambition sociale ?
Synergies, convergence, groupe industriel intégré dans les médias, ça ne vous rappelle rien ? Il y a du « méssierisme » dans la première prise de parole officielle de Vincent Bolloré, consacré président du conseil de surveillance d’un Vivendi recomposé à l’assemblée générale du 24 juin.
Si les mots sont les mêmes, l’époque ne l’est plus ; le monde a changé de façon considérable en dix ans et le nouveau Vivendi voit sa convergence limitée aux seuls contenus alors que Jean-Marie Messier pensait convergence contenus et contenants, tuyaux et programmes.
Le pôle télécoms construit autour de SFR sorti du groupe, il ne reste plus que les programmes au moins en Europe, si l’on excepte GVT, la filiale télécoms du Brésil.
Sur le parcours, si comparaison n’est pas raison, il y un canyon entre un Jean-Marie Messier polytechnicien, énarque et inspecteur des finances et Vincent Bolloré, entrepreneur avant tout.
Là où les politiques ont échoué à faire « du changement maintenant » une réalité, Vincent Bolloré pourrait réussir et redonner du lustre à cette expression en dotant Vivendi d’un véritable projet industriel et humain.
Dans quelques mois, SFR sera sorti du groupe. C’est bien une nouvelle étape de l’histoire de Vivendi qui va donc s’écrire avec pour tête de pont Canal+, enfin redevenue l’entreprise phare d’un nouveau projet industriel.
Concurrence nouvelle
Ce projet est-il si nouveau ? Consolider la position de Canal+ en métropole et accélérer le développement des relais de croissance à l’international constituent déjà des orientations nécessaires et opérationnelles afin d’assurer l’avenir du groupe bousculé par le numérique mondialisé mais aussi par une concurrence nouvelle et une modification rapide de nos modes de consommation des images et des sons.
À la peine depuis quelques temps, Canal+ pourrait enfin retrouver des couleurs sous un double effet « kiss cool ». D’abord avec un patron qui est effectivement un entrepreneur au sens noble du terme, qui a construit un empire industriel à partir d’une modeste fabrique familiale.
Ce pourrait être là le changement majeur dans la conduite des affaires du groupe sur un plan économique mais le second effet pourrait être d'ordre social. Depuis des années, nous nous sommes en effet trop éloignés de l’humain. Ce constat partagé par des centaines de cadres et de salariés, par de nombreux dirigeants d'entreprises et, bien sûr, par notre organisation syndicale détruit l’enthousiasme, contraint la créativité et finalement affaiblit l’entreprise.
La réussite du nouveau projet industriel sera aussi et avant tout portée par une ambition humaine, un humanisme qui fait aujourd'hui défaut, un groupe qui a souffert et qui souffre dans ses entrailles de tant de dédain pour les hommes et femmes qui le fabriquent et construisent chaque jour son avenir. Canal+, ce n'est pas ça.
Rénover et repenser l'environnement social sont l'une des conditions à remplir pour réussir. Sur le le plan financier, l'étau devrait aussi se desserrer. Canal+ va disposer de moyens financiers conséquents grâce à la vente de SFR et de Maroc Télécom. Désendetté, l’argent servira à accompagner la mutation indispensable de notre groupe et les investissements futurs. C’est une chance alors que nos marges se réduisent dans un contexte de crise sociale qui dure et s’approfondit.
Dans un premier message aux dizaines de milliers de salariés, Vincent Bolloré affirme que « la réussite d’’un groupe industriel ne peut s’inscrire dans la durée que si elle repose sur un socle de stabilité ». C’est un langage nouveau auquel nous ne pouvons être insensibles.
Depuis la fusion en 2007 avec TPS, le leitmotiv de Canal+, c’est le mouvement. À tel point que celui-ci finit par donner le tournis avec des organisations incomprises, bousculées, une valse des patrons d'entreprise qui s’accélère, un maelström permanent où chacun parfois cherche son chat. Et son entreprise.
La seule stratégie clairement expliquée est celle du taux de marge, la rentabilité qu’il faut maintenir coûte que coûte quand bien même ce serait au détriment de l’activité. Conséquences, des salariés malmenés, déboussolés et inquiets, parfois très inquiets, souvent remerciés sans autre forme de procès.
C’est le seul discours véritablement audible aujourd’hui, celui qui oriente la stratégie et l’organisation des entreprises. Avec son corollaire, les plans d’économies successifs destructeurs de valeurs économiques et sociales lorsqu’il n’est pas construit autour d’un projet industriel expliqué, compris et partagé et d’un accompagnement digne et nécessaire des hommes et femmes qui tentent de le porter.
