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06 / 09 / 2018 | 358 vues
Jérémy Girard / Membre
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Privatisation du groupe Aéroports de Paris : quelles conséquences pour les salariés ?

Alors que la cession des parts de l’État au sein d’ADP a été confirmée par le gouvernement, des inquiétudes sont exprimées quant à l’avenir des près de 9 000 employés que compte le groupe. Pourtant, la privatisation d’aéroports n’est pas un phénomène absolument inédit. Il suffit de faire une rapide étude des cas précédents pour vérifier si ces craintes sont fondées ou non.

Privatisation et plan social

À chaque fois que l’État veut céder des parts qu’il détient dans une entreprise, la question se pose à nouveaux : qu’adviendra-t-il des salariés ? Le secteur privé est automatiquement soupçonné de vouloir rapidement rentabiliser l’entreprise au bénéfice des nouveaux actionnaires et au détriment des salariés. Outre les questions économiques de fond (vision dans laquelle l’intérêt des salariés et le profit d’une entreprise seraient en contradiction), cette peur réflexe révèle surtout une profonde méfiance vis-à-vis de l’actionnariat privé et de sa gestion humaine.

En France, alors que l’État a pris la décision de céder tout ou une partie des parts qu’il détient au sein du groupe Aéroports de Paris, la question se pose avec acuité, particulièrement dans le contexte d’une actualité encore marquée par la réforme de la SNCF. Cette décision du gouvernement, prise notamment pour alimenter un fonds pour l’innovation, a fait couler beaucoup d’encre. Les politiques de tous bords se sont exprimés sur cette stratégie macronienne et l’opposition dans son ensemble s’est montrée plutôt réticente. La CGT, pour sa part, s’oppose radicalement à cette cession et elle a mis une pétition en ligne, faisant état de toutes les conséquences négatives qu’elle pourrait avoir. Sur le plan social, le syndicat considère qu’il faut s’y opposer « pour l’emploi et le modèle social d’Aéroports de Paris, avec une probable purge des effectifs, une destruction du statut des salariés, une dégradation des conditions de travail et une pression accrue sur les rémunérations comme sur les règles de sûreté et de sécurité ». Au-delà des craintes (compréhensibles au demeurant) des salariés qui s’inquiètent d’un changement de mode de gestion avec le départ de l’État, qu’en est-il des cas similaires que l’on peut observer avec le recul ? Les inquiétudes sont-elles justifiées ou tombe-t-on dans le procès d’intention ? Le gouvernement s’est voulu rassurant : « Les salariés ont un statut (...) Ce statut ne sera pas remis en cause », a ainsi déclaré Bruno Le Maire lors d’une visite dans les locaux d’ADP. Même son de cloche du côté d’Augustin de Romanet, l’actuel PDG : « Il n'y a strictement aucun effet direct sur l'emploi de cette privatisation ».

Aéroport de Toulouse-Blagnac : bon ou mauvais exemple ?

Lorsqu’il est question de privatisation d’aéroport, les opposants se réfèrent généralement au cas de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Or, même dans ce cas, le tableau n’est pas si noir que certains veulent le (faire) croire. Si le bilan de la cession des parts de l’État dans l’aéroport de Toulouse en 2015 est perfectible, les problèmes rencontrés sont principalement à mettre sur le dos de sérieux couacs en termes de communication de la part de l’actionnaire principal. En effet, le PDG du fonds d’investissement chinois qui a racheté à l’État 49,99 % de ses parts, Mike Poon, était soudainement devenu injoignable car il était alors entendu par le gouvernement chinois pour une affaire de corruption.

En revanche, en termes de performances, l’aéroport de Toulouse-Blagnac était dès 2017 le seul aéroport français à figurer dans le top 20 des meilleurs aéroports du monde, avec une note de 8,03/10 et 17e au niveau mondial selon la plate-forme Flight Reports. Quant aux salariés, plus de trois ans plus tard, aucun plan social ni aucune suppression de poste n’est à constater. Au contraire, 102 millions d’euros ont été investis pour le réaménagement de la plate-forme aéroportuaire, projet qui permettra notamment d’accueillir de nouvelles compagnies aériennes. Or, cette perspective ne peut avoir qu’un effet positif sur l’emploi dans la région.

Les aéroports privatisés

Même si beaucoup d’aéroports dans le monde sont encore sous contrôle de l’État actionnaire, la tendance est à la privatisation, à l’instar des grands aéroports australiens de Brisbane, Melbourne et Perth. En août 2017 Caroline Wilkie, directrice de l’Association des aéroports australiens (AAA), déclarait à ce sujet au magazine Australian Aviation : « La privatisation des aéroports du pays a été sans doute l'un des processus de privatisation des infrastructures les plus réussis et les plus transformateurs que ce pays ait jamais connu ». Aux Philippines, la privatisation de Clark International Airport a également suscité des inquiétudes de la part des syndicats qui craignaient pour les emplois de l’aéroport. En février, ils manifestaient pour demander une plus grande clarté sur l’avenir de l’entreprise et sur la stratégie que les nouveaux propriétaires mettraient en place. Là non plus, la crainte n’était pas fondée puisqu’aucun employé n'a perdu son poste.

Le cas d’ADP

Partout où les aéroports ont été privatisés, de nouveaux investissements et travaux de réaménagement ont été réalisés. De manière générale, les acteurs privés achètent des parts dans les aéroports sur la base d’une stratégie d’investissement à long terme. La CGT parle d’une « probable purge des effectifs » alors que rien ne le laisse supposer, ni dans les précédents en France et à l’étranger, ni dans les déclarations du gouvernement. Une diminution radicale du nombre d’employés ne peut qu’affecter négativement la qualité de service d’un aéroport. Or, en 2017, Skytrax (organisme de consultation britannique effectuant des recherches pour les compagnies aériennes) plaçait l’aéroport Charles de Gaulle à la 32e place dans la liste des meilleurs aéroports du monde.

D’après Yves Crozet (spécialiste du transport et de l’aéronautique) : « En toute logique, la privatisation devrait conduire à améliorer ce résultat qui n’est vraiment pas satisfaisant. Face à cette situation, il est clair que les nouveaux actionnaires (on parle avec insistance de Vinci) vont d’abord chercher à améliorer les choses. Car la rentabilité qu’ils cherchent est à long terme et elle dépendra de la qualité du service ». De plus, dans un contexte politique compliqué pour l’exécutif, il est très improbable que l’État laisse beaucoup de marge de manœuvre aux nouveaux actionnaires d’ADP sur l’emploi, alors que celui-ci gardera un contrôle étroit des aéroports par le moyen de la régulation et par des contrats de régulation économique, révisés tous les cinq ans.

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