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08 / 03 / 2018 | 7 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Relations sociales : quand une « star des rings » perd ses mandats pour revenir à temps plein sur un métier

Les heures de délégation des représentants du personnel et leur participation aux réunions des instances sont-elles intégrées dans l’organisation collective du travail ? Ce n’est pas le cas pour 48 % des répondants à l'enquête réalisée dans le cadre Les Relais 2017 du dialogue social et de la formation organisée par Miroir Social et TrouverUneFormationCE.com à laquelle ont répondu 294 représentants du personnel et de direction.

« C’est plus facile sur un centre d’appels avec plusieurs centaines de salariés que dans, par exemple, une équipe de projets où l’un des quatre membres porte un mandat représentatif », souligne Michel Tibayrenc, délégué syndical central FO de Bouygues Telecom, qui avait auparavant été directeur du centre d’appels de l’entreprise à Bourges, alors qu’il n’avait alors pas d’engagement syndical. L’occasion de vivre le quotidien du dialogue social des deux côtés du miroir.

À Bourges, c’est une ancienne déléguée syndicale FO qui vient de prendre la direction du site qui compte désormais 500 positions. « Obtenir une promotion pour un représentant du personnel, ce n’est pas galvauder le mandat. C’est l’occasion de faire la preuve de son sens critique et de ses capacités de synthèses et d’analyses pour faire avancer les choses sans pour autant tomber dans la cogestion », estime le représentant du personnel de Bouygues Télécom qui reconnaît que l’on est moins enclins à l’autocensure à 60 ans qu’à 35 ans en pleine carrière. Mais la légitimité des représentants du personnel doit se construire bien avant une potentielle promotion.

« Dès la prise de mandat, les élus doivent être en capacité de témoigner de ce qu’ils font et pas simplement à travers des comptes rendus des réunions. Ils doivent apprendre à communiquer et à créer du lien avec les différents acteurs de l’entreprise Le panel des missions des représentants du personnel est étendu. Cela explique les difficultés qu’ils rencontrent à se positionner. C’est tout le sens de notre accompagnement qui se caractérise souvent sous forme de coaching », explique Isabelle Aubine, consultante et formatrice en santé et sécurité au travail chez Acor. Dans cette logique, le cabinet s’emploie à responsabiliser les représentants des directions en les invitant à participer à une partie des formations avec les élus. « C’est ainsi que le directeur d’une usine a décidé que le CHSCT se réunirait une fois par mois. Il avait compris tout l’intérêt du rôle des représentants au sein de l’instance », illustre Isabelle Aubine. Mais globalement sur les projets menés par les directions pour améliorer les conditions de travail, la consultante constate que les représentants du personnel sont impliqués trop tardivement, voire pas du tout. Une contradiction que le cabinet s’emploie à lever dans sa démarche d’accompagnement des directions et des instances afin de leur donner toutes les chances de se fédérer et de construire dans un intérêt commun.

Au quotidien, managers et représentants du personnel parlent de la réalité du travail. « Pas comme dans certains CE où les échanges sont parfois hors sol, totalement déconnectés. On atteint des monuments de langues de bois », lance Bénédicte Tilloy, ancienne DRH de SNCF réseau. D’où son idée de lancer des groupes de travail informels réunissant des managers et des élus pour faire avancer les vrais sujets qui se posaient au moment de la fusion de Réseau ferré de France. Beaucoup de salariés se retrouvant alors dans des situations difficiles. Cette démarche s’est même externalisée dans le cadre du Digilab Social, un cycle de rencontre entre managers et représentants du personnel sur les enjeux du numérique. « À un moment, il faut lever le stylo et fermer les micros pour parler vrai. Nous avons fait avancer les sujets dans ces groupes. Les instances n’avaient ensuite qu’à officialiser ce travail. Les managers pensent trop souvent à tort qu’ils sont là pour convaincre. C’est comme cela que les postures montent », souligne Bénédicte Tilloy, désormais partenaire chez Schoolab, un incubateur de projets innovants.

Des managers reconnus comme acteurs du dialogue social

Reste que les managers ne sont pas considérés comme des acteurs du dialogue social. Si le code du travail parle bien de représentants du personnel, il ne parle en revanche pas des représentants de la direction. Il est juste question de l’employeur… Cette reconnaissance de la place des encadrants dans le dialogue social est essentiel pour Agnès Le Bot, ancienne secrétaire confédérale CGT en charge de la démocratie sociale : « les réunions des instances sont embolisées et beaucoup de sujets pourraient se régler entre managers et représentants du personnel avant que cela ne remonte en questions aux délégués du personnel. Il y a une méconnaissance, voire une contestation, des rôles des uns et des autres ». Ces managers, non sensibilisés au fait syndical, peuvent aggraver les choses et devenir des « gisements de problèmes alors qu’ils pourraient être les solutions ». Et Agnès Le Bot de se rappeler les mesures de rétorsion subies après qu’elle a mené une grève en 1998 dans le complexe cinématographique où elle travaillait alors, tout en étant déléguée du personnel en parallèle. « Il y encore des directions qui refusent que les syndicats puissent être présents lors des journées consacrées à l’accueil des nouvelles recrues », souligne celle qui conseille désormais les entreprises dans leurs relations sociales.

Du temps où il était DRH, Stéphane Roose, directeur associé du cabinet JLO, suivait
de près le nombre de questions aux délégués du personnel qui relevaient de tels ou tels managers. Autant de sujets que les encadrants n’avaient pas réussi à traiter en amont. « Les réponses sont souvent au niveau des managers. Encore faut-il que l’on ne les forme pas aux méthodes destinées à neutraliser au maximum une action syndicale considérée comme non productive. Les élus sont alors considérés comme des salariés qui ralentissent le processus de production et non pas comme des intermédiaires utiles pour faire passer des messages ou recueillir de l’information. Les directions ont les élus qu’elles méritent », souligne-t-il. Si le droit interdit à un manager d’évaluer l’activité syndicale de l’un de ses collaborateurs, 16 % des répondants à notre sondage rapportent avoir eu l’occasion d’échanger en profondeur sur l’exercice de leur mandat avec leur manager (4,2 %) ou un responsable RH (11,7 %). Historiquement spécialisé dans l’intégration professionnelle des handicapés, le groupe JLO a développé une expertise dans le management de la diversité. Selon Stéphane Roose, « les managers qui intègrent pleinement dans l’organisation du travail le rôle des représentants du personnel développent des compétences que les directions devraient mieux reconnaître. Les talents managériaux se révèlent face à la diversité et l’adaptabilité que cela sous-entend ».

Face à des représentants qui ne se voient légitimes que dans la figure de l’opposition, l’exercice peut s’avérer compliqué. « Il faut bien poser le cadre à toutes les personnes concernées quand une « star des rings » perd ses mandats pour revenir à temps plein sur un métier », conseille Bénédicte Tilloy qui se souvient d’un cas : « aucun chef d’établissement ne voulait de lui car il avait plusieurs fois dérapé dans ses propos. J’ai donc désigné l’établissement qui l’accueillerait en signifiant au manager qu’il ne fallait pas le résumer à ses écarts de langage et que c’était par ailleurs un bon professionnel. J’ai aussi signifié à l’ex-star qu’il n’était pas le bienvenu. Six mois après, la première évaluation était bonne. La grande gueule de service avait canalisé ses capacités de leadership ». Sans pour autant se renier, il faut l’espérer.

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