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09 / 10 / 2019 | 390 vues
Etienne Dhuit / Membre
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Inscrit(e) le 16 / 09 / 2019

Quand Amazon menace le lien social...

Pas la peine d’attendre le déploiement de drones annoncé par la firme américaine pour constater que le géant de la distribution a déjà contribué à détruire une partie de ce qui faisait le sel du commerce : le lien humain.

 

Ce pourrait bien être le plus dangereux des GAFAM. Alors que Google se voit régulièrement accusé de fomenter une révolution transhumaniste, Facebook de manipuler les esprits et les élections, la firme fondée par Jeff Bezos (première fortune mondiale) fait souffler un vent de panique sur les acteurs du commerce. L’été dernier, Bernard Darty (cofondateur du groupe du même nom) se fendait d’une tribune dans laquelle il accusait le géant américain d'e-commerce de « détruire le commerce traditionnel ».

 

En cause : la présence d’Amazon dans un nombre croissant de secteurs et sa méthode de pénétration de nouveaux marchés, qui consiste à mettre ses concurrents à genoux en cassant les prix, notamment par des offres gratuites temporaires. Une stratégie autorisée par son formidable trésor de guerre, constitué à travers la location de ses services de cloud, là où les bénéfices occasionnés par la vente au détail sont peu rentables.

 

Livre, e-commerce, commerce physique, cloud, maison connectée, streaming musical et vidéo, en attendant la pharmacie... Amazon est désormais partout et les consommateurs adhèrent. À terme, la crainte des observateurs est de voir une bonne partie des commerces traditionnels disparaître et tout le lien social qui va avec. On le constate déjà avec la désertification des centres-villes, même si l'e-commerce n’est pas le seul facteur explicatif. À Calais, Carcassonne, Dax, Montélimar et Nevers, plus de 15% des commerces ont fermé.

 

Cette crainte d’une atomisation sociale s’exprimait déjà du temps de la croissance des hypermarchés. Sauf que ce sont eux qui sont désormais menacés. Il y a deux ans, une étude de Cushman & Wakfield montrait que la fréquentation des centres commerciaux américains avait chuté de 50 % entre 2013 et 2016. Des fermetures en série sont annoncées pour les années à venir, au point que la presse économique parle de « mall gate ».

Se réinventer pour résister

Face aux voix qui s’élèvent pour dénoncer les conséquences de son écrasante domination, le mastodonte californien répond en se lavant les mains. Devant les craintes exprimées par Donald Trump de voir des commerces et des emplois disparaître, le vice-président d’Amazon a déclaré : « Je ne pense pas que ce soit notre travail de faire quoi que ce soit », renvoyant la balle aux gouvernements et à la société. Jeff Bezos s’est exprimé à maintes reprises pour dire qu’il était prêt à débattre des questions de régulation. Mais pour l’instant, ni les autorités antitrust, ni les gouvernements ne semblent décidés à bouger, si ce n’est en adaptant leur fiscalité à la marge.
 

Et si le premier capable de faire bouger les choses était le consommateur ? Facilité d’achat, personnalisation du conseil, délais de réception sans cesse raccourcis : tout est fait pour réduire l’effort à un simple clic. Pourtant, des alternatives existent. Des plates-formes concurrentes créées par des réseaux de professionnels proposent des services équivalents à ceux d’Amazon, pour qui veut bien remettre ses habitudes en cause. Dans sa tribune, Bernard Darty posait la question en des termes simples : « souhaitons-nous échanger très provisoirement une baisse des prix pour le consommateur qui les adore, contre une modification définitive de notre style de vie ? ».
 

Dans ce nouvel environnement, choisir des façons alternatives de consommer tient pratiquement du geste citoyen. C’est d’autant plus possible que les acteurs sévèrement secoués par Amazon organisent la résistance. Un exemple : la vente de livres, secteur par lequel le géant de l'e-commerce a entamé sa fulgurante ascension. Si une grande ville comme New York a vu s’effondrer le nombre de librairies en quelques décennies, celui des librairies indépendantes a augmenté de 35 % entre 2009 et 2015 dans le reste des États-Unis. Désireux d’en faire plus qu’un simple espace de ventes, leurs propriétaires investissent dans le conseil, l’organisation d’événements et la création de véritables lieux de vie. Ils recréent de l’utilité et du lien humain sur les ruines du désert numérique. Ce qui n’est, au fond, qu’une façon de revenir à l’essence du métier.
 

En France, où l'État est souvent initiateur, régulateur et prescripteur des comportements individuels et collectifs, des normes coercitives à l'égard d'Amazon seraient souhaitables. Pourquoi ne pas imaginer une imposition telle qu'une micro-taxe sur les transactions électroniques ? Au lieu d'une taxe GAFA, à peine implantée et déjà contournée, critiquée par de nombreux économistes pour ses effets pervers, qui sont convaincus qu'elle serait presque exclusivement financée par les intermédiaires de vente et le consommateur final.

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