Prévenir l’épuisement professionnel des soignants en EHPAD
Le fait démographique majeur des prochaines décennies sera le vieillissement de la population. En 2020 la France comptera 21% de femmes et d’hommes âgés de plus de 65 ans et 3,4% de plus de 85 ans, dont 24 200 centenaires.
Le nombre de personnes présentant une diminution plus ou moins handicapante de leurs capacités physiques ou mentales augmentera lui aussi ; elles seront très nombreuses à connaître une période de perte d’autonomie (voire de mémoire) qui nécessitera leur placement en EHPAD. Pour leur part les soignants de ces établissements sont confrontés à la fin de l’existence de personnes dont l’état physiologique, psychologique et mental se dégrade, jusqu’à l’inexorable.
Favorisée par le confinement de l’espace de vie, une relation d’emprise psychologique peut s’installer entre le soignant et le soigné et provoquer la négation progressive de l’identité, déjà atteinte, de la personne âgée et de ce qui reste de ses droits et de ses libertés.
Avec un regard plus sociologique, cette relation soignants-soignés peut s’assimiler à la relation de don décrite par Marcel MAUSS. Pour cet anthropologue toute forme de don, si généreuse soit-elle, doit être compensée par un don en retour (le contre-don) pour équilibrer la relation donateur-donataire au risque sinon que s’installe entre eux une relation de violence préjudiciable à l’un comme à l’autre.
L’apport de MAUSS permet de comprendre combien le contre-don - venant du soigné - est nécessaire pour équilibrer la relation avec le soignant, la rendre socialement et humainement supportable, en lui donnant un débouché symbolique et éthique constituant sa véritable valeur sociale.
Qu’en est-il lorsque la personne soignée n’est plus en capacité d’exprimer sa reconnaissance pour les soins qui lui sont prodigués (toilette, nourriture, bienveillance) et le bien-être qu’elle en ressent ?
Il faut alors que se mettent en place des compensations d’une autre nature permettant aux soignants d’éviter de sombrer dans le cynisme, la maltraitance, ou l’épuisement professionnel. En conséquence il revient à la société elle-même de leur exprimer sa reconnaissance pour l’importance du travail réalisé auprès des soignés mais aussi, plus généralement pour l’harmonie sociale elle-même.
Être dévoué à des personnes dépendantes, continuer à les maintenir dans un état de dignité physique et relationnelle, maintenir un lien, alors que tout lien parait dépassé, n’est praticable à long terme que s’il y a en retour une authentique valorisation institutionnelle et sociale du travail réalisé. Or c’est tout le contraire que l’on observe : le peu de valeur humaine et symbolique que la société attache aux missions de ces professionnels sans parler du manque de personnel, du recours trop fréquent à des stagiaires remplaçants, le tout avec des rémunérations qui signent « le peu de prix » que les établissements et la société leur manifestent. Leurs conditions de travail se dégradent aussi pour une productivité protocolisée (dix minutes par toilette…), source de conflit de loyauté vis-à-vis soit de l’employeur soit des personnes âgées, aggravant la souffrance au travail ; c’est la surcharge de travail plutôt que la qualité de celui-ci ! L’une des conséquences étant que, plus les professionnels sont en souffrance, moins ils sont en capacité d’une relation bienveillante avec les résidents, une spirale relationnelle morbide finit alors par s’installer dans ces établissements.
Les personnes âgées ont non seulement besoin de soins mais de traitements médicaux d’autant que les diverses pathologies qu’ils présentent ont tendance à se chroniciser. Les médecins sont eux aussi confrontés à cette relation particulière avec des patients dont l’état de santé ne peut que se dégrader irrémédiablement.
Il faut que se constitue une véritable équipe de soins et de traitements avec une présence médicale forte ; mais celle-ci fait de plus en plus défaut ! Le recours à la télémédecine, qui peut être utile en certaines circonstances, peut aggraver cette situation en réduisant la présence médicale dans l’établissement à la seule image du médecin sur un écran.
Cette prise en compte du don, et du contre-don dans la relation de soins et de traitements des personnes âgées dépendantes devrait permettre d’éviter des impasses psychologiques, relationnelles, éthiques, pour prévenir dans les EHPADS le mal-être des soignants voire leur épuisement professionnel.
Michel Debout, Professeur Emérite de Médecine Légale et de Droit de la Santé
Luis Vasquez, Psychologue clinicien, CHU de Saint-Etienne
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