Urgence managériale à l'hôpital public
L’efficacité de l’hôpital public ne tient aujourd’hui que par la bonne volonté de ses acteurs qu’ils soient aides-soignants, infirmiers, médecins ou personnel administratif qui ne reçoivent que peu ou pas de soutien dans l’exercice quotidien de leurs métiers
Quelques propos recueillis à l’occasion de missions auprès de directions en milieu hospitalier en témoignent :
« Le processus de décision est beaucoup trop centralisé, ce qui tue les initiatives et démotive tout le monde (...) On ne sait plus à qui s’adresser ; où sont les interlocuteurs ? Qui fait quoi ? On a moins d’autonomie. On a le sentiment de subir et d’être tirés par le bas (...) les médecins et les présidents de CME s’accordent à dire que la donne a changé depuis quelques années (…), ce qu’ils expriment est la façon dont les changements sont opérés, sans savoir faire, sans communication, sans considération… »
« On a créé beaucoup plus de frustrations que de satisfactions (…) l’hôpital est devenu une grosse machine qui écrase, on a perdu les leviers de décision (...) On me met de jour, de nuit, on me rappelle chez moi pendant mes congés, les agents ont de plus l’impression qu’ils deviennent des pions, qu’ils sont traités sans considération »
« L’implication des cadres dépend des gens (…). D’aucuns demeurent à l’écoute et animent leurs équipes, d’autres ont baissé les bras et sont à la limite de l'épuisement professionnel, coincés entre surcharges administratives et injonctions contradictoires (...) la ligne managériale joue beaucoup trop peu son rôle d’explicitation des orientations de direction générale, de relais de la direction et de levier de motivation (...) la direction doit aussi balayer devant sa porte : on ne dit pas les choses, on ne donne pas les objectifs et tout à coup, les choses tombent. Il faut dire aux partenaires sociaux et au personnel où l'on veut aller ».
Ces propos recueillis à satiété dans bien des hôpitaux de France illustrent ce désastre managérial qui risque de conduire à la faillite de notre système de soins hospitaliers et à des dommages considérables au sein du personnel. Est-ce là que nous voulons ?
Trois voies nous paraissent à explorer et à mettre en place d’urgence, au-delà des mesures très partielles et ponctuelles annoncées par la ministre de la Santé, Marisol Touraine.
Traiter les situations d’urgence à travers les CHST
La législation du travail permet aujourd’hui dans le secteur privé (où cette question est bien davantage intégrée dans les objectifs stratégiques des entreprises) de mobiliser les CHSCT aux côtés des directions par les droits d’alerte en cas de danger grave imminent, les inspections et enquêtes, la formation des élus et un dialogue constant entre les directions, le management et les élus. Ces CHSCT doivent cesser dans les hôpitaux (comme trop souvent dans le secteur public en général) d’être des assemblées de débat où chaque organisation syndicale expose ses positions de principe pour devenir des instances de travail et de concertation
Nous sommes par ailleurs frappés de constater que cette instance est dépossédée de tout pouvoir s’agissant des médecins : il serait urgent d’intégrer les représentants des médecins dans les CHSCT. Ils y perdraient de leur « traitement singulier » mais de toutes les façons, ce ne sont plus des « mandarins » mais simplement des gens qui eux aussi peuvent mettre fin à leurs jours après de longues souffrances au travail comme un « banal » membre du personnel soignant de base. À situation commune, traitement commun !
Traiter les situations d’urgence à travers des médiateurs tiers
Les situations sont parfois telles que ces institutions doivent faire appel à des tiers car nous savons tous (intervenants externes comme personnel hospitalier, y compris de direction au plus haut niveau) que la tentation de « régler les choses entre soi » est forte, voire très forte. Ce qui anime sans doute cette tentation, c’est la volonté de protéger l’institution, un peu comme durant longtemps on a voulu protéger la famille en taisant les dysfonctionnements dont elle était le siège.
En période dramatique, comme celle dévoilée à l’occasion du suicide du Professeur Jean Louis Megnien, on sait très bien que ce ne sont pas (ou en tous les cas pas complètement) des corps d’inspection interne comme l’IGAS en matière de santé publique, qui peuvent aller au bout du travail d’analyse et de constat des dysfonctionnements graves et nombreux qui aboutissent à ce situations. Donc à la place d’un médiateur interne, les administrations doivent pouvoir avoir recours à des médiateurs et consultants experts de ces questions dans le cadre d’enquêtes ordonnées et votées en CHSCT, comme c’est le cas depuis de longues années dans les entreprises.
Après le traitement d’urgence, traiter enfin l’urgence managériale
Dans les hôpitaux publics, les rapports pointant les dysfonctionnements décrits dans les témoignages recensées plus haut sont nombreux dans les tiroirs (des ARS, de l'IGAS, des directions d'hôpitaux etc.). Plusieurs mesures immédiates pourraient à très court terme, sinon les traiter définitivement, du moins en corriger les aspects les plus saillants.
RDeDonner de véritables pouvoirs à des directeurs d’hôpitaux devant être rompus au management, principal critère dans une nomination : les nominations de ces directeurs doivent intégrer des objectifs mesurés et mesurables de qualité (ou de non-qualité) de l’animation managériale : entretien et évaluation des membres des CODIR, évaluation à 360 degrés par ses équipes rapprochées, enquête au moins biannuelle de satisfaction des collaborateurs via un observatoire de climat social ; il s’agit ici d’en faire de véritables managers de projets de haut niveau de compétences et non de simples courroies de transmissions des ARS ou du ministère de la Santé.
DésiGagner au sein de la direction d’un hôpital un DGA adjoint chargé spécifiquement de gérer les carrières et de gérer le corps médical : on sait très bien que les président de CME ne sont pas en mesure de le faire actuellement soit parce qu’ils ne veulent pas, soit parce qu’ils ne savent pas le faire. Les CME pourraient simplement être des instances de conseil et de partage des difficultés spécifiques du corps médical hospitalier en appui au DGA chargé du corps médical.
DoDonner une formation managériale de base et actualisée au moins une fois par an à tous les cadres de santé sans exception et aux médecins chefs de service et chefs de pôle qui doivent eux aussi faire l’objet d’évaluation par leurs équipes.
· RRemettre les CHSCT au cœur des politiques de prévention et de traitement des risques psycho-sociaux en rendant obligatoire la procédure des appels d’offres pour des prestations d’accompagnement durable intégrant le recours à des médiateurs tiers susceptibles de traiter les situations d’urgence.
· EEnfin, régler par des accords locaux avec les organisations syndicales qui y sont prêtes le sujet des horaires de travail et de l’organisation du travail : ceci suppose que les responsables politiques en matière de santé cessent de tenir un double discours, à savoir devant le personnel et ses représentants « ne vous inquiétez pas, nous allons conserver vos statuts et vos emplois sans rien changer à votre travail » alors que ce même personnel est menacé, souvent d’autorité et par des voies détournées, de tout perdre demain : comment dans ces conditions demander aux organisations syndicales et aux représentants du personnel de contribuer à la rénovation du service public hospitalier ?
Le sujet prioritaire dans l’hôpital public est bien de traiter l’urgence managériale pour mettre fin au désastre en cours et non de supprimer des postes ou de prendre quelques mesures telles que celles du plan de Marisol Touraine.
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