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18 / 09 / 2024 | 104 vues
CSE Randstad Sud Est / Abonné
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Pour que la sur-accidentologie des intérimaires ne soit plus une fatalité : comment le CSE Randstad Sud-Est agit-il ? 

Un CSE peut se fixer un objectif et les moyens pour l'atteindre, sans suivre l'agenda du dialogue social imposé par sa direction. Une approche innovante illustrée par la journée-débat organisée par le CSE Randstad Sud-Est à Lyon le 11 juillet dernier sur la sur-exposition des salariés intérimaires à la mort au travail pour mettre à plat les moyens d'actions à développer pour prévenir les risques, avec le double regard externe d'un sociologue et d'un avocat.


Les entreprises utilisatrices se voient désormais imputer la moitié du coût d'un accident du travail contre un tiers jusqu'à maintenant. Le décret d’application du 5 juillet grave cette évolution dans le marbre. Les entreprises de travail temporaires vont donc payer moins. Raison de plus pour affirmer leur responsabilité en tant qu'employeur des salariés intérimaires mis à disposition.


Ne pas accepter l'inacceptable
 

"Le taux d'accident des salariés intérimaires est inacceptable. Il n'y a aucune fatalité et c'est ce qui motive l'action que nous avons engagé avec succès au tribunal. Il reste encore beaucoup à faire pour mettre la direction face à ses responsabilités. C'est l'objet de cette journée-débat que de créer les conditions pour avancer ensemble", annonce Guy Perrot, salarié permanent et secrétaire de la CSSCT du CSE Randstad Sud-Est. 

 

CSE Randstad Sud Est
Journée-débat organisée par le CSE Randstad Sud-Est à Lyon le 11 juillet dernier sur la sur-exposition des salariés intérimaires à la mort au travail



Une vingtaine d'élus intérimaires et permanents ont participé le 11 juillet à une première journée d'échange organisée par ce CSE sur les actions à mener pour réduire la sur-exposition des salariés intérimaires à la mort au travail. Une journée à laquelle participait les élus du CSE Sud-Ouest amené à fusionner prochainement avec le premier.


"L'objectif de de cette rencontre vise à dépasser nos étiquettes syndicales respectives car le sujet mérite une approche commune sur laquelle capitaliser. C'est d'autant plus important dans le cadre préélectoral dans lequel nous sommes. Il y a une synergie des attentes en matière de prévention des risques entre les élus permanents et les élus intérimaires et nous disposons d'un budget pour imposer un rapport de force. C'est d'ailleurs pour cela que nous venons d'assigner la direction pour que les élus intérimaires aient accès au système d'information de Randstad comme tous les permanents", souligne Peggy Angard, salarié permanente et secrétaire du CSE Sud-Est qui insiste sur la coordination avec la CSSCT, notamment dans la fixation des points à l'ordre du jour des réunions du CSE.


L'accidentologie des salariés intérimaires fait l'objet d'un suivi d'autant plus significatif de la part de la CSSCT que l'analyse des accidents du travail par la direction de randstad sud-est est réalisée pour 82% des accidents du travail avec un arrêt de plus de 4 jours (Cf Quand le droit à la santé des salariés l'emporte sur le droit de la propriété).


C'est ce suivi du CSE qui a amené à faire condamner, le 14 septembre 2023, la société pour manquement à ses obligations concernant les risques professionnels des salariés intérimaires au regard du taux d'accident plus élevé constaté dans la région Sud-Est par rapport aux autres périmètres de l’entreprise et alors même que le taux de fréquence des accidents dans la branche de l'intérim est largement supérieur à celui des autres activités. L'occasion aussi de prouver que le CSE avait tout fait pour éviter d'en arriver à la case justice mais que la direction avait insuffisamment pris en compte l'amélioration de la prévention des risques pour les salariés intérimaires.


Mauvaise volonté
 

Le jugement est exécutoire malgré l'appel. Il contraint notamment la société d'intérim à intégrer ses salariés intérimaires dans le DUERP. Une décision suivie de près par l'ensemble des acteurs patronaux de la branche. "Pour le moment, la direction fait montre de mauvaise foi et joue la montre en arguant du fait qu'elle n'a pas la main sur la prévention dans les entreprises utilisatrices mais ce n'est pas ce que nous lui demandons. S'assurer que des salariés intérimaires qui ne maîtrisent pas la langue française puissent prendre connaissance des règles de sécurité peut par exemple parfaitement s'intégrer dans le document unique. Il y a aussi un risque psycho social à intégrer pour des permanents qui vont envoyer des salariés intérimaires dans des entreprises sans fiches de poste", illustre Georges Meyer, avocat associé du cabinet Delgado Meyer qui a porté le dossier au tribunal pour le CSE Sud-Est.


De fait, 75 % des postes pourvus font l'objet d'une analyse préalable alors même que la direction s'est fixée un objectif de 90 % dans la "roue de de la prévention", le nom de baptême de sa démarche de prévention. On mesure la difficulté de l'exercice pour les salariés permanents quand ont sait que seulement 20 % des entreprises utilisatrices font remonter à l'entreprise de travail temporaire la liste des postes à risques qui nécessitent une formation renforcée à la sécurité...Les axes d’amélioration ne manquent pas. "Chaque agence décide sur son budget de son niveau d'investissement dans les équipements de protection individuelle (EPI). C'est certes un gage de responsabilité mais cela se traduit par une hétérogénéité du niveau de qualité des équipements, or une chaussure de sécurité  bas de gamme fait mal au pied. Ce budget était auparavant mutualisé", rappelle José Vallée, élu intérimaire au CSE Randstad Sud Ouest.


La question des moyens des permanents pour s'assurer que les conditions de prise de poste adéquates se pose d'autant plus à l'heure où la stratégie commerciale vise à se développer sur le terrain des TPE et PME où la culture de la prévention des intérimaires est quasi inexistante . "L’exposition au danger est temporaire mais cela ne signifie pas que le le risque est moins important", explique Louis-Marie Barnier, sociologue et représentant CGT au Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) qui considère que c'est la construction sociale de l'intérim qui porte les germes d'une prévention défaillante (Cf Des salariés intérimaires seuls responsables de leur patrimoine santé). Sur la base d'une étude collective de la DARES de 2021 sur les liens entre la précarité d’emploi et les conditions de travail à laquelle il a contribué, le sociologue prépare, là encore au sein d'un collectif, la publication aux éditions La Dispute de La condition intérimaire.

 

Randstad Sud Est
Interventions croisées de Louis-Marie Barnier, sociologue et Georges Meyer, avocat


Sortir du cadre des réunions pour ouvrir le débat


L'action du CSE ne se borne pas à instruire des dossiers, à l'image du déplacement d'une délégation à l'assemblée générale des actionnaires qui se tenait à Amsterdam le 26 mars 2024. Secafi y a porté la parole de l'expert du CSE tandis que Fabien un élu intérimaire membre de la CSST a souligné la nécessaire prise de conscience des actionnaires sur l'exposition aux risques des salariés intérimaires. "Notre parole a été entendue mais il n'y a pas eu d'engagement", reconnaît Fabien. "Les actionnaires n'ont pas l'habitude qu'on leur parle ainsi mais cela est nécessaire. La réalité est qu'un salarié intérimaire a deux fois plus de malchance de mourir au travail", lance Jean-Claude Bussy, élu intérimaire au CSE Randstad Sud Ouest. Des élus qui comptent bien de nouveau s'inviter à la prochaine assemblée générale des actionnaires. "Cela nous a ouvert un canal de communication direct avec le comité exécutif du groupe. Il faut sortir des salles de réunion", affirme Guy Perrot. "On a été trop loin dans la dématérialisation des relations. Quand un intérimaire passe à l'agence, il parle de ce qu'il a fait. C'est donc l'occasion pour les salariés des agences d'avoir une meilleure connaissance des postes", explique José Vallée. Impossible pour les élus d’en rester aux 7 droits de retrait comptabilisés en 2023 sur le périmètre Sud-Est au regard de la réalité des risques vécues au moment des prises de poste.


Un nouvelle journée débat s'annonce à l'horizon avec d'autres CSE de Randstad, et d'autres entreprises de travail temporaire ainsi que des CSE d'entreprises utilisatrices, où l'occasion sera notamment donnée aux représentants des services de l'Etat (DREEETS et Carsat) d'affirmer leur rôle pour une meilleure prévention des risques au travail des salariés intérimaires

 


 

  • Quand le droit à la santé des salariés l'emporte sur le droit de la propriété 


Quand un intérimaire est victime d'un accident du travail, le CSE de l'entreprise d'intérim mène pas une enquête dans l'entreprise utilisatrice car ce serait une ingérence dans son autonomie de gestion. Les élus de l'entreprise de travail temporaire peuvent tout juste recueillir auprès de ceux du CSE de l'entreprise utilisatrice des informations sur les conditions de l’accident pour être en capacité de questionner leur direction. Un arrêt de la Cour de cassation du 26 février 2020 ouvre néanmoins une porte puisqu'il reconnaît le droit à expertise pour risque grave du CHSCT de Manpower Ile-De-France voté en 2018 qui concernait l'entreprise utilisatrice Feedback, sous traitant d'Enedis pour la pose des compteurs Linky. "Pour la première fois le droit à la santé  l'emporte sur le droit de la propriété pour les salariés intérimaires", souligne Louis-Marie Barnier. C'est lors d'une mission chez Feedback qu'un élu du CSE de Randstad Sud-Est a été victime d'un grave accident de travail justifiant une action en justice en cours. A noter que rien n'empêche les élus des CSE des entreprises utilisatrices de voter un recours à expertise pour risque grave en cas de surexposition des intérimaires aux accidents.
 

  • Des salariés intérimaires seuls responsables de leur patrimoine santé 


Dans l'intérim, on parle d'abord d'équipement de protection individuel (EPI) avant d'aborder les moyens collectifs or c'est l'inverse qu'un employeur "classique" est censé appliquer. "C'est comme si l'intérimaire était responsable de sa propre sécurité avec une gestion individuelle de son capital physique", remarque le sociologue Louis-Marie Barnier qui invite à combattre les idées reçues comme celle consistant par exemple à considérer que les intérimaires se fichent de la qualité de leur travail. La prévention passe par la capacité à interroger le rapport des intérimaires au travail. "Pour cela, il faudrait commencer par accorder une valeur à leur parole", lance le sociologue. 

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