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15 / 09 / 2020 | 298 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Quels sont les profils des salariés les plus engagés dans le télétravail à l'heure de la réduction des effectifs ?

En avril 2020, en partenariat avec France Info, France 2 et le magazine Challenges le cabinet Technologia a réalisé une importante étude afin de donner la parole aux représentants du personnel. 2600 élus ont alors répondu à l’enquête et des dizaines d’entretiens ont été menés pour finaliser l’étude. Cette dernière, a révélé au grand public, les abus dans l’usage du dispositif de chômage partiel. 
 

Par ailleurs, l’étude a montré un fort investissement des salariés et de leurs représentants dans le dispositif de télétravail. A l’époque un tiers des salariés en télétravail se sont déclarés exposés à un fort épuisement professionnel. Il m’est apparu important de revenir sur ce sujet. En effet,  préciser les diverses causes qui poussent au sur engagement dans le télétravail permet d’aider à en réduire les risques.  


 

Pause
Télétravail à l'heure de la pause


 

Sur-engagement
 

Plusieurs portes favorisent l’entrée dans le sur-engagement lié au télétravail.  Ainsi, l’anxiété, la peur, le désir de bien faire, le goût pour répondre aux challenges de l’heure, l’ambition guident les hyperconnectés dans leur marathon quotidien.
 

L’économie est entrée dans une période complexe. L’endettement des entreprises, l’érosion de leur chiffre d’affaire, la perte de rentabilité conduisent à un durcissement du management. Dans dans les petites, les moyennes et grandes entreprises, dans tous les secteurs ce changement de paradigme managérial apparait. Les salariés sont soumis à un accroissement du niveau des exigences professionnelles de la part de l’encadrement. Les principaux dirigeants affrontent la pression concurrentielle et les risques de défaillances qui s’accompagnent d’un niveau de  stress chronique élevé. Ce d’autant plus que la crise Covid-19 succède à d’autres turbulences sociales qui ont eu des incidences économiques : mouvement des gilets jaunes, manifestations diverses et grèves contre les réformes… En bref, les ambiances sociales et économiques demeurent moroses depuis de trop longs mois. Cette sinistrose contribue au ralentissement de l’économie. Les français, inquiets, thésaurisent leur épargne avec plus de 80 milliards d’euros en quelques mois. 
 

Tous ces facteurs modifient la gouvernance des femmes et des hommes. Certains dirigeants ne perçoivent plus l’utilité et pensent ne plus avoir le temps pour « s’encombrer de règles sociales d’un autre âge ». Cet affranchissement des règles donne lieu à une montée des abus en matière sociale. Dans cette période nouvelle, un directeur général avec un ton mi moqueur mi résigné, m’avoua, il y a peu, que durant le confinement son entreprise avait pu tourner sans trop de dommages avec la moitié du personnel. 

 

« Anorexia corporate »
 

De fait le confinement a montré que, dans certaines entreprises, de nouvelles réorganisations pouvaient améliorer sensiblement la productivité par la suppression de postes de travail. Ce constat conduit les dirigeants à procéder actuellement à une pesée des postes de travail. Il s’ensuit d’ores et déjà des processus organisationnels qui réduisent les effectifs. Cette « anorexia corporate » c’est-à-dire un  processus organisationnel qui tend à réduire constamment le nombre d’employés séduit les dirigeants et génère à la fois une densification du travail et une insécurité forte chez les salariés. 
 

Alors que les entreprises cherchent à renforcer leur stabilité économique, le recours aux licenciements collectifs s’est démultiplié, mettant fin à de nombreux  contrats de travail. En effet, entre le 1 mars et le 5 juillet 2020, 193 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été mis en place pour environ 30 000 salaries soit le double de l’an passé à la même époque. Depuis lors, selon la presse c’est environ 30 PSE qui sont annoncés chaque semaine. A ces plans de sauvegarde de l’emploi, s’ajoutent les procédures pour les « petits licenciements » évalués à près de 1700 sur la même période. Par ailleurs, les contrats de travail peuvent aussi être rompus dans le cadre de séparations dites amiables plus connues sous le terme de ruptures conventionnelles individuelles. La courbe est à la hausse depuis sa création il y a un peu plus de dix ans. En 2019 elle a atteint un niveau record avec 444 000 dossiers aboutis. Enfin, ces ruptures amiables peuvent être formalisées par la signature d’un accord majoritaire entre les directions et les organisations syndicales prévoyant une rupture conventionnelle collective conduisant à une fin du contrat de travail d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Ce type d’accord peut permettre aussi de mettre en place des dispositifs « d’amélioration de la performance de l’entreprise » en imposant des contraintes (rémunération, temps de travail, mobilité) aux salaries. Dispositifs qui pour l’instant ne se développent qu’à la marge étant donné l’opposition des syndicats. Ces derniers considèrent que ce sont toujours les mêmes qui doivent régler la note de la crise et surtout que les plans conçus pour répondre à une situation conjoncturelle deviennent vite structurels sur le long terme. Ces plans participent aussi de la pression ambiante sur les collectifs de travail.
 

Une profonde décantation des postes de travail est donc en cours. Les ajustements d’effectifs surviennent de manière égrenée en dépit des programmes de soutien gouvernementaux tel que celui de la prolongation du dispositif exceptionnel d’activité partielle.  
 

Les employés dont les postes de travail sont jugés peu productifs ou non essentiels, ceux qui travaillent  sur des postes exposés, ou  encore les salaries au sein des entreprises dans lesquelles la menace d’un plan  de sauvegarde de l’emploi (PSE) plane ou est en cours de négociation, se démènent pour démontrer l’importance critique tant de leur poste  que de leurs  compétences. Chacun ressent un franc durcissement dans le dialogue social lié à la période, chacun le plus souvent courbe l’échine et se plie  à des exigences plus poussées en augmentant ses amplitudes de travail en présentiel et en télétravail, c’est à dire sa contribution pour être au rendez-vous de l’employeur quand sera venu le temps de l’évaluation.
 

D’autres catégories de personnel qui,  pour la plupart ont le goût des challenges, tentent de se montrer à la hauteur en se contraignant plus qu’à l’accoutumée dans leur vie privée afin d’apporter solutions et fluidité à leur hiérarchie. Ainsi, l’arbitrage vie privée/vie professionnelle se fait au profit de leur employeur. Ces salariés espèrent, en faisant preuve de rigueur et d’un engagement soutenu, préparer une promotion à venir en démontrant leur valeur dans l’épreuve. Cette ambition naturelle, amplifie néanmoins le contraste avec l’attitude de  salariés qui pour certains n’ont pas pris la mesure des changements à venir et des modifications de comportement que cette période exige. Bon nombre de  salariés se montrent en effet désabusés et « revenus de tout ». Ils préfèrent demeurer dans une attitude moins proactive. Certains il faut le reconnaitre sont tout simplement pétrifiés par la situation et ne disposent pas des ressources nécessaires pour mettre en place une stratégie de survie et de valorisation de leur travail. Cette passivité relative est aussi à mettre en relation avec les modalités de management à distance souvent perfectibles. 
 

Parmi ces salariés convaincus de la nécessité d’un fort engagement, il convient de préciser la catégorie de ceux qui ont un job dit vocationnel. Pour ces derniers ce n’est pas tant la relation avec l’employeur qui importe mais plutôt leur exigence pour effectuer une œuvre de qualité. Cette activité leur procure sens et les nourrit sur le plan spirituel. Le sentiment et l’exigence du travail bien fait les conduisent à ne pas compter leurs heures. Ils se nourrissent de la qualité de leur travail, de l’utilité de celui-ci, aux dépens parfois de leur santé dans une activité débridée. 
 

Au delà de ces catégories qui s’investissent fortement dans le travail à distance, des milliers de personnes se sentent menacées à tort ou raison dans leur emploi…Cette précarité virtuelle « intégrée » les conduit à s’investir totalement dans une dimension quasi sacrificielle pour sauver leur job. Leur perception peut ne pas être fondée, mais quoi qu’il en soit, dans un pays marqué par le chômage de masse et de longue durée, 1 million de personnes a une durée de chômage supérieure à 2 ans,  la peur du lendemain les conduit à s’immerger plus fortement et consciemment dans le télétravail pour répondre aux attentes et passer le cap….la préoccupation majeure étant de garder son job dans la période actuelle.

 

Isolement
 

Les personnes victimes d’anxiété ou angoissées en raison de la période, souffrent généralement de l’isolement, perdent leurs repères sécurisants, ne savent plus vraiment faire la part des choses et pour combler leur anxiété entrent dans un travail compulsif à distance n’établissant plus vraiment la frontière entre vie professionnelle et vie privée… A noter aussi que les salariés qui n’ont pas ou pas encore de famille à charge, ou dont les proches sont loin s’investissent beaucoup plus dans le télétravail. Les enfants en cela sont une protection contre le sur-engagement dans le télétravail.
 

Les personnes qui avant Covid-19 ressentaient un désir de changer d’entreprise, qui rencontraient, parfois mais pas toujours, des difficultés dans leur travail- se trouvent désormais bloquées dans leur aspiration à la mobilité. En  effet, le marché du travail n’offre que peu de solutions à court terme dans son atrophie actuelle. Ayant « lâché » dans leur tête leur ancien emploi, elles le redécouvrent parfois de manière forcée avec un peu de culpabilité mais aussi de reconnaissance, « l’herbe n’est peut-être pas si verte ailleurs » « mieux vaut tenir que courir » elles font preuve alors d’investissement et de dévouement vis-à-vis de leur employeur.
 

Rappelons toutefois que selon l’article L 4121-2 du code du travail l’employeur a l’obligation d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de les transcrire dans un document unique d’évaluation des risques professionnels. Il doit par ailleurs prendre toutes mesures utiles afin de respecter son obligation de préserver la santé et la sécurité des employés notamment par des actions de formation, d’information. En cela le rôle du management est capital afin notamment de prévenir l’excès de télétravail et de l’accompagner. Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail doivent se mettre en place : actions d'information et de formation, mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. A défaut, la responsabilité de l’employeur peut être engagée. A ce titre une réflexion sur le télétravail doit être menée par l’employeur avec les représentants du personnel et les acteurs de la santé et de la sécurité au travail afin de conduire à la signature d’un accord collectif permettant d’encadrer celui-ci et de mettre en place des indicateurs de suivi. L’accord devant permettre en particulier la mise en débat des situations de travail réel et l’analyse régulière de l’évolution du télétravail

 

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