Organisations
Télétravail et amende pour les entreprises : réalité ou grand bluff ?
Relayant les annonces gouvernementales, beaucoup de médias ont massivement annoncé que les entreprises allaient être mises à l’amende en cas de résistance à la mise en place du télétravail en leur sein. Pour joindre le geste à la parole, un amendement du gouvernement (visible ici) a été déposé le 31 décembre 2021. À la lecture de celui-ci, force est de constater que le mot télétravail n’apparaît nulle part : ni dans le texte législatif, ni même dans l’exposé sommaire.
L’amendement prévoit : « Lorsque la situation dangereuse résulte d’un risque d’exposition au covid-19 du fait du non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 du même code, l’autorité administrative compétente peut, sur rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail, et sous réserve de l’absence de poursuites pénales, prononcer une amende à l’encontre de l’employeur si, à l’expiration du délai d’exécution de la mise en demeure prévue par l’article L. 4721-1 dudit code, l’agent de contrôle de l’inspection du travail constate que la situation dangereuse n’a pas cessé ».
En résumé, seul le non-respect des principes généraux de prévention pourrait être sanctionné. Or c’est déjà le cas, l’article L 4721-1 du code du travail prévoyant que : « Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur le rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 constatant une situation dangereuse, peut mettre l'employeur en demeure de prendre toutes les mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte :
1° d'un non-respect par l'employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 ;
2° d'une infraction à l'obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l'article L. 4221-1 ».
Le non-respect de cet article est sanctionné par une amende pénale de 3 750 € (article L 4741-3 du code du travail).
La « nouveauté » de l’amendement gouvernemental est la création d’une amende administrative. Le télétravail (ou plutôt l’absence de télétravail) n’est pas spécifiquement visée. Une surprise ? Pas vraiment tant les annonces médiatiques se heurtent aux principes du droit.
L’amendement en question ne fait que reprendre ce que le Conseil d’État a déjà énoncé sur une prétendue obligation de télétravail évoquée déjà par le gouvernement en novembre 2020, dans le protocole sanitaire en entreprise, lequel était encore plus prescriptif que l’actuel, daté du 3 janvier 2022. À l’époque, le télétravail à 100 % devait même être « la règle ». Le Conseil d’État a ainsi jugé (CE n° 446797, 17 décembre 2020, Plastalliance C/la Ministre du Travail) : « Le protocole dont la suspension est demandée constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail.
Si certains termes du protocole sont formulés en termes impératifs, en particulier en ce qu’il est indiqué que “ Dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l’épidémie, le télétravail doit être la règle pour l’ensemble des salariés qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance“, le protocole a pour seul objet d’accompagner les employeurs dans leurs obligations d’assurer la sécurité et la santé de leurs salariés au vu des connaissances scientifiques sur les modes de transmission du SARS-CoV-2 et n’a pas pour vocation de se substituer à l’employeur dans l’évaluation des risques et la mise en place des mesures de prévention adéquate dans l’entreprise ».
« La fiche de questions-réponses sur le télétravail, publiée sur le site internet du Ministère du Travail et actualisée au 17 novembre 2020, rappelle ainsi que le protocole formalise, en matière de santé et sécurité au travail, les recommandations du Haut Conseil de la santé publique pour se protéger du risque de contamination au covid-19, qu’il appartient à l’employeur de mettre en œuvre les principes généraux de prévention énoncés à l’article L. 4121-2 du code du travail, qu’il lui incombe dans ce cadre d’évaluer les risques et de mettre en œuvre des actions et moyens de prévention adaptés, que la mise en place du télétravail pour les activités qui le permettent participe des mesures pouvant être prises par l’employeur dans ce cadre, et que l’employeur, qui reste tenu à une obligation de sécurité à l’égard du salarié placé en télétravail, doit être attentif au risque de situations de souffrance pouvant en résulter pour les salariés isolés et leur permettre le cas échéant de venir travailler sur leur lieu de travail ».
« De la même façon, l’instruction relative aux orientations et aux modalités d’intervention du système d’inspection du travail, adressée le 3 novembre 2020 par le directeur général du travail, rappelle la nécessité pour l’employeur d’évaluer les risques et de mettre en œuvre des moyens de prévention adaptés, en vertu des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail.
C’est sur ce seul fondement légal que peuvent être prononcées les mises en demeure adressées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ».
Ainsi, c’est à l’employeur et non à l’État qu’il appartient d’évaluer les risques en entreprise ainsi que le bénéfice-risque du télétravail. Voir ici l’article de l'alliance plasturgie et composites du futur Plastalliance, rédigé à l’époque et qui est toujours d’actualité.
Le télétravail est un mode d’organisation qui n’est pas neutre et peut lui-même générer des risques (isolement, désocialisation, épuisement professionnel etc) qu’il convient d’évaluer. Le télétravail est un moyen/outil possible qui peut être adapté dans certains cas mais pas un objectif ou la solution miracle. L’employeur ne peut ainsi être sanctionné sur le simple motif de ne pas avoir mis du télétravail en place dès lors que des mesures ad hoc ont été prises en entreprise pour limiter les risques de contamination au maximum (par exemple, une entreprise pourrait notamment décider de généraliser les masques FFP2, allant ainsi plus loin que le protocole lui-même qui réserve ce type de masques à des cas très particuliers). Il est temps de reprendre raison et d’éviter d’affoler les chefs d’entreprises et leurs salariés avec des annonces retentissantes mais inapplicables au nom du principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre.