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28 / 05 / 2025 | 18 vues
Nicolas Faintrenie / Membre
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Plaidoyer pour un droit de rédiger les accords collectifs

Par deux articles en 2024, la Section Fédérale ouvrait une trilogie consacrée à un plaidoyer pour un droit de rédiger les accords collectifs (1). Début 2025, cette démarche prend une nouvelle dimension avec le dépôt de trois recours contre des organisations patronales pour déloyauté des négociations. Ces actions visent à mettre en lumière l’importance de ce droit avant d’en revendiquer pleinement l’application.

 

La négociation collective est un terrain de confrontation moins inégalitaire par nature que celui des rapports de force non régulés par le droit. Elle s’est imposée car elle est plus constructive, à défaut parfois d’être plus productive. Elle est le fruit d’une longue histoire, épousant la pente du temps mais tributaire de reliefs parfois éprouvants.


La rédaction des accords collectifs : garantie d’une négociation loyale


Présente depuis plus d’un siècle, la négociation collective au niveau des branches reste imparfaite et menacée. Rédiger un accord collectif est un acte clé qui doit être équitablement partagé.


Malgré la démocratisation de l’instruction, l’émergence et l’affirmation de métiers nécessitant des salariés de haute qualification, ou encore la professionnalisation des fédérations syndicales, les organisations patronales conservent majoritairement le monopole de la rédaction des accords collectifs. Il ne s’agit pas que d’une question de forme : elle incarne la capacité à transcrire fidèlement le dialogue social et à refléter les revendications exprimées.
 

Pourtant, nous avons constaté que cet accaparement conférait un avantage décisif au profit de ces organisations et au détriment des organisations syndicales de salariés et, partant, des salariés qu’ils représentent (2).

 

Face à ce constat, notre Section Fédérale a relevé plusieurs cas où l’exclusion des syndicats de la rédaction a vicié, voire bloqué, les négociations. Après analyse, nous avons saisi la justice sur trois dossiers emblématiques pour défendre ce droit et garantir des négociations plus équitables.


Dans un contexte où la reconnaissance du travail et des travailleurs est en jeu, nous avons ciblé en priorité les accords sur les salaires minima hiérarchiques.


Les figures de la déloyauté


Dans notre précédent article, nous avions identifié plusieurs formes de négation du droit à rédiger les accords collectifs. Notre analyse a mis en lumière une nouvelle pratique, que nous assimilons à un refus pur et simple de négocier.


1. Le refus de négocier


Dans la branche des prestataires de services, au cours des deux dernières années, notre équipe a multiplié les revendications (écrites), seule ou en intersyndicale. Elle s’est heurtée chaque fois à un refus de négocier porté par les excuses les plus farfelues – au point de choquer l’ensemble des organisations syndicales.
 

Le dernier accord sur les salaires minima dans cette branche date du 13 décembre 2022, porté à partir de nos  revendications . Il avait permis de ramener le premier niveau de la grille au-dessus du SMIC.


Aujourd’hui, sept niveaux restent en deçà du minimum légal…


2. Le dernier coup de plume


Dans la branche bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (BETIC), la veille de la séance finale de négociation, l’organisation patronale majoritaire a transmis un projet d’accord intégrant une clause révisant la convention collective sans respecter les délais et le formalisme imposés par les textes. Les parties qui, jusqu’à présent et dans le cadre défini, négociaient sur les salaires minima, ont reçu un texte supprimant l’obligation d’exprimer la valeur du point dans la
formule inscrite dans cette convention.


Cette modification, qui n’a pas été signalée par les rédacteurs de cette proposition, n’a pas été discutée en séance.


Cette manoeuvre subreptice n’a pas  modifié notre décision de non-signature. Mais elle a été validée par la signature des autres organisations.;D’après nos échanges, il n’est même pas certain que ces signataires aient identifié la clause ajoutée et sa portée…


3. Les malfaçons


Dans la branche des huissiers, les organisations patronales ont conclu un accord en s’assurant qu’il ne pourrait jamais être appliqué… En effet, afin de pouvoir s’appliquer à l’ensemble des salariés d’une branche, l’accord doit être « étendu » par les services de l’Etat. Pour cela, il doit comporter une formule sacramentelle.


La branche le sait pertinemment, puisqu’elle en fut le cobaye. Un précédent accord sur les salaires minima avait ainsi été paralysé par les services de l’Etat, faute de contenir cette clause…


Cette branche s’inscrit dans une fusion avec la branche des commissaires-priseurs.


A force de persévérance, notre organisation syndicale a obtenu l’ouverture d’une négociation et un accord dans cette branche en cours de fusion. Mais, lorsque nous reçûmes l’accord à signer, la clause n’existait pas.
 

Nos demandes pour l’ajouter sont restées lettre morte, un représentant patronal allant même jusqu’à confirmer, par écrit, qu’il s’agissait d’un choix délibéré. De nombreux salariés nous ont depuis alertés sur l’inapplicabilité de cet accord non étendu. Cette malfaçon volontaire prouve que l’accaparement de la rédaction par les organisations patronales n’est pas un simple enjeu de commodité ou de maîtrise technique. Il s’agit d’un levier de pouvoir qui remet en cause la loyauté des négociations collectives.


La négation de la capacité de rédiger s’analyse en déloyauté


Cette affirmation n’est pas (encore) une évidence. Nous espérons qu’elle le deviendra par son assimilation en un acte de déloyauté et sa sanction en justice.


D’un strict point de vue juridique, le Code du travail dispose que « l’engagement sérieux et loyal des négociations implique que la partie patronale ait communiqué aux organisations syndicales les – ce qui est déjà le cas dans deux des trois branches concernées par notre action.


Pour transformer cette exigence en véritable obligation, nous avons exploré la notion de bonne foi issue du Code civil, qui s’applique à la conclusion de tout contrat, y compris un accord collectif de branche. Au-delà de son caractère général, cette obligation présente un atout majeur : elle peut engendrer d’autres devoirs, tels que l’obligation de transparence entre les parties contractantes, voire, dans certains cas, une obligation de conseil.

Elle contribue ainsi à réduire l’asymétrie entre les parties.


Par ailleurs, certaines décisions de justice sur la négociation collective en entreprise ont permis de préciser le principe de loyauté des négociations. Ces avancées constituent autant de leviers pour affirmer ce principe au niveau de la négociation collective de branche et poser une première pierre vers la reconnaissance du droit des organisations syndicales de salariés à rédiger les accords collectifs.

 

Notre organisation s’engage ainsi dans une nouvelle étape de la structuration de la négociation collective en France, poursuivant la construction de droits et de garanties collectives en faveur des salariés.

 

(1) Debout n°175, avril 2024, p.10 et 11  / Debout n°176, mai 2024, p.12 à 14 

(2) Debout n°176, mai 2024, ibid.

(3). Article L. 2241-3 alinéa 2 du Code du travail

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