Participatif
ACCÈS PUBLIC
16 / 04 / 2025 | 18 vues
Jean Louis Cabrespines / Membre
Articles : 44
Inscrit(e) le 20 / 08 / 2015

Retour sur la journée d'étude sur "Les coopératives de service public"

Bordeaux, un rendez- vous important à Sciences Po Bordeaux pour qui voulait parler de coopératives et particulièrement de coopératives de service public à partir des travaux menés par Thomas Perroud. Et, disons-le, cette journée fut riche en interventions variées, en découverte de certaines expérimentations, en relations improbables entre certains grands noms qui firent l’ESS et la naissance et la vie des coopératives.

 

Trois tables rondes ont éclairé cette journée, avec des approches complémentaires qui permettent de dire qu’à la fin de la journée, nous avions un tour d’horizon de ce qui pouvait se faire mais aussi des blocages et freins que pouvaient rencontrer les acteurs pour une autre économie:

- L’histoire de la coopérative et la fourniture de services d’intérêt général

- Les coopératives et les activités d’intérêt général à l’étranger

- Les coopératives et les activités d’intérêt général en France

 

L’histoire de la coopérative et la fourniture de services d’intérêt général

 

Lors de la première table ronde, aborder l’histoire de la coopérative par sa relation avec le fouriérisme n’est pas d’une évidence première. Pourtant, Bernard Desmars a su nous passionner pour ce que fut l’œuvre de Fourier, l’importance de son approche, ce que cela signifiait d’un changement profond de la relation au travail (voire à la paresse !) au travers de l’expression de la passion et combien son évolution de pensée et d’actes lui permit de devenir un des précurseurs du mouvement coopératif et d’ouvri r la voie à de nombreux autres pionniers (Henri Couturier, Jean - Baptiste André Godin).

 

Cette intervention fut suivie, presque naturellement, de celle de Christophe Prochasson sur « Jaurès, le socialisme et la coopération », soulignant que Jaurès n’est pas né coopérateur, il l’est devenu, rattachant cela au dialogue entre Jean-Jaurès et Charles Gide, abordant le passage de la démocratie politique à la démocratie économique.

S’il y eut proximité de pensée, il y eut polémique en particulier sur la place du peuple. Jaurès et le socialisme français ont été fortement influencés par le modèle socialiste belge et si Jaurès a soutenu la coopération, ce fut avec la volonté que ce ne soit pas au détriment du politique.

 

Olivier Chaïbi nous a éclairés sur un siècle d’éducation coopérative à l’école, s’interrogeant sur ce qu’il en reste. Le rappel historique de la coopération dans le milieu scolaire, ce qui a présidé à sa création et les évolutions, en particulier au travers de la création dans un passé récent de l’Office Central de la Coopération à l’École (OCCE) et de l’Institut Coopératif de l'École Moderne (ICEM), a permis d’en mesurer l’importance pour aider à la « fabrique des citoyens », mais aussi, a contrario de mesurer combien l’évolution (régression?) actuelle de la prise en compte de la coopération scolaire et sa gestion dans laquelle les «coopérateurs» n’ont plus voix au chapitre pose la question de sa réalité en tant que coopérative.

 

Enfin, Hugues Sibille a présenté la genèse de la loi et du démarrage des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), nous rappelant que cette naissance fut inscrite dans le contexte des « nouveaux services, nouveaux emplois » (création de 150.000 emplois, en particulier dans les activités d’utilité sociale) et des travaux menés par Alain Lipietz dont le rapport, remis le 1er janvier 2000 préconisait le vote d’une loi pour l’ESS (On attendra 14 ans avant qu’elle soit votée ! .

De même, ce fût une période forte de changement pour l’économie sociale et l’économie solidaire (elles n’étaient pas groupées à cette époque !), avec la publication de la circulaire fiscale des 4P, la définition de critères d’utilité sociale (dont on redonnera une nouvelle définition dans la loi ESS de 2014!).

 

Si la naissance des SCIC s’est faite dans une co-construction, elle était empreinte de crainte de changement pour les associations comme pour les coopératives, considérant que le statut des SCIC était à mi-chemin de leurs propres statuts.

Pendant 10 ans, le développement de ces nouvelles structures s’est fait «à pas lent» car perçu comme complexe : 230 SCIC en 10 ans pour 1.500 aujourd’hui car cette coopération territoriale répond aux besoins actuels dans les territoires. Le changement dans l’implication des collectivités locales (50% d’apport de leur part aujourd’hui pour 20% à la création) est un facteur important dans ce développement.

 

Les coopératives et les activités d’intérêt général à l’étranger

 

La deuxième table ronde portait sur les coopératives et les activités d’intérêt général à l’étranger à partir des expériences italiennes, belges, britanniques ou suédoises.

Au travers de l’histoire de la création des coopératives sociales, en Italie et leur implication dans l’ouverture de la psychiatrie, en particulier, Enzo Pezzini nous a présenté ce qui a grandement inspiré de nombreuses initiatives dans le monde. Ces coopé ratives destinées à la promotion de l’humain et à l’intégration sociale des citoyens , en lien avec les territoires, ont démontré la possibilité d’un équilibre entre dimension économique et dimension sociale.

Ce développement s’est fait, dans ce pays, par le regroupement en consortium des structures créées et « la stratégie du champ de fraise » qui s’étend en réseau. Il a pu développer son propos autour de la création des coopératives d’énergie, des coopératives de santé, des coopératives de communauté, des 232 coopératives sociales gérant des biens confisqués à la criminalité organisée et de 220 coopératives bancaires. Marie De Cock nous a présenté « La combinaison du droit public et du droit privé dans les services publics en Belgique », nous indiquant que le droit objectif se divisait en deux branches distinctes : le droit privé et le droit public.

Le droit privé régit les relations entre les individus (personnes physiques et morales) tandis que Le droit public concerne les structures de l’État ainsi que les relations entre l’Etat et les individus. Ces deux types de droit sont en fait interdépendants, et certaines décisions de l’un des droits peuvent emprunter des mécanismes à l’autre.

 

Les autres intervenants ont présenté leurs travaux...

Julian Le Grand nous a présenté : « Mutuelles de service public au Royaume-Uni» et Victor Pestoff est intervenu sur « Services publics coopératifs : Garde d'enfants en Suède»

 

Les coopératives et les activités d’intérêt général en France

 

Lors de la troisième table ronde, nous avons pu aborder Les coopératives et les activités d’intérêt général en France au travers des analyses et des apports d’expérience de 5 intervenants.

Ainsi, Frédéric Tiberghien nous donne quelques élément clés sur la place des coopératives de service public en France, en particulier en nous indiquant qu’il faut bien comprendre la différence entre intérêt général, intérêt collectif et intérêt particulier. Il part de l’organisation des différents types d’organisations de l’ESS (mutuelles, coopératives, associations,fondations) pour préciser ce qui les unit ou ce qui les différencie.

 

Partant de cette première approche, il décrit la gestion des services publics : en régie simple, par des établissements publics rattachés à une collectivité ou en gestion déléguée. C’est dans ce contexte particulier de la mise en place des services publics dans les territoires qu’il situe la création des SCIC, dans leur constitution particulière: leur activité n’est pas orientée vers ses membres mais bien vers le territoire, les parts sont détenues par plusieurs types d’associés (salariés, bénévoles, pouvoirs publics, ...), la moitié de leur gains est affectée à des réserves impartageables, la fourniture de biens ou services doit être attachée à l’utilité sociale (au sens de l’article 2 de la loi sur l’ESS de 2014). Il conclut en indiquant qu’il s’agit d’un outil privilégié pour organiser la relation entre ESS et collectivités territoriales.

 

Cette première approche a été complétée par Stéphane Pfeiffer, adjoint au maire de Bordeaux chargé de l’ESS qui nous a fait part de l’importance du développement des SCIC dans sa ville. Il indique que les collectivités se sont mobilisées pour proposer un partenariat public/privé/citoyens donnant ainsi lieu à la création de SCIC pour répondre aux besoins des habitants et des services publics.

Sur ce point, les collectivités considèrent qu’il y a lieu de rechercher des moyens de répondre aux missions de service public et que cela peut se faire par une complémentarité entre régie, délégation de service public, SCIC. Il considère cela comme un cercle vertueux et conclut en déclarant que dans 30 ans, les citoyens devront se prendre en charge et créer de nouvelles réponses.

 

L’intervention d’Armelle Ripart, partant de sa thèse portant sur la SCIC ENERCOOP, complétait les propos de Stéphane Pfeiffer en nous parlant de la mobilisation de citoyens pour remplir une mission de service public. Elle interroge la place des sociétaires dans une telle entreprise et fait part de la parole des coopérateurs par rapport à la question de l’énergie, la place de l’État et les relations avec une telle initiative, les choix faits, ....

 

Pour sa part, Aurore Chaigneau abordait la place des coopératives dans le paysage économique en s’interrogeant sur le fait qu’il s’agisse d’un choix réel ou d’un choix contraint.

Elle soulignait la possibilité de mettre en place des unités économiques et sociales qui, par le regroupement de plusieurs entreprises répond aux besoins repérés dans les territoires.

 

La conclusion est revenue à David Hiez qui nous parla de l’actualité des régies coopératives en soulignant les caractéristiques de celles-ci (selon Lavergne):

-Une création par décision des pouvoirs publics,

-Complète autonomie commerciale et financière vis-à-vis des pouvoirs publics,

-Les membres de la régie sont ses usagers,

-Principe de la porte ouverte,

-Les profits sont ristournés ou alloués à une réserve sociale.

 

Il prend alors trois exemples:

-Les communautés énergie (citoyennes et renouvelables)

-Les sociétés d’intérêt collectif agricoles d’électricité qui sont des services n’ayant pas vocation à s’adresser aux agriculteurs

- Les projets alimentaires territoriaux dont l'objectif est la structuration de l'économie agricole et la mise en œuvre d'un système alimentaire territorial.

 

Les points dominants de ces régies tiennent au fait qu’il ne s’agit pas d’initiatives publiques, que leur caractère local est très marqué, qu’ils agissent en mission de service public et que leur envergure est limitée. Il conclut en soulignant que les relations entre l’Etat et les coopératives doivent s’améliorer si on veut espérer de nouvelles collaborations pour des projets d’envergure.

 

Au terme de cette journée, soulignons la richesse des interventions qui ouvrent des portes sur cette notion encore trop ignorée de coopérative de service public. Nous voyons, au travers des exemples évoqués que si la SCIC est emblématique de ce type de coopératives, d’autres initiatives peuvent naître et qu’il y aurait à mener un travail plus approfondi pour trouver de nouvelles actions ou des entreprises de l’ESS qui pourraient répondre aux besoins dans les territoires et à l’utilité sociale.

***

 

Pas encore de commentaires