Socle minimal de stabilité
Notre organisation syndicale partage cette nécessité d’assurer un socle minimal de stabilité comme facteur de réussite. Il suffit de regarder ce qu'il passe en France ou à l’étranger (en Allemagne notamment) pour constater que les entreprises qui réussissent sont celles qui sont gérées dans la durée par un management engagé et stable. Oui à la stabilité mais une stabilité dans la clarté d’un projet industriel partagé, expliqué, tourné vers la créativité et le développement social et pas seulement sur le ratio de rentabilité. Ce seul critère comme boussole nous fait aller dans le mur…
« L’entreprise intégrée », une autre ambition déjà présente en 2002 mais qui avait échoué sur des egos trop puissants de patrons jaloux de leur indépendance. Le nouveau patron de Vivendi pourrait réussir là où JM6M a échoué. Réussir consistera d’abord à forcer les baronnies de pensée et à jouer collectif. Ces baronnies n’ont jamais été annihilées. Au contraire, au fil du temps, elles se sont renforcées, empêchant tout progrès dans le développement de synergies et d’ambitions communes. Chacun sur sa rive, il fallait faire mieux que le voisin sans se soucier de construire des passerelles, sans se préoccuper de l’intérêt global à renforcer des fondations communes.
« Force et enthousiasme, moteurs de l’imagination, richesse humaines » : de ce point de vue, le chantier est immense et urgent. Les valeurs humaines qu’André Rousselet avait à cœur d'entretenir lorsqu'il a créé Canal+ ont été depuis quelques années été galvaudées, méprisées, parfois anéanties par une gestion de court terme. « Trois ans sur un poste, cinq ans dans l’entreprise », un discours social devenu l’alpha et l’oméga d’une gestion des ressources humaines absurde, destructrice et contre-productive.
Il faut tout reconstruire en urgence car il n’y aura pas de réussite industrielle sans adhésion du corps social. Ce chantier doit s’ouvrir avec les partenaires sociaux ; il faut renouer un dialogue distendu et perverti par une conception idéologique fondée sur la contrainte et non sur le respect.
Notre syndicat, premier syndicat de l’encadrement du groupe Canal+, sera évidemment disponible pour engager cette mutation sociale indispensable et urgente. Dans le cas contraire, l’échec pourrait être au rendez-vous si nous sommes incapables de réunir les salariés du groupe autour d’un projet clair, si les sacrifices demandés restent incompris et si les perspectives ne sont pas partagées.
Nous savons en partie ce qui cloche dans nos organisations, dans les processus de décisions, dans l’absence d’un accompagnement responsable, raisonnable, réfléchi des salariés. Conséquences sur la créativité, sur l’enthousiasme, sur la santé de nombreux collaborateurs en mal-être récurrent, il faut maintenant changer de philosophie et de modèle.
Une force créatrice
Canal+ n’est pas une entreprise banale mais elle a en partie perdu son âme dans un modèle archaïque où la ressource humaine est avant tout une charge sur un compte de résultats. Une ressource qui coûte et dépense avant d’être considérée comme force créatrice de valeurs économiques et humaines. Notre syndicat dénonce depuis des années cette politique sociale inadaptée à la sociologie de notre entreprise mais aussi à l’ère du temps où le modèle managérial doit être orienté collectif et pas militarisé.
Nous sommes aujourd’hui dans une impasse. Juguler l’hémorragie des compétences, avoir l’intelligence au besoin d’en faire revenir certaines qui nous manquent cruellement. Reprendre le chemin de la diversité et non de l’homogénéité sociale, engager le nouveau Canal+ sur le chemin d’un dialogue social renouvelé et respectueux qu’il n’aurait jamais dû perdre. La souffrance est réelle et destructrice. Il faut interrompre ce cycle infernal : rentabilité, économies, réduction d’effectifs, contraintes sociales.
De la parole aux actes ! C’est dans la traduction opérationnelle de ces nouvelles ambitions que nous mesurerons la volonté de la nouvelle direction à accomplir et réussir notre mutation. Entreprise et social : deux socles pour avancer et redonner à Canal+ un lustre un peu terni par une politique économique aux enjeux de très court terme.
Nous sommes persuadés que dans la loyauté, cette ambition pourrait se concrétiser autour « d'un nouveau Canal+ » conquérant, d'une ambition industrielle et d'un socle de valeurs humaines retrouvées et respectées... Canal+ le mérite et ses salariés l'attendent.