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14 / 06 / 2022 | 1818 vues
Georges De Oliveira / Membre
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Les maux sous les mots : quand le salarié devient collaborateur

 Depuis assez longtemps maintenant, les entreprises, notamment dans les multinationales de l’Assurance, remplacent le mot « salarié » par « collaborateur ». Le terme s’est installé dans les consciences avec tout ce qu’il véhicule.... Florilège et décryptage.

 

Un changement de mot n’est jamais innocent

 

Un salarié vend sa force de travail que l’entreprise achète à profit. Le mot « collaborateur », en revanche, suggère un intérêt commun et une responsabilité conjointe avec la direction et les actionnaires de l’entreprise. Partant de ce principe, les textes et accords insistent sur des notions de « co-construction  », « d’ADN commun  », de «  culture d’entreprise », pour l’obtention de la fameuse « reconnaissance ».

 

Le « collaborateur » reçoit de la « reconnaissance »

 

La «  reconnaissance  »  est un mot qui décale insidieusement la relation de travail. Le salaire devrait s’entendre, non plus comme un dû contractuel pour le travail effectué, mais comme une marque de reconnaissance individuelle dont l’évolution ne dépendrait que du « collaborateur » et de sa capacité à la mériter. Les entreprises transfèrent donc de plus en plus de responsabilités sur les salariés élevés à la « dignité » de « collaborateurs », supposément « autonomes  » et clairement en compétition pour l’obtention de la fameuse « reconnaissance ».

 

Dès lors, c’est un engagement personnel total et permanent qui est exigé des « collaborateurs », une mobilisation de toute la personne au service de l’entreprise, une identification à elle, une adhésion à ses stratégies. En résumé, le collaborateur «  méritant  » adopte un comportement « corporate » ou « comportement d’entreprise ».

 

La « reconnaissance » s’obtient par le « comportement »
 

Cela a introduit, dans le monde du travail, l’évaluation comportementale, à la limite de l’illégalité et d’ailleurs toujours contestée par notre organisation syndicale.

 

À force d’être pratiquée, elle constitue désormais au moins la moitié des objectifs et appréciations professionnelles d’équipe et individuelles. Mais du comportement « corporate » à la personnalité « corporate », la frontière est ténue et les entreprises la franchissent avec l’introduction des « soft skills » (les « savoir-être ») par opposition aux « hard skills » (les « savoirfaire » concrets directement utiles à l’exécution du travail).

 

Du « comportement » à la personne elle-même

 

Les « soft skills » ou « savoir-être », de par l’imprécision de cette notion, ont permis le glissement de l’évaluation déjà abusive du comportement à celle de la personnalité. En effet, les qualités et dispositions naturelles exploitables, telles que la sociabilité, la capacité à convaincre, à accepter et faire accepter le changement, à prendre des risques, à innover, l’adaptabilité, l’esprit de compétition ou le « leadership », sont transformées en «  attitudes attendues » et en objectifs professionnels obligatoires.

Ces «  soft skills  » standardisés, formatés en conformité avec les besoins de l’entreprise et régulièrement évalués, dépassent de très loin le périmètre du « travail » et les obligations contractuelles des salariés.

 

La personne individuellement responsabilisée

 

Auparavant, l’entreprise n’exerçait qu’une contrainte physique sur le salarié qui n’avait pour obligation que de venir pointer, effectuer ses tâches. Maintenant, elle étend son contrôle sur l’esprit et la façon d’être du « collaborateur ». Elle envahit son espace mental en plus d’investir son domicile privé par le télétravail.


L’entreprise n’évalue plus seulement la quantité et la qualité du travail mais aussi les qualités personnelles mises en œuvre pour le réaliser. Ces objectifs immatériels protéiformes et les évaluations individuelles subjectives qu’ils entraînent dans ces entreprises - où les salariés sont, de surcroît, contraints de se réadapter continuellement aux restructurations incessantes et aux mutations des métiers - créent un environnement de travail incertain, précaire et anxiogène.

Les salariés devenus « collaborateurs responsabilisés » et supposément « estimés » sont englués dans un entremêlement malsain de l’intime et du professionnel tout en jouant les funambules « agiles » à des postes de travail et dans des métiers devenus instables, changeants, sans garantie d’avenir. Le risque psychosocial s’en trouve décuplé.

 

De la responsabilisation à la culpabilisation

 

Le «  collaborateur  » ainsi savamment conditionné et placé dans une atmosphère de travail propice au harcèlement moral, ressent son épuisement nerveux, ses difficultés professionnelles, comme un échec personnel dû à une insuffisance de son propre caractère autant qu’à l’effet de pressions extérieures.


Les DRH exploitent cette fragilité pour se dédouaner. Le cas échéant, elles dégainent l’arme de « l’insuffisance professionnelle  » qui peut s’abattre à tout moment sur n’importe qui. Au final, les entreprises reportent sur le salarié la responsabilité de son « employabilité  ».

La «  non-employabilité  » est brandie comme une sorte de «  maladie » du « collaborateur » qui n’a pas été assez «  responsable  », ni suffisamment « co-constructeur » de sa carrière, pour s’en prémunir.

 

Du « collaborateur culpabilisé » au « syndicat responsable »

 

Les militants qui défendent les salariés tombés dans ce piège mortifère doivent eux-mêmes lutter contre ce conditionnement. Cette combinaison, voire fusion inconsciente du travail et de la personne, des intérêts des travailleurs avec ceux des actionnaires, invite les syndicats à accepter le titre de « partenaires sociaux » supposément « co-responsables ».


Tout syndicat qui entrerait dans ce « partenariat », adopterait une position antinomique avec la défense des droits et des intérêts des salariés qui, en dépit de l’étiquette « collaborateurs », restent de la « main-d’œuvre » subordonnée dont les intérêts propres doivent être défendus par des syndicats indépendants

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