Participatif
ACCÈS PUBLIC
12 / 04 / 2022 | 98 vues
Jean Paul Segade / Abonné
Articles : 6
Inscrit(e) le 25 / 07 / 2019

Et si il y avait trop d'hôpitaux en France ?

Cette question suscite de vifs débats, mais n’en demeure pas moins légitime. Dans un premier temps, il convient de s’arrêter sur la terminologie car dire qu’il y a trop d’hôpitaux ne veut pas dire qu’il y a trop de sites, ça ne veut pas dire non plus qu’il faut supprimer des lits. S’interroger sur le nombre d’hôpitaux en France, c’est se demander s’il n’y a pas trop de structures administratives. Il semblerait que la réponse soit positive.

 

Trois raisons peuvent l’expliquer :

 

  • Historique d’abord, puisque l’origine des hôpitaux en France prend ses racines dans l’histoire religieuse de notre société. Les premiers lieux d’accueil des malades furent, en effet, au Moyen Âge, les Hôtels-Dieu situés à proximité des églises et des congrégations religieuses dont les membres se consacrent aux soins aux malades. Ces établissements sont devenus, au fil du temps, des structures communales ou encore des habitations et des hôtels.
  • Politique ensuite, puisque l’hôpital est le premier employeur et le premier donneur d’ordre en termes de marchés publics. Les communes et singulièrement les maires ne souhaitent donc pas renoncer à la présidence d’un conseil de surveillance de l’hôpital sur leur territoire. En outre, la France est toujours « le jardin des Gaulois » où chacun a sa vision sanitaire. Les résistances en matière de réorganisation sont donc fortes.
  • Le progrès médical exponentiel, enfin, avec pour conséquences de concentrer les progrès techniques et la spécialisation des métiers. Ce progrès ne va-t-il pas mener pour les soins comme pour la recherche à des regroupements nécessaires de structures ? Regroupement qui, bien sûr, ne signifie pas fermer des sites mais suppose une véritable coordination et coopération. Coopération que les syndicats interhospitaliers ont d’ailleurs tenté de développer, sans succès.

 

Plus récemment, si les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ont connu des avancées, le mal de l’administration française sévit toujours : les structures se superposent mais ne sont pas supprimées, à l’instar des collectivités territoriales. En interne, les pôles n’ont pas supprimé les services et en externe les GHT n’ont pas regroupé les hôpitaux. La restructuration du système hospitalier est toujours d’actualité.

 

Nous avons, alors, tout intérêt à nous inspirer d’un pays tel que le Danemark qui semble avoir réussi sa politique de reconfiguration hospitalière en commençant par réduire le nombre de communes et à réorganiser son processus de territorialisation avant de s’attaquer à la problématique hospitalière.

 

S’il semble par ailleurs pertinent de coordonner et de regrouper les hôpitaux, certaines structures à l’image de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris sont jugées trop lourdes. À titre d’exemple, l’AP-HP depuis 2019 a mis en place une nouvelle organisation fédérative autour de 6 CHU et poursuit ainsi sa reconfiguration pour que les décisions soient plus proches des équipes et des services.

 

Nous savons, aujourd’hui, d’après des études économiques, que la performance des hôpitaux se situe entre une capacité minimale en dessous de laquelle la performance n’est pas au rendez-vous et une capacité maximale au-delà de laquelle l’effet structurel induit des dysfonctionnements tels que des retards dans les processus de décision.

 

Finalement, à travers la question du regroupement des hôpitaux, le véritable débat consiste à déterminer le niveau de performance selon la taille d’un hôpital.

 

Pour conclure, il ne s’agit pas de supprimer des sites ou des lits mais de mutualiser les énergies. C’est le vrai débat de l’organisation de la santé en France en 2022 !

 

Afficher les commentaires

 Jacques Léglise, Directeur général de l’hôpital Foch abien voulu livrer ses réflexions dans le cadre des débats ouverts par le CRAPS sur le sujet....

 

La persistance de la crise sanitaire du Covid dans la durée a créé ces derniers mois un sentiment de lassitude et de découragement chez les professionnels de santé. Des départs importants ont été constatés avec, en même temps, un effondrement des candidatures de jeunes professionnels infirmiers sortis d’école.

Dans ce contexte de crise, les mesures issues du Ségur de la santé ont, en outre, engendré de nombreuses frustrations. Plus particulièrement dans le privé non lucratif pour lequel le traitement a été moins favorable. Si bien qu’on se trouve face à un paradoxe : jamais aucun gouvernement n’aura autant et en aussi peu de temps revalorisé les rémunérations des soignants, alors que jamais le malaise des professionnels hospitaliers n’aura été si grand.

 

C’est que, outre les facteurs de tension récents qui viennent d’être cités, la crise a accentué et mis en lumière des fragilités latentes et anciennes.

 

Elle révèle, en tout premier lieu, à quel point la pression financière qui pèse depuis dix ans sur les établissements de soins français s’est avérée destructrice. L’exigence de plans de rendus d’emplois en contrepartie des investissements à travers le COPERMO, le maintien de progressions de tarifs inférieures à la progression des charges, puis à partir du plan triennal du gouvernement Valls, encore plus brutalement, les baisses de ces tarifs année après année, toutes ces politiques gouvernementales ont conduit pour les compenser et éviter des suppressions de postes qui auraient été calamiteuses pour la qualité et la sécurité des soins, à une course à la progression des volumes d’activité.

 

Cette pression excessive à l’activité a entraîné in fine une perte de sens et une détérioration des rapports entre les soignants et les gestionnaires, ceux-ci étant rendus bien injustement responsables des choix des politiques publiques.

 

Or, la qualité de fonctionnement des structures hospitalières dépend directement de la qualité et de l’intensité du dialogue et de la coopération entre les gestionnaires et les communautés médicales et soignantes. Cette qualité dépend notamment de la taille de l’hôpital : plus ce dernier est à taille humaine, plus ce dialogue est quotidien, et plus les arbitrages peuvent être menés rapidement avec les explications qui doivent nécessairement les accompagner. Du fait du progrès médical et des technologies, l’hôpital vit en effet dans une dynamique de transformation perpétuelle, qui certes rend le travail à l’hôpital passionnant, mais qui en fait aussi la complexité et la fragilité. Dans les grandes structures, ce dialogue est beaucoup plus difficile. Or, est venue en outre s’ajouter ces dernières années dans cette course à « la taille » la création des Groupements hospitaliers de territoire. Celle-ci a engendré une couche supplémentaire de gouvernance, qui conduit à éloigner encore plus les gestionnaires et les communautés médicales et soignantes.

 

Dans le même temps, la pression normative sur les métiers du soin n’a cessé toutes ces dernières années de s’accroître avec des exigences de qualité et de traçabilité certes fondées, mais qui dans un contexte d’intensification de l’activité de soin ont amené les soignants à les rejeter aujourd’hui comme des « tâches administratives » trop lourdes.

 

Or, cette intensification du travail s’est faite alors que nous assistons ces dernières années dans le monde de l’hôpital comme dans le reste de la société à un changement de paradigme avec des professionnels qui aspirent à un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Comme ailleurs, mais peut-être encore plus qu’ailleurs, ce changement de paradigme déstabilise l’hôpital : avec plus de professionnels, notamment médicaux, l’Hôpital dispose paradoxalement de moins de temps de travail disponible.

 

Toutefois, si ce changement de paradigme explique pour beaucoup la question de l’attractivité des métiers médicaux et soignants à l’hôpital, il ne l’explicite que partiellement. La question de la compétition par les rémunérations, avec une incapacité des établissements du service public (hôpitaux publics et hôpitaux privés à but non lucratif) de suivre l’évolution des revenus auxquels les médecins peuvent accéder désormais quand ils vont exercer en libéral dans une clinique commerciale, surtout s’ils y exercent avec des dépassements d’honoraires, s’avère en effet particulièrement dévastatrice.

