Participatif
ACCÈS PUBLIC
12 / 11 / 2024 | 19 vues
Fabien Brisard / Abonné
Articles : 55
Inscrit(e) le 23 / 03 / 2016

Digital & prévention : « Quel rôle les mutuelles, assureurs et groupes de Protection sociale peuvent-ils jouer ? »

Cécile Waquet, Associée chez IBM Consulting, a bien voulu apporter ses réflexions au CRAPS (Cercle de Recherche et d’Analyse sur la Protection Sociale) sur cette question d'importance...Pour elle "Malgré cet essor des applications numériques de prévention dans l’offre des assureurs, […] les usages restent faibles »

 

 

À portée de main sous forme de sites Internet, d’applications, de réseaux, de messageries ou d’objets connectés, au pouvoir démultiplié par l’intelligence artificielle, le digital permet-il vraiment d’engager le tournant préventif tant attendu dans la santé ? Quel rôle les mutuelles, assureurs et groupes de Protection sociale peuvent-ils jouer ?

 

Le digital pour accélérer la prévention : tout le monde y croit !

 

De très nombreux acteurs du digital se sont lancés dans la prévention. La HAS recense plus de 350 000 applications santé1. Le digital peut accroître le niveau d’information de la population sur la santé et participer ainsi à la prévention primaire (agir en amont pour éviter la maladie). Le digital permet aussi d’organiser des campagnes de prévention, de dépistage ou de vaccination, comme l’a prouvé la crise du Covid-19, ce qui permet d’améliorer la prévention secondaire (agir à un stade précoce pour réduire la gravité). Enfin, les dispositifs médicaux, tels que les applications relatives, par exemple, au diabète ou aux risques cardio-vasculaires, peuvent accompagner les patients dans le traitement de leur pathologie pour en limiter les conséquences – c’est l’objet de la prévention tertiaire (agir sur les complications et les risques de récidive).


La promesse est crédible et tant les acteurs publics que privés y croient. Dans son rapport sur la prévention publié en décembre 2021, la Cour des comptes voit dans le digital l’un des quatre principaux leviers de la prévention, qui, malgré l’affichage d’une certaine volonté politique, reste encore à la traîne en France. Le premier pilier de la Feuille de route 2023-2027 de la Délégation du numérique en santé, la prévention, s’appuie très largement sur le numérique, et plus particulièrement sur le site www.monespacesante.fr. De leur côté, depuis décembre 2022, PariSanté Campus et Bpifrance ont créé, avec d’autres acteurs du système de santé, un dispositif inédit en faveur de l’innovation dans la prévention.


Ce projet vise à accélérer l’adoption de solutions en prévention et associe l’écosystème des start-up de la santé autour d’un programme d’accompagnement spécifique et d’un fonds d’investissement de 100 millions d’euros.


De même, les assureurs, mutuelles et institutions de prévoyance ont bien compris l’intérêt du digital pour développer la prévention : les services de santé digitale, allant de la prévention à la téléconsultation, fleurissent dans ce secteur.

 

Prévention digitale et assurance : un jeu gagnant-gagnant ?

 

L’une des questions clefs de la prévention digitale est celle de l’accès aux dispositifs, qui ne sont pas gratuits, et du changement des comportements qu’ils peuvent induire. Se pose alors la question de la meilleure méthode possible pour favoriser tant cet accès que ces usages.

 

Nombre de ces dispositifs étant portés par des start-up, les acteurs de l’assurance santé peuvent être un tremplin pratique pour leur accès au marché, soit comme financeur direct, au titre des placements financiers, soit comme acheteur pour mise à disposition auprès des assurés, tout particulièrement en cas de contrat collectif, puisqu’ils couvrent une large population d’assurés.

 

De fait, ces acteurs peuvent avoir intérêt à développer des dispositifs de prévention via des applications digitales pour plusieurs raisons. Cela leur permet d’abord de contribuer à la gestion du risque, la prévention devant en principe freiner la sinistralité. Compte tenu de la diversité des offres d’assurance, ils peuvent chercher à se différencier les uns des autres en choisissant des dispositifs digitaux appropriés aux différents profils de leurs populations assurées. De tels dispositifs peuvent aussi renforcer les liens entre assureurs et assurés en accroissant les interactions dans une logique de fidélisation. Enfin, ces services peuvent être une marque de leur responsabilité sociale, tout particulièrement pour les mutuelles et groupes paritaires de Protection sociale.

 

Pourtant, force est de constater empiriquement que malgré cet essor des applications numériques de prévention dans l’offre des assureurs, mutuelles et groupes de Protection sociale, depuis une bonne dizaine d’années, les usages restent faibles. Il y a lieu de s’interroger.

 

Quatre types d’obstacles à l’usage des dispositifs de prévention digitale

 

Les causes peuvent être de nature économique : d’une part, les acteurs de l’assurance santé ne voient pas toujours le retour sur investissement de telles actions et ne s’y investissent dès lors que partiellement ; d’autre part se pose la question du modèle économique : service inclus dans la cotisation ? Service payant en plus de la cotisation ? Paiement forfaitaire ou à l’usage ? Et, plus fondamentalement, quelle valeur économique accorder à la prévention ?

 

Les explications sont aussi de nature comportementale : les assurés ne rentrent pas facilement dans une démarche de prévention, qui implique des changements culturels assez forts. Comme le montre une étude de la direction interministérielle de la transformation publique parue le 31 août 2023, un certain nombre de biais comportementaux limitent la capacité et la motivation des individus à s’inscrire dans un parcours de prévention en santé (préférence pour le présent et biais d’optimisme). Selