Organisations
Vendre la SNCF ?
En cette fin d’octobre 2024, une vingtaine de députés macronistes (dont les anciens ministres G.Darmanin et O.Grégoire) proposent la vente de la SNCF pour combler le très important déficit public de l’Etat. Devons-nous être surpris par cette idée ?
Cette suggestion de cession de la SNCF est à la fois rance, inefficace et contre les intérêts nationaux. La 1ere réforme ferroviaire sous la présidence de François Hollande (2016) avait permis de nous préserver de cette option très libérale et très simpliste avec la création d’un groupe d’Epics dont la structure juridique interdisait toute cession. Ce n’est pas un hasard si certaines organisations syndicales cheminotes considéraient fort logiquement cette organisation protectrice des intérêts de l’Etat et du statut des personnels (même si l’un n’est pas lié au second).
Tout « expert » et autre observateur sérieux des transports ferroviaires sait que le financement de ce mode de transport s’inscrit dans un temps long (plusieurs décennies). Ce calendrier ne peut satisfaire des investisseurs « classiques » résonnant sur moins de deux décennies généralement. La question essentielle tant du financement que de l’entretien, la modernisation voire le développement de l’infrastructure ferroviaire n’a de réponse que par un investissement public massif et sur du très long terme. Regarder au-delà de la France et partout en Europe comme bien au-delà, il n’existe pas de réseau ferré qui ait été durablement « privatisé » entièrement. Et les pays qui ont voulu le faire sont vite revenus à la raison pragmatique d’une libéralisation-privatisation intégrale.
La seconde réforme ferroviaire sous la présidence d’E. Macron n’a-t-elle pas créée de nouvelles opportunités ou de nouveaux « risques » de privatisation de la SNCF ?
Chacun a constaté que le programme du candidat Macron ne prévoyait aucun changement structurel pour le groupe d’Epics SNCF. Et que c’est en partie de président de la SNCF de l’époque qui a défendu son modèle de « groupe de SA » pour – soi-disant- affronter l’ouverture à la concurrence et permettre un nouveau développement des activités du groupe français. Mais en créant un groupe de SA, la porte était entrouverte malgré la précision du caractère incessible et à 100% de la propriété par un actionnaire public unique l’Etat. Cette évolution fut combattue par tous les syndicats de cheminots sans exception et par de nombreux élus qui ont bien compris ce risque funeste. Certains arguments juridico-politiques ont servi les besoins de cette décision politique et économique grave pour l’avenir du groupe public.
Quid de la proposition le 28 mai 2024 du député conservateur (ex-LR devenu Union des Droites-RN extrême-droite) de « privatiser la SNCF » ?
On ne peut pas dire que ce parlementaire n’agit pas avec constance car il a toujours vilipendé tant l’entreprise publique SNCF que ces personnels. Sa proposition est volontairement succincte donc simpliste et relève de la démagogie politique. Car s’il indique quelques données justes et incontestables (comme la reprise de 35 milliards de dettes par l’Etat et le coût de la SNCF), il oublie volontairement de dire les manquements de l’Etat actionnaire durant les cinq décennies précédentes, la stratégie du tout-TGV, les influences des élus locaux et nationaux sur cette politique avec les conséquences graves sur l’état de l’infrastructures et les faiblesses de financement pourtant nécessaires (voir les efforts dans d’autres pays européens et le bel exemple du Royaume-Uni).
En mode complotiste et très actuel, il use de quelques vérités en omettant l’essentiel du retour d’expérience dans tous les pays d’Europe ayant mené la grande stratégie et politique d’ouverture à la concurrence. A savoir que la libéralisation des transports ferroviaire coute au final encore plus d’investissements publics d’Etat et/ou des collectivités régionales et locales que sous monopole total du secteur public étatisé.
Revenons à la proposition des députés du groupe EPR (macronistes)…
Devant cette information, on hésite entre provocation, éclats de rires et grave amnésie. Proposer la vente de la SNCF pour combler un déficit connu depuis l’automne 2023 par le président de la république et le Ministre de l’Economie (ministre durant 7 longues années), il fallait oser ! Il s’agit là d’une déclaration factuelle marquant l’irresponsabilité des anciens membres du gouvernement et majorité présidentielle. Il n’est pas sérieux de désirer que l’APE se sépare du contrôle de la SNCF et d’autres participations publiques dans des entreprises essentielles dans la politique nationale pour résoudre le sujet de la dette publique qui as été aggravé par des aides aux entreprises (sans création d’emplois ni de richesse supplémentaire). L’échec de la politique fiscale menée depuis 2017 ne peut être résolu sérieusement par cette proposition.
Quelles sont les options qui évitent ou favorisent la privatisation ?
Le seul argument favorable de la cession est le dégagement de recettes supplémentaires importantes pour l’Etat. Mais il s’agit d’une ressource ponctuelle valable une seule fois. L’ouverture du « marché ferroviaire de voyageurs » montre des difficultés sur le financement des infrastructures, sujet récurrent et quasi obsessionnel pour l’efficacité du système ferroviaire dans son ensemble. Le réseau ferroviaire français a déjà été morcelé et privé. Mais il faut reconnaitre que c’est par la puissance publique et elle seule qu’il avait retrouvé son lustre à compter de la création de la SNCF en 1938. Ensuite, c’est les actions erratiques de l’Etat actionnaire, le clientélisme, l’absence de respect des différents plans d’aménagement du territoire et de plans durables pluriannuels d’investissements qui a provoqué le délitement du réseau ferroviaire avec des éléments de concurrence intermodale routière et aérienne très défavorable au train.
Il pourra être proposer une option considérée médiane donc « responsable ». Car elle n’évoquera pas une « privatisation totale » pour rassurer. C’est « l’ouverture du capital » qui consistera à une privatisation des secteurs les plus « rentables » du groupe SNCF le privant ainsi de ressources importantes à l’image du scandale des concessions autoroutières. Certains experts très « libéraux » nous affirmeront qu’il faut « faire respirer le capital de la SNCF » et effectueront des comparaisons étonnantes avec France Telecom voire même la Régie Renault. Il est probable qu’il soit proclamé que cela sera positif pour l’épargne populaire. Tout en évitant de rappeler l’échec d’Eurotunnel (et des centaines de milliers de petits épargnants lésés).
Le nouveau ministre des transports est un connaisseur des transports publics. Mais il a pour message probable de demander à la SNCF de faire mieux et plus… avec moins de ressources financières. Autant lui répéter qu’à « l’impossible nul n’est tenu » …
Et comprendre toute l’ironie mordante de l’expression du Président de la SNCF J.P. Farandou répondant à M. CIOTTI au printemps dernier sur la vente du groupe public : « bon courage » !