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Le représentant de proximité : quel « personnage » pour quel dialogue social ?
Dans notre précédent article de mai 2018 intitulé « Les représentants de proximité (RP) : derrière les mots, quelle réalité ? », nous indiquions (en conclusion) que « la notion de RP est donc lourde d’enjeux politiques et sociaux par delà un cadre juridique élastique qui montre bien que « c’est en dynamisant un dialogue social de proximité que les entreprises contribueront à « relativiser » le poids des changements politiques en montrant qu’ils ne sont pas seuls porteurs de transformations ».
Il faut d’abord s’interroger sur le réel besoin stratégique de reconnaître une fonction « de proximité », donc sur l’état réel de son fonctionnement effectif avant de s’emparer d’une mission de « représentation de proximité ».
À l’analyse des nombreux accords de création portant sur les CSE et redéfinissant le dialogue social dans les entreprises qui se sont multipliés, du fait du retard pris dans la mise en place effective des CSE, depuis le début 2019, il nous paraît important de mettre les partenaires sociaux en garde sur l’articulation des missions dévolues à cette nouvelle forme de représentation du personnel et celles dont les membres des CSE doivent s’emparer et qu'ils doivent faire vivre.
Comme le fait remarquer Benjamin Dabosville dans son article consacré aux RP, publié dans la revue Dalloz – Droit du Travail de juin 2019, « la création des RP marque une rupture dans la logique d’articulation des canaux de représentation du personnel » et le législateur n’a (en effet) prévu que peu de règles à la mise en place des RP (les RP doivent être membres du CSE ou désignés par lui et la durée de leur mandat ne peut être supérieure à celui du CSE suivant L 2313-7).
La création du RP doit donc permettre d’éviter tant une dégradation des institutions (le CSE) qu’un affaiblissement du lien de représentation.
Alors que penser de l’accord signé en mai 2019 au sein de Décathlon ou (paradoxalement) alors que le rôle du RP (titre IV de l’accord) consiste à :
- traiter localement avec la direction les réclamations individuelles et collectives de son site,
- traiter localement les questions liées à la protection de la santé et la sécurité des salariés et participer à l’amélioration de leurs conditions de travail,
- le cas échéant, mener les enquêtes en cas d’accidents graves ou répétés,
- réaliser les visites et inspections,
- exercer le droit d’alerte.
Il est spécifié dans les « moyens d’action » des RP (avec un crédit d’heures de 8 heures par mois dans lequel le salarié doit « informer son responsable par écrit dans les 8 jours avant la pose de celle-ci, sauf urgence » !) qu’il est « rappelé (ce qui est curieux comme formulation) que les échanges entre le magasin leader et le RP doivent se faire prioritairement au quotidien et de vive voix ». Il est même indiqué que « si et seulement si la réponse n’est pas apportée par le biais des échanges réguliers et de vive voix, le RP formule (…) des questions dans un document partagé type » (consultable et à la disposition et consultable des membres du CSE).
Du fait même des missions dévolues notamment en matière de prévention des risques professionnels (inspections, enquêtes et alertes notamment), on voit mal comment le fait de rejeter la traçabilité écrite des constats faits puisse être source de progrès social.
Il faut bien voir que, très souvent, l’existence d’un danger grave et imminent est prouvée par la présence même de documents écrits provenant de toutes les sources dont celles émanant de l’activité des représentants du personnel.
Dans une orientation similaire à celui de l’accord critiqué précité, nous pouvons aussi remarquer l’accord PMU du 11 avril 2018, qui stipule que « le RP peut remonter par tout moyen aux membres du CSE toute suggestion ou réclamation dans son champ d’intervention préalablement abordée auprès des représentants de l’employeur et en concertation avec lui ». « Le RP peut transmettre par tout moyen aux membres du CSE toute information en matière de risque lié à la santé, sécurité, de discrimination et de harcèlement moral et sexuel ».
Pour conclure ce panorama qui vise à alerter sur le risque de faire du RP un ersatz (imitation médiocre suivant la définition du Larousse) de représentation du personnel, il faut aussi relever l’accord de Renault du 17 juillet 2018 qui indique que « la rédaction du relevé des échanges (entre RP et direction) est effectué par les représentants de la direction remontant toute problématique particulière qui n’a pas trouvé de solution locale malgré les échanges intervenus ».
Le souhait de ne pas faire des RP un « rapporteur » mais uniquement un « transmetteur » est dommageable pour les salariés qui auront ainsi du mal à faire confiance à ces « représentants » dont l’action n’est pas « tracée ».
Il importe donc de comprendre qu’un accord de vaut que pour l’usage qu’en font ses destinataires, c’est-à-dire combien la création des RP implique non seulement une réflexion poussée en amont de la conclusion d’un accord mais aussi, en aval, un renouvellement notable des pratiques de dialogue social.