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31 / 03 / 2015 | 6 vues
Philippe Grasset / Membre
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Plafond de verre : une enquête de la DGAFP édifiante

La Direction générale de la fonction publique a fait effectuer une enquête sur « les carrières des dirigeants dans la fonction publique de l’État. Approche qualitative des inégalités entre hommes et femmes ».

Cette enquête sociologique s’est déroulée auprès d’une centaine de cadres dirigeants des ministères sociaux et économique et financier. Cette étude relève plusieurs points sur le « plafond de verre » ayant par ailleurs été identifiés mais qui apportent parfois un éclairage plus surprenant dans son exposé. Les enquêtes sur la place des femmes dans les positions de pouvoir dans la fonction publique se sont pour la plupart focalisées sur des ministères incarnant le plus nettement les normes culturelles d’une masculinité hégémonique.

La question du « plafond de verre » dans les milieux de travail « féminins », tels que les ministères économique et financier (57 % de femmes : bilan social 2013) a été moins posée.

La fonction publique apparaît souvent au premier abord, comme un contexte plus égalitaire et propice aux carrières des femmes, en raison des règles qui encadrent le recrutement, les rémunérations et la promotion professionnelle.

Aujourd’hui, malgré l’affirmation d’un principe d’égalité entre les sexes et la mise en œuvre de politiques censées la réaliser, malgré le mouvement de féminisation des catégories supérieures lié à l’élévation des diplômes obtenus par les femmes, la fonction publique n’offre guère, en pratique, les mêmes opportunités professionnelles aux deux sexes. L’enquête confirme l’existence d’un « plafond de verre ».

  • La limitation de l’accès des femmes aux positions dirigeantes est particulièrement manifeste dans l’ensemble des directions générales des ministères économique et financier. Le personnel de base y est largement féminisé alors que pour le niveau des A+, le mieux rémunéré, les femmes ne sont que 24 %.

Les résultats des entretiens ont dégagé 18 points, dont certains bien identifiés dans de précédentes enquêtes sur le plafond de verre, tant dans le public que dans le privé, d’autres sont plus inédites.
  • L’ENA demeure le meilleur passeport pour une carrière ascendante des femmes.
  • L’éducation égalitaire des garçons et des filles facilite les trajectoires scolaires d’excellence puis les carrières ascendantes des femmes.
  • Les femmes renoncent plus que les hommes à passer les concours internes leur permettant de gravir les échelons, soit en raison du temps hors-travail nécessaire à leur préparation, soit en raison de l’éloignement géographique que la réussite d’un concours impose durant la scolarité.
  • Les premiers choix professionnels des hommes et des femmes pèsent sur leurs carrières, les femmes s’orientent plus sur des postes d’expertise, offrant moins de perspectives de carrière que les emplois de management privilégiés par les hommes.
  • La forte disponibilité horaire des postes dirigeants défavorise les femmes, très largement en charge de la vie familiale.
  • La mobilité géographique répétée, selon des rythmes et des lieux imposés par l’employeur, condition pour « faire carrière » dans les services déconcentrés, est un obstacle majeur pour les carrières de femmes et problématique pour les couples à double carrière.
  • Les critères relationnels, les réseaux d’information, les cooptations, pour l’accès aux postes dirigeants comportent des biais de genre défavorables aux femmes.
  • Les modèles de carrière, où « tout se joue » entre 30 et 40 ans, pénalisent les femmes puisque c’est en moyenne l’âge du premier enfant (29 ans pour les femmes, 31 ans pour les hommes) et la petite enfance.
  • Les « doubles carrières » dans des couples sont plus difficiles à mener de front pour les femmes : quand les hommes bénéficient d’une compagne qui les accompagne, parfois même à l’étranger, les femmes doivent affronter les résistances d’un conjoint cadre vis-à-vis de leur mobilité et sont peu soutenues au moment de la préparation des concours internes. La supériorité des conjointes restent un tabou social.
  • Les femmes sont confrontées à l’obligation de trouver le « bon moment » pour avoir des enfants si elles aspirent à une carrière professionnelle ascendante. À noter que c’est exactement ce à quoi ont voulu répondre Facebook et Apple en incitant les femmes à programmer une grossesse tardive par congélation de leurs ovocytes.
  • La grossesse et le congé maternité peuvent être l’occasion de pratiques discriminantes envers les femmes.
  • La conciliation travail-famille est beaucoup plus problématique pour les femmes, y compris quand les enfants grandissent. La charge morale et matérielle assurée par les femmes fait peser sur elles un risque de surmenage les défavorisant dans leur carrière.
  • La « peur du divorce » peut conduire certaines femmes (plus rarement les hommes) à diminuer leur investissement professionnel.
  • Les cadres ont tendance à euphémiser, voire nier, les inégalités hommes-femmes dans leurs administrations, au nom de la neutralité des règles méritocratiques des promotions et des affectations.
  • Quand elles sont reconnues, les causes des inégalités sont identifiées comme relevant de l’extérieur de l’administration, des normes sociales et particulièrement dans la famille.
  • Les femmes doivent réussir à incarner la « femme normale », équilibre d’affirmation de leur « féminité » (dans leur attitude et leur apparence) et de neutralisation de cette féminité pour se plier aux normes professionnelles masculines-neutres.
  • Le développement des politiques publiques d’égalité favorise l’expression d’une conscience égalitaire qui dénonce les inégalités hommes-femmes dans l’univers professionnel.

Ce rapport démontre que les inégalités hommes-femmes d’accès aux postes de dirigeants de la fonction publique d’État résultent tant de processus sociaux externes (socialisation familiale, scolarité, charges familiales…) qu’internes aux administrations (contraintes horaires, mobilité géographique répétée…).

Si cette enquête éclaire avec assez de pertinence les obstacles pour briser le « plafond de verre », il n’en demeure pas moins que bien des constats ne visent pas à se cantonner aux cadres dirigeants mais sont aussi des marqueurs bien identifiés pour toutes les femmes fonctionnaires dans les directions de Bercy et ce quel que soit leur grade.

Les problématiques de la préparation aux concours internes, à la mobilité géographique, à la conciliation vie familiale-vie professionnelle ne sont pas exclusives à l’accès aux emplois de cadres supérieurs.

Le plus troublant, c’est bien les réponses apportées par les autorités publiques à cet état des lieux sans concession. La remise en question du congé parental, la mise en œuvre de certaines règles de gestion réinstaurant de la mobilité géographique sont les derniers contre-exemples d’une politique volontariste pour l’égalité hommes-femmes.

Il est vrai qu’une récente enquête a programmé l’égalité professionnelle pour 2030 !
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