Pas de manquement à l’obligation de loyauté pour le salarié « lanceur d’alerte » :la Cour de cassation tranche
Il peut arriver que le salarié soit témoin de faits commis par ses collègues ou par ses supérieurs hiérarchiques. Que faire lorsque ces faits sont susceptibles de tomber sous le coup d’une qualification délictueuse voire criminelle ? Les dénoncer pourrait exposer le salarié à des répercussions fâcheuses mais ne rien dire pourrait aussi être préjudiciable.
Conscient de cette problématique, le législateur a prévu des dispositions protectrices, dès 2013. En effet, la loi n° 2013-1117, du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a intégré des dispositions de protection dans le code du travail. En 2016, la loi dite « Sapin 2 » est allée plus loin en créant un statut pour les salariés « lanceurs d’alerte ».
La Cour de cassation a eu à connaître de ces questions dans une décision rendue le 29 septembre 2021 (Cass. soc., 29 septembre 2021, n° 19-25989). Dans cette affaire, un salarié avait eu connaissance de malversations commises par l’employeur. En raison de la gravité de ces faits, le salarié en avait informé le bureau de l’association pour laquelle il travaillait. En vain, puisque le bureau avait alors décidé de maintenir le directeur général dans ses fonctions, sans même attendre les résultats de l’enquête sur l’affaire. Le salarié avait alors décidé de signaler ces malversations auprès de plusieurs de ses collègues. Mais pour l’employeur, il est allé trop loin. L’employeur lui a notifié son placement en congés payés pendant huit jours, avant de le licencier pour faute grave. Le salarié a alors saisi la juridiction prud’homale, invoquant la nullité du licenciement.
Des faits susceptibles de caractériser un délit et signalés de bonne foi par le salarié sont-ils constitutifs d’une faute grave ? La Cour de cassation répond par la négative.
La Cour de cassation considère qu’il résulte de l’article L 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Autrement dit, le salarié bénéficiait d’une protection légale contre le licenciement en raison des faits qu’il a dénoncés.
La Cour de cassation rappelle que pour bénéficier de cette protection :
- il est nécessaire que les faits relatés par le salarié ou ceux dont il témoigne soient susceptibles de caractériser un délit ou un crime. La solution n’est pas nouvelle, la Cour de cassation avait eu l’occasion de statuer en ce sens, par exemple en novembre 2020 (cf. Cass. soc., 4 novembre 2020, n° 18-15669) ;
- il faut également que le salarié soit de bonne foi. Pour la Haute Juridiction, la mauvaise foi ne résulte que de la situation où le salarié qui relate les faits en connaissait la fausseté, peu importe que ces faits soient vrais ou faux (Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-13593).
L’employeur ne saurait invoquer un manquement à l’obligation de loyauté (art. L 1222-1 du code du travail et 1104 du code civil). À défaut, la mesure prise contre le salarié encourt la nullité, à l’instar des autres mesures discriminatoires (art. L 1132-4 du code du travail).
Elle en conclut que : la Cour d’appel a constaté que le licenciement était motivé par le fait que l’intéressé, dont elle a relevé la bonne foi, avait, le 13 janvier 2016, signalé faits qui, s’ils étaient établis, seraient constitutifs de délits dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et contre lesquels son employeur ne souhaitait manifestement pas agir auprès de plusieurs salariés des malversations qui auraient été commises par le directeur général au détriment de l’association. Elle a, en outre, relevé que le salarié avait d’abord saisi le bureau de l’association de ces faits, qui réuni le 12 janvier 2016, avait décidé de maintenir le directeur général à son poste sans attendre les résultats de l'enquête et que ce dernier avait, dès le lendemain 13 janvier 2016, personnellement notifié à M. [V] son placement en congés payés pour huit jours ouvrés. À bon droit, la Cour d’appel a déduit de ces seuls motifs que le licenciement était nul.
Quelles sont aujourd’hui les mesures de protection du lanceur d’alerte ?
Depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin 2 » (modifiée par les lois n° 2018-727 du 10 août 2018, n° 2019-222 du 23 mars 2019 et n° 2020-734 du 17 juin 2020), le lanceur d’alerte est défini comme une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Le lanceur d’alerte bénéficie dorénavant d’un régime « général » de protection contre les sanctions qui pourraient être prises à la suite de l’exercice de son alerte. À noter que cette procédure d’alerte se distingue du droit d’alerte dévolu au CSE et prévu par les articles L 2312-63 et suivants du code du travail.
L’article L 1132-3-3 a été enrichi après l’entrée en vigueur de la loi « Sapin 2 ». L’article L 1132-3 du code du travail prévoit une protection similaire pour les cas où le salarié dénoncerait des faits discriminatoires ou liés à l’exercice du droit de grève. Dans tous les cas, le salarié bénéficie de la protection de sa liberté d’expression, sauf en cas d’abus, au titre de l’article L 1121-1 du code du travail.