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07 / 08 / 2014 | 100 vues
Audrey Minart / Membre
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« Plaisir et souffrance au travail chez les comédiens » - Marie Potiron, psychologue clinicienne

Journaliste, puis psychologue clinicienne, la jeune doctorante a obtenu une allocation doctorale du DIM Gestes en 2013, pour un projet sur le plaisir et la souffrance dans le travail des comédiens. Sa thèse est dirigée par Christophe Dejours.

Marie Potiron est l'une des lauréates 2013 du DIM Gestes, un groupe d’étude interdisciplinaire sur le travail et la souffrance au travail, financé par la région Île-de-France, qui accompagne les projets de jeunes chercheurs via des allocations doctorales et post-doctorales. 

C’est après avoir été journaliste, puis psychologue clinicienne, que Marie Potiron (aujourd’hui âgée de 39 ans) s’est tournée vers la recherche en psychodynamique du travail. Après des études de Lettres, sa première passion, la jeune femme est devenue journaliste à La Voix du Nord, avant d’exercer comme indépendante. À 28 ans, elle choisit de se reconvertir et de reprendre des études en psychologie clinique à l’Université Paris-Diderot.

Sa première « rencontre » avec les écrits de Christophe Dejours date de cette époque. Elle se souvient : « J’avais d’abord lu ses travaux sur la psychosomatique et le corps dans le cadre de mon mémoire de master 1 autour de l’identité sexuée. Il portait sur le personnage de Claude, qui refuse d'être une fille, dans la série de romans pour enfants « Le Club des Cinq ». Ma directrice de mémoire de l’époque s’intéressait beaucoup à la littérature enfantine… » De fil en aiguille, elle finit par prendre connaissance des écrits du psychanalyste sur le travail. « Ce domaine me semblait curieux. C’est à ce moment-là que je me suis intéressée aux « enjeux psychiques du travail », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Pascale Molinier ».

Elle ne reviendra spécifiquement dessus que quelques années plus tard, après avoir obtenu son diplôme de psychologue à 32 ans, et exercé autant en consultations que dans le cadre de dispositifs d’aide, tels que le Fil Santé Jeunes ou Jeunes violence écoute « où nous recevions d’ailleurs beaucoup d’appels en rapport avec le travail ». Cette expérience dure cinq ans. Pendant ce laps de temps, elle complète sa formation par un autre master (de recherche cette fois-ci) en psychodynamique du travail et sous la direction de Christophe Dejours.

« Psychodynamique de la souffrance et du plaisir au travail du comédien » et « théories du jeu »

Pour son mémoire, elle choisit de se pencher sur le travail de comédien. « J’ai rencontré un certain nombre de comédiens et j’ai toujours été frappée par la manière dont Ils parlaient de leur travail : d’une façon très pointue, très fine et en même temps mystérieuse. J’étais intriguée par ces conversations sur « l’énergie », la « présence »… Des notions très difficiles à définir ».

Ses premiers résultats lui semblent tellement riches qu’elle décide de poursuivre en thèse. Mais ayant réalisé son master de recherche en parallèle de son activité de clinicienne, une expérience plutôt éprouvante, il lui semblait impossible de poursuivre sans financement.

Marie Potiron postule alors pour une allocation doctorale du DIM Gestes. Son projet de recherche est retenu. Elle est sélectionnée pour le mener au LPCP, Université Paris-Diderot, au terme des auditions de juin 2013.

« Je m’intéresse au travail de comédien pas seulement en tant que travail singulier mais aussi parce que je crois qu’une discussion pourrait s’engager entre la psychodynamique du travail, qui s’intéresse notamment au réel, du travail, à l’engagement intime de soi dans le travail, y compris corporellement et les discours théoriques sur le jeu ». Des « théories du jeu » (la biomécanique de Vsevolod Myerhold, le « système » de Constantin Stanislavski, la distanciation de Bertold Brecht) qui, sans avoir une ambition « scientifique » proprement dite, n’en forment pas moins des systèmes relativement cohérents, « avec une véritable ambition théorique ».

L’idée serait donc d’installer ce dialogue car ces théories comportent parfois quelques « angles morts », des « silences » auxquels l’étudiante d’alors s’était auparavant confrontée, sur la coopération, la convivialité au travail ou encore l’autorité. Ces questions sont pourtant « au centre du travail de comédien », selon elle. « En se concentrant sur le jeu, ces théories omettent ce qu’il se passe hors plateau. Elles sont souvent élaborées par des metteurs en scène, qui sont prescripteurs du travail. Leur but est en effet, au moins en partie, de construire un acteur idéal ou, plus globalement, de former les acteurs, de développer une certaine idée du métier ». Autant de théories qui évacuent donc les relations de domination, que Marie Potiron ne compte pas laisser de côté.

Amour et travail ou l’amour dans le travail


« D’autres aspects m’intéressent mais je ne sais pas encore de quelle manière je vais les traiter dans ma thèse : la question du genre, en particulier. Ce n’est pas pareil d’être comédien ou comédienne… » La doctorante n’avait en effet pas abordé ce thème dans son mémoire de master de recherche. Il lui semble cependant, de plus en plus incontournable.

« Je crois également que le travail de comédien peut reposer des questions théoriques à la psychodynamique du travail, notamment sur l’articulation entre le travail et l’amour. « Ce que je me demande, aujourd’hui, c’est dans quelle mesure les relations affectives (ou « l’amour ») font partie du travail ? Comment le rendent-elles possible, en quoi peuvent-elles être une ressource pour le travail ? » Des questionnements qu’elle retrouve, « même si tout cela est encore vraiment à affiner », dans les travaux portant sur le travail du « care ». Des métiers qui demandent également un très fort investissement émotionnel.

« Je compte aussi me pencher sur le plaisir au travail. Cela me paraît essentiel. Il est possible de percevoir chez les comédiens, cet « enthousiasme » dans le travail, que décrit Christophe Dejours dans Travail Vivant… On peut même le « sentir » corporellement, percevoir une sorte de joie, par exemple après une représentation qui s’est bien déroulée ». Côté souffrance donc ? « Elle est également présente en effet, en particulier parce qu’il y a cette mise en jeu de l’intime, exploitée, surexploitée, travaillée, « surtravaillée » ». Pour la doctorante, l’objectif serait en outre, à la lumière de ces recherches, « d’enrichir », « préciser », voire questionner certaines découvertes de la psychodynamique du travail.

« Mécanique » et poésie

Pourquoi la psychologie ? Plus précisément la psychanalyse, dont est empreinte la psychodynamique du travail ? « Ce qui m’a intéressée, je crois, au départ, c’est la « mécanique ». C’est de savoir comment fonctionne « le moteur », même si la comparaison est trop froide… La psychanalyse me semble être un chemin théorique juste pour expliquer l’humain, pour faire entendre le sens et la complexité des conduites : comment peut-on vouloir et ne pas vouloir en même temps ? Comment ne devient-on pas fou au travail ? » (rires). Elle rappelle que son « premier amour » reste la littérature. « Lorsque l’on écoute les personnes qui nous parlent, on réalise que les constructions de l’inconscient sont poétiques. La psychanalyse même, à mes yeux, est une science humaine poétique ».

On comprend donc d’autant mieux que la jeune clinicienne envisage, outre continuer la recherche après cette thèse, de s’installer un jour comme psychanalyste. « Cela peut être compliqué à articuler parce que ce sont des cadres et des postures très différents. Mais d’autres le font. En même temps, être psychodynamicienne est déjà un numéro d’équilibriste… » Une pause. « En fait, être psychologue aussi. »

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