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02 / 04 / 2019 | 428 vues
Philippe Grasset / Membre
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Lutte contre la fraude fiscale : création d'un service d'enquêtes judiciaires financières, avec quels moyens ?

La création d'un service d'enquêtes judiciaires financières a été présentée lors du comité technique ministériel présidé par la secrétaire générale des ministères économique et financier.
 

Jusqu’à la loi 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, les agents des services fiscaux spécialement habilités étaient intégrés à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et rattachés au Ministère de l’Intérieur.
 

Face au nombre de dossiers complexes toujours croissants, Gérald Darmanin a souhaité une réorganisation de ce service. Au sein du ministère du budget, il a décidé de créer un service à compétence nationale (SCN), regroupant les agents de l’actuel service national de douane judiciaire (SNDJ) et les officiers fiscaux judiciaires (OFJ).
 

Ce service sera rattaché à Bercy, sous la double tutelle du directeur général des douanes et droits indirects et du directeur général des finances publiques.
 

Aux côtés des officiers des douanes judiciaires (ODJ), les officiers fiscaux judiciaires exerceront des missions de lutte contre les infractions mentionnés à l’article 28-2 du code de procédure pénale.
 

Le service sera dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire (comme le SNDJ actuellement). Il sera composé d’un service central et d’implantations locales : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort de-France.
 

Ce service à compétence nationale se composera de 296 emplois (241 ODJ et 25 OFJ) et sera mis en place le 1er juillet 2019.
 

Nos observations et commentaires : des moyens encore sous-dimensionnés face à l'ampleur de la tâche


Les textes soumis à l’avis de ce CTM sont le prolongement de la loi votée par le Parlement. Ils résultent d'une longue réflexion et posent un cadrage légal à un projet longuement médité. Celui-ci suscite tout de même bien des interrogations de la part de différentes sources qui travaillent déjà sur la fiscalité.
 

Nous avons bien entendu les propos largement relayés sur les ondes et dans la presse de la chef de l’actuel SNDJ, qui promet qu’il n’y aura pas de « guerre des polices ». Mais nous entendons aussi que le patron de l'office central anti-corruption, qui dispose en tout de 80 agents (contre 250 à la douane judiciaire) et dont le service croule déjà sous des dossiers relatifs à des affaires que nous ne citerons pas ici, aurait bien aimé recevoir des renforts.
 

Certes, pour la Justice, de nouveaux enquêteurs c'est effectivement une très bonne nouvelle. Une trentaine d'agents de la Direction générale des finances publiques sélectionnés prendront leurs fonctions en juillet prochain, après plusieurs mois à l'École nationale des douanes.
 

Avec la suppression du verrou de Bercy, il y a aussi une volonté de faire travailler la Justice et les finances publiques ensemble. Le parquet national financier s'y essaye déjà depuis quatre ans et nous connaissons les difficultés rencontrées mais nous devons positiver.
 

Pour autant, qu’il nous soit permis d’affirmer ici que cette configuration ne sera pas celle qui permettra de trouver les 60 milliards tant espérés, non que la fraude n’existe pas mais uniquement car les moyens sont encore sous-dimensionnés face à l'ampleur de la tâche. De plus, ce ne sont que des transferts et non des créations d’emplois pour notre ministère.
 

Qu’il nous soit permis de rappeler aussi que le projet de supprimer 40 000 postes de fonctionnaires censés combattre cette fraude perdure.
 

Que la répartition sur tout le territoire de ce service reste à optimiser et enfin que les 250 agents de l’administration des douanes s’interrogent encore à l’idée de ce basculement vers le ministère, sans autre explication qu’un comité technique de réseau très évasif et avec des textes légaux qui vont jusqu’à prévoir un basculement possible vers le ministère de l’intérieur.


En effet, il y a eu plus de développement sur les méthodes de travail de l’analyse du risque de fraude fiscale et le « data mining » en particulier, que sur la formation et le devenir des agents de cette nouvelle structure.

 

  • Data mining : les limites d’un recrutement extérieur à l’administration
     

Il faut reconnaître qu'à l’instar de la direction des douanes, le ministère fonde un grand espoir sur l’analyse des données et sur son évolution possible (comme l’affirme le directeur général des douanes qui, dans les débats publics, évoque la possibilité d'avoir des algorithmes pour faire le lien entre les chiffres et les lettres).
 

Notre fédération et ses syndicats des douanes et des finances publiques souhaitent vivement que nous nous montrions très exigeants sur les recrutements des experts en « data mining ».
 

Sur le plan méthodologique, tout le monde s'accorde à dire que l'analyse des données (analyse secondaire) a introduit en France une rupture dans la pratique statistique dominante. Or, l’exploitation des données ne doit pas constituer une discipline autonome. Le prospecteur emprunte à l'informatique ou à la statistique les outils qui lui sont nécessaires, en vue d'une action et, dans cette action, il a accès à des données très sensibles, ce en quoi et pourquoi nous devons être très exigeants dès le recrutement. Nous avons là les limites d’un recrutement extérieur à l’administration.
 

Dans le cadre de cette nouvelle orientation de travail, ne survendons pas le « data mining » car les enjeux ne sont pas ceux des courants de fraude maffieux. Il concerne le trafic commercial courant (même s’il peut devenir irrégulier) et demande, en sus d’études des données, d’autres analyses relevant aussi du discernement mais surtout une impartialité exemplaire (qualités qui relèvent de l’humain et non de logiciels analytiques).
 

 Nous ne partageons pas les propos de Gérald Darmanin qui affirme que 50 % ou plus de la fraude fiscale sera détectée via des algorithmes.
 

Par ailleurs, nous ne minimisons pas l’importance et la dangerosité pour nos collègues des investigations en matière fiscale.
 

Nous revendiquons pour les agents en charge de cette mission une véritable reconnaissance et une protection particulière, ce qui n’est pas le cas pour les zones de travail d’Ivry comme pour les locaux de province. 
 

Au moment où l’instance européenne reproche à certains États membres de ne pas jouer le jeu sur les questions de fraude fiscale et réfléchit à la mise en place d’une instance de contrôle en parallèle de celle menée sur la protection des lanceurs d’alerte, notre gouvernement et notre ministère affichent leur volonté de s'engager dans la lutte contre la fraude fiscale.
 

Pour autant, nous estimons que ce premier pas devra être complété, par plus de ressources d’emplois et par une formation très pointue. Les résultats de ce service seront très attendus car ils sont de nature à apaiser l’exaspération liée aux demandes répétées d’efforts aux populations, de réduction de services publics, en parallèle de la dissimulation de centaines de milliards d'euros par an de la part de grandes entreprises qui surfent sur des législations fiscales différentes d’un pays européen à l’autre. Déjà comparé à une « guardia di finanza » à la française, ce service mérite tout de même une présentation un peu plus poussée que le courrier envoyé par la chef du SNDJ en avril 2018.
 

Au regard du petit nombre de cet effectif d’enquêteurs, nous comptons donc sur le grand esprit de communication de notre ministère pour détailler les déclinaisons de la nouvelle synergie des équipes pour affronter la grande délinquance économique et financière. À ce stade, il reste beaucoup d’interrogations sur les futurs moyens attribués à ce service et concernant les agents ; quid de leur affectation, de leur position statutaire, de leur régime indemnitaire et de leur règle de gestion ? Il ne faut pas que cette nouvelle police fiscale devienne la vitrine du contrôle fiscal et signe la mort des services de vérification de la DGFIP et de la Douane dans le réseau.

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