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Elus du CSE : Défendre le travail par le dialogue professionnel, c’est défendre la sociabilité du travail [Chapitre 6]
Pour contribuer à une maîtrise des situations de travail syndical à risques, mettons-nous au service de la sociabilité du travail, pas au service des individus … Défendre "le travail" : c'est à dire viser à reconnaitre chaque salarié comme un citoyen dans un état de droit, acteur et auteur du sens, de la qualité et de son engagement au travail. C'est le chapitre 6 d'une série de 10 contributions pour maîtriser les risques du métier de syndicaliste en améliorant son efficacité.
- Chapitre 1 - A quoi vous expose votre activité syndicale ?
- Chapitre 2 - Les causes des facteurs de tensions et de ressources psychosociales du métier de syndicaliste
- Chapitre 3 - Prendre en compte la stratégie de dialogue social retenue par les employeurs
- Chapitre 4 - Elus du CSE : viser l’autonomie, la démocratie, le mandatement
- Chapitre 5 - Elus du CSE : évitez le triangle de Karpman : persécuteur – victime - sauveur
Le vieil article du Code du Travail qui permet de « présenter à l'employeur les réclamations individuelles [1936] ou collectives [1938] » (L2312-5) était une novation à cette époque. De nos jours, il est très apprécié des Directions d’Entreprise car il permet d’orienter le débat avec les représentants du personnel sur les cas individuels. En substance : « dites-nous de qui vous parlez, on donnera les explications nécessaires au salarié qui ne comprend pas, on le formera … ou on vous montrera au final qu’il n’est pas adapté à son poste ».
En mettant le focus sur la situation particulière d’un salarié (la personne avec ses émotions et ses attentes), le représentant du personnel ne prend pas la hauteur suffisante pour instruire les causes dans l’organisation du travail elle-même et pas seulement ses effets sur les personnes. Cette coutume syndicale repose également sur l’idée qu’en rendant service à un salarié, celui-ci fera la promotion du syndicat par le bouche-à-oreille…. Pourtant, l’action serait plus efficace si l’on fixe son attention sur les causes racines à l’origine des situations-problèmes nocives pour les salariés et, en priorité, qui touchent un nombre significatif de personnes.
L’émotion est une conséquence de l’engagement au travail. La chaleur que prennent les relations interpersonnelles ne favorise pas la discussion. Par exemple, un manager défendra le bien-fondé de ses choix d’organisation et sera confronté aux points de vue des contraintes du métier par les opérateurs (perte de sens, défaut de qualité perçu, exigences du travail épuisantes, manque d’autonomie, etc.). Ceci peut conduire à figer des représentations et des postures. Pour chercher à dépassionner les débats, il faut rester le plus factuel possible.
La simple expression des salariés prévue par les lois Auroux de 1982, encadrée par le responsable hiérarchique, ne permet pas une réelle liberté de parole, ou d’engagement de la Direction à apporter une réponse aux dysfonctionnements organisationnels vécus par les opérateurs. Mettre en évidence les dysfonctionnements organisationnels générateurs de tensions, les faire reconnaître aux salariés et les mettre en débat avec la hiérarchie opérationnelle (#Dialogueprofessionnel), c’est défendre tous les salariés concernés.
C’est défendre "le travail" : c'est à dire le sens, la qualité, l'engagement humain.
L’ANACT présente le Dialogue social et professionnel avec ses outils et méthodes permettant « d’agir sur 3 leviers d’amélioration de la qualité du dialogue social en entreprise, particulièrement dans les TPME-PME : la qualité des relations sociales, l'information et la formation, la capacité à négocier ». La prise en compte des intérêts des salariés sur le travail réel dans les décisions de la Direction d’une entreprise nécessite la mise en mouvement de celle-ci avec l'encadrement, les représentants du personnel … et surtout les salariés eux-mêmes.
Les représentants du personnel ont un intérêt majeur à organiser eux-mêmes le Dialogue Professionnel en se positionnant comme animateur de la discussion avec la ligne hiérarchique opérationnelle – vrais décideurs, et non pas ceux (juristes, RH) placés par l’employeur pour répondre aux « réclamations » et « questions » des élus ; et cela en dehors du cadre des réunions institutionnelles du CSE et de ses commissions.
Le Dialogue Professionnel consiste à articuler successivement :
- L’instruction des situations-problèmes sur les sujets prioritaires du travail réel auprès des salariés,
- Une communication syndicale vers et avec les salariés pour obtenir le mandatement sur l’expression collective,
- La discussion (pas la négociation d’une solution) avec la ligne hiérarchique opérationnelle pour encourager celle-ci à apporter une réponse aux salariés.
- Laisser la ligne hiérarchique répondre aux salariés et laisser les salariés juger ces réponses (les représentants du personnel n’ont pas à communiquer à la place de la Direction).
Ainsi chaque représentant du personnel (élu du CSE, DS, RP) instruit les dysfonctionnements organisationnels, le CSE exprime l’expression collective, un DS anime la discussion avec le(s) bon(s) interlocuteur(s) de la ligne hiérarchique opérationnelle. On retrouve ici le « process » syndical des Délégués du Personnel d’avant 1972.
En décrivant factuellement ces causes racines des dysfonctionnements organisationnels, les représentants du personnel produisent « l’expression collective des salariés ». La communication de cette expression collective anonymise à la fois les salariés concernés et les représentants du personnel.
En donnant la primeur de cette communication aux salariés, celle-ci libère les salariés de la honte de ne pas arriver à bien faire son travail en subissant un dysfonctionnement organisationnel : crainte de l’incompétence, contrainte à mal travailler, défaut de reconnaissance (cf. Dejours Souffrance en France 1998). Cette communication destinée aux salariés (et pas à la Direction) lutte contre la déshumanisation du travail et place la Direction face à ses responsabilités.
A suivre : Chapitre 7 - Mettre les Directions d'entreprise face à leurs responsabilités
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