 

Aujourd’hui, plus de la moitié des séjours de chirurgie sont réalisés dans les cliniques commerciales dans notre pays. Le risque est donc grand que, dans quelques années, faute de personnel, nous n’ayons plus d’offre de service public dans certains domaines, et que nous nous dirigions si on ne réagit pas vers un système de soins à l’américaine.

 

L’hôpital est donc entré dans une période où le modèle que nous avons connu et qui a fonctionné pendant 40 ans est à bout de souffle et doit être réinventé. Définir un système de tarification qui, tout en rémunérant les établissements équitablement au prorata de l’activité de chacun, permette de faire face à la progression des charges et aux exigences de qualité, trouver un meilleur équilibre entre exigences normatives légitimes et réalités de terrain, trouver un mode de travail des soignants plus respectueux de leurs vies privées, mieux réguler les rémunérations des soignants entre service public et activités commerciales, veiller au maintien d’une offre de service public compétitive partout sur le territoire, telles sont certainement certaines des clés majeures de cette réinvention. Sans aborder celles qui dépendent de la restructuration du système de Santé dans son ensemble comme la réorganisation de la permanence des soins pour faire face aux urgences.

 

À l’heure où la question de l’équilibre des comptes sociaux est au cœur du débat public, il est utile de rappeler qu’un déficit permanent ne constitue pas une politique viable sur le long terme. Si l’État a permis de préserver le tissu économique et social durant la crise sanitaire, les conséquences du « quoi qu’il en coûte » ne doivent pas occulter la nécessité de repenser notre système. L’efficacité, l’efficience et la pertinence doivent être les remparts face aux préoccupations comptables qui apparaîtront très vite après la crise. Il s’agira alors de concilier soutenabilité budgétaire, soutenabilité économique et soutenabilité sociale, comme de penser en termes d’investissement et non de dépenses.

 

La question de l’équilibre budgétaire n’est pas nouvelle et recouvre plusieurs dimensions. Historique, d’abord, puisque dès le XVIIIe siècle la question des revenus de l’État et de leur équilibre était posée. Juridique ensuite, puisque le vote de comptes à l’équilibre dans les collectivités territoriales, au niveau de l’État ou encore des régimes sociaux, est un principe constitutionnel. Si l’équilibre budgétaire de notre système de santé est gage de sa pérennité, celui de nos hôpitaux est la garantie d’investir et de se moderniser. Plus que de trouver des moyens supplémentaires, il est urgent de changer de paradigme pour redonner de l’élan et du dynamisme chez les acteurs et donc du sens. Revenir au principe d’équilibre budgétaire pour investir, développer des projets innovants et, in fine, pour se projeter dans l’avenir est donc nécessaire.

 

 

Les investissements, conditionnés par des marges financières, sont indispensables à l’entretien et à la rénovation des bâtiments, au renouvellement des équipements médicaux et hôteliers et à l’innovation. Ils contribuent non seulement à l’amélioration de la prise en charge des patients, mais également à l’amélioration des conditions de travail des personnels et à l’attractivité des établissements. Il faut, par ailleurs, veiller à ne pas oublier que l’hôpital n’est ni une entreprise ni une administration. Cependant, ce n’est pas parce que l’hôpital n’est pas une entreprise qu’il ne doit pas respecter des lois économiques, ce n’est pas parce qu’il n’est pas une administration qu’il doit faire fi de sa mission de service public par une vision comptable classique.

 

Finalement, le véritable débat consiste à déterminer la meilleure manière de mesurer la performance d’un hôpital, la qualité des soins, la pertinence des actes, l’évaluation des soins. Il faudra alors que les hospitaliers élaborent eux-mêmes des critères d’évaluation avant qu’un État ou qu’une personnalité extérieure ne vienne imposer ses propres critères.

 

S’il est évident que l’hôpital ne se résume pas à un simple résultat comptable, il est aujourd’hui fondamental de changer de logiciel en considérant que l’équilibre budgétaire aussi contraignant soit-il fait partie des conditions d’un développement hospitalier de qualité.