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16 / 05 / 2025 | 60 vues
Gilbert Deleuil / Abonné
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L’Etat et les lumières

Galilée.sp  a conduit en 2023/2024 un travail sur « Rallumons les Lumières » qui donnera lieu à la publication d’un ouvrage et à une manifestation de présentation. En liaison avec le CIRIEC, il a été décidé un autre chantier sur « « De quel Etat avons-nous besoin ? ».

 

Nous avons lancé avec Pierre Bauby, un appel à contributions… En effet, le contexte en cours nous y invite urgemment. Marqué par une crise de la puissance publique et de la démocratie, il voit la montée concomitante des populismes en France comme dans le Monde.

 

L’idéal républicain d’un Etat des Lumières

 

En France, l’alliance entre l’Etat et les valeurs des Lumières s’exprime dans le concept de République, là où ailleurs on ne la reconnait que dans le seul concept de Démocratie.

 

Qu’est-ce que l’Etat ?

 

L’Etat est la notion la plus ancienne. Sa conception moderne remonterait au traité de Westphalie (1648). On peut résumer sa définition comme ceci : l’Etat désigne un territoire et une population relevant d’un même pouvoir politique souverain, quelle que soit sa forme (monarchie, aristocratie, démocratie, République, autocratie…). Il détient sur son territoire le monopole de la force légitime (Max Weber).

 

C’est, juridiquement, le seul sujet de droit international et le seul acteur habilité à passer des traités internationaux pouvant éventuellement consentir des restrictions de souveraineté comme c’est le cas des traités régissant l’Union européenne.

 

Comme Janus, l’Etat a donc deux faces : une face politique et une face administrative. Sa face politique renvoie au texte constitutionnel, voire, dans certains cas à la coutume, qui le régit sur le plan des principes et de l’organisation des pouvoirs publics : République/Monarchie, autocratie/démocratie ; régime présidentiel, semi présidentiel ou parlementaire ; Etat centralisé, fédéral ou décentralisé ; degré de séparation des pouvoirs … Sa face administrative est constituée des services publics et des agents publics, lesquels sont placés sous l’autorité du Gouvernement et des ministres qui le composent.

 

L’Administration est donc l’instrument d’action du Pouvoir politique quelle que soit le degré de décentralisation ou de déconcentration de l’Etat.

 

Qu’est-ce que les Lumières ?

 

« Les Lumières » est une expression utilisée pour désigner l’important courant de pensée qui du milieu du 17ème siècle à la fin du 18 ème a profondément marqué l’Europe occidentale et les USA naissant. « Audare sapere » telle est leur définition selon Kant et ils caractérisent la « modernité ».

 

Celle-ci se distingue par le primat de la raison (Descartes) par rapport à la conception religieuse du monde et aux préjugés. C’est la recherche de la vérité et la naissance de la science moderne. Elle s’appuie sur la reconnaissance des droits naturels de l’Homme : parmi ceux-ci, le plus important, le droit à la liberté ; le droit à la sureté/sécurité (voir l’habeas corpus anglais…), l’égalité…

 

Elle repose sur la tolérance en général, la tolérance religieuse (Voltaire) et la liberté de conscience.

 

Sur le plan politique, au travers du contrat social (Hobbes, Rousseau) elle ne reconnait que le peuple comme « souverain » légitime de dernier ressort. Les penseurs des Lumières étaient cependant partagés entre partisans de la « monarchie éclairée » (Montesquieu, Voltaire…) et républicains (Diderot, Rousseau) … La séparation des pouvoirs (Montequieu) et le parlementarisme sont perçus comme des contre poids à un pouvoir exécutif toujours tenté par le despotisme et l’autocratie.

 

Sur un plan plus « administratif », comme on le voit dans la Déclaration de 1789, le courant des Lumières prône, en réaction au népotisme et au favoritisme de mise dans les pouvoirs despotiques, l’égalité d’accès aux offices publics (origine du statut des fonctionnaires et des concours…). De même, promeut-il l’égalité devant les charges publiques, l’impôt… Celui-ci dans les limites des strictes nécessités… Le principe d’égalité sera ensuite mis en œuvre au travers des services publics et des politiques publiques…

 

Sur le plan politique autant qu’administratif, autant national qu’international, la règle d’or est l’Etat de Droit. Celui-ci est garant de la justice dans le traitement des citoyens, de la rationalité des décisions applicables et des bonnes conditions d’exercice de la souveraineté. Sur le plan international, il permet une régulation pacifique des relations, litiges ou conflits entre Etats (cf SDN, ONU, Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1949…).

 

La crise de l’Etat des Lumières, risque d’extinction des Lumières …

 

Depuis le 18ème siècle les valeurs des Lumières, qui n’ont jamais été un corps de doctrine mais une source d’inspiration culturelle et civilisationnelle, ont connu bien des vicissitudes et ont été épisodiquement malmenées : régimes autoritaires du début du 19 ème siècle, colonisations, fascisme, nazisme, stalinisme…

 

Le néo-libéralisme lancé au début des années 1980 par le tandem politique Thatcher-Reagan, sur une idéologie inspirée par les économistes Friedrich Von Hayek et Milton Friedmann, a entrainé un rapide développement des échanges et une réallocation des ressources à l’échelle planétaire (« la mondialisation »). Pendant ce temps, l’Union soviétique s’effondrait (1990).

 

Le monde entier était promis à une mondialisation heureuse et à la démocratie.

 

Aujourd’hui, ce paysage radieux est complètement bouleversé : Crise de l’Etat et de la puissance publique

 

Il est difficile de nier une certaine crise de l’Etat en tant que puissance publique apte à conduire des politiques publiques d’intérêt général réclamées par le peuple « souverain ».

 

C’est ainsi que la France connait un taux de prélèvements obligatoires, un taux de dépenses publiques conjugués à un taux d’endettement public parmi les plus élevés au monde et que, malgré cela, la plupart des services publics connaissent de déplorables difficultés :  défense, sécurité intérieure, justice, éducation nationale, santé…

 

Plusieurs facteurs ont contribué à amoindrir la « puissance publique à faire » :

 

  • la décentralisation administrative qui a conduit à la création d’un « mille feuilles »
  • surtout, l’Union européenne au travers de la mise en œuvre de politiques néo-libérales (libre échange international, lutte contre les monopoles industriels européens, élimination des aides aux entreprises, ouverture des marchés publics à la concurrence etc…).

 

Les politiques néo-libérales, de 1979 à 2020, ont conduit aux délocalisations et à la désindustrialisation, à l’écrasement des classes moyennes, à un chômage structurel élevé, à la baisse du pouvoir d’achat des classes populaires, corolairement un niveau élevé d’immigration et, globalement, à une augmentation du PIB bien moindre que les dépenses publiques. D’où les déficits publics et l’importance des taux de prélèvement et de dépense publics.

 

Aux yeux de l’opinion publique, le sentiment est que les différents gouvernements et les différents partis politiques ont failli à leur mission. D’où un faible crédit accordé aux politiques (sauf les maires) et aux institutions ainsi qu’un fort taux d’abstention aux élections et la montée de partis populistes.

 

La République en danger, allons-nous vers l’extinction des Lumières ?

 

Sur un fond de crise de la Raison, la crise de la puissance publique conduit assez logiquement à une crise de la Démocratie, de l’Etat de Droit lui-même et du service public.

 

Crise de la Raison

 

Les Lumières reposent sur le primat de la vérité par rapport aux croyances et aux préjugés. C’est le fruit de notre culture gréco-romaine et de la Renaissance (Galilée etc).

 

Or, aujourd’hui à l’ère du numérique et de l’Internet, nous assistons à un dangereux renversement de perspective. Darwin est remis en cause. Les créationnistes continuent d’affirmer que le Monde a été créé par Dieu en 6 jours. Il y aurait des vérités alternatives. Les complots sont partout. Les « fakes news » sont légion sur les réseaux. Des élections sont truquées par la manipulation d’électeurs via le web.

 

Tandis que les progrès de la science et de la technologie n’ont jamais été aussi importants, nous assistons à l’émergence d’une formidable régression de l’Humanisme menacé non seulement par la guerre nucléaire mais également par le réchauffement climatique, le transhumanisme et l’obscurantisme….

 

Crise de la démocratie

 

Comme en Allemagne au début des années 30, sur fond de malaise social et d’insécurité culturelle, on voit surgir des partis et des leaders politiques prônant le retour à la souveraineté nationale dans tous les domaines, à l’autorité de l’Etat et aux valeurs traditionnelles (famille, sexualité, enseignement…).

 

Une certaine « élite » (l’establishment) est présentée comme « bien-pensante » et porteuse de l’idéologie dominante : partis de Gauche, droite libérale, mouvement woke, journalistes, responsables économiques, fonctionnaires … Une nouvelle théorie de la lutte des classes…

 

Cette élite, au nom d’un peuple qu’elle opprimerait (chômage, baisse du pouvoir d’achat, insécurité culturelle…), doit être éradiquée (cancel culture à l’envers…) et des hommes forts doivent être portés au pouvoir pour « renverser la table » néolibérale et néosocialiste (welfare state…), les deux étant confondu dans un même mouvement. Libéralisme autoritaire ou nouveau fascisme ? ….

 

Crise de l’Etat de droit

 

L’Etat de droit, directement inspiré des Lumières et des exigences de la démocratie est vilipendé et présenté comme une construction politico-juridique opposée à l’expression de la volonté populaire et surtout de ceux qui se présentent comme ses représentants (complotisme). La séparation des pouvoirs est bafouée, les juges sont considérés comme de simples laquais ou des partisans ….

 

Cette critique ressemble au concept marxiste de « superstructure » : construction idéologique permettant à la classe dominante de légitimer son ascendant sur la classe dominée…

 

Quelques exemples concrets : affaire du Capitole aux USA, réactions du RN à l’inéligibilité de Marine Le Pen, démantèlement de l’administration US par des procédés apparemment irréguliers…

 

Sur le plan international, le populisme prône le bilatéralisme plutôt que le multilatéralisme et le recours à la force. Voir D Trump et le Canada, le Groenland, Panama ; la sortie de l’OMS…

 

La sécurité ne repose plus sur le droit mais sur la force. C’est une terrible régression civilisationnelle.

 

Crise du service public

 

La crise du service public, comme la crise de l’Etat-puissance publique sont antérieures au populisme. Elles résultent largement de l’ancien néo-libéralisme et, probablement aussi, d’un Etat-Providence un peu trop décorrélé de l’économie productive.

 

Ces crises ont nourri l’essor du populisme.

 

Mais celui-ci est-il réellement la solution ?

 

A en juger par le programme DOGE confié, en dépit du conflit flagrant d’intérêt à Elon Musk et ses équipes, la réponse est clairement négative.

 

Couper « à la tronçonneuse » dans les dépenses publiques, dans un Etat où celles-ci sont structurellement plutôt faible semble ne répondre qu’à une injonction idéologique.

 

L’Etat américain se démantèle lui-même de manière indiscriminée, au grand détriment des agents du service public et des couches populaires auxquelles on retire toute protection… La réalité américaine paraît tout autre et viser à diminuer la pression fiscale sur les riches afin de les rendre encore plus riche…

 

Et maintenant ?

 

Bien sûr la France et l’Europe ne sont pas les USA. Mais « l’internationale réactionnaire » est une réalité et le risque de contamination est élevé.

 

En tout cas nous savons que ce n’est pas avec les méthodes régressives populistes que l’on règlera les problèmes de l’Etat, de nos services publics et des politiques publiques dont ils sont les supports.

 

La nécessité de « rallumer les Lumières » s’impose pour permettre à l’Etat républicain de répondre aux défis de ce nouveau siècle, ce qui exige de comprendre les raisons de l’essor du populisme et d’apporter des réponses de fond.

 

Pour paraphraser un ancien premier ministre de la France (Laurent Fabius), « le RN apporte de mauvaises solutions à de vrais problèmes ».

 

Cela pourrait être, en quelque sorte, la feuille de route de Galilée.sp et du CIRIEC dans la réflexion qu’ils lancent sur le thème : « De quel Etat avons-nous besoin ? ».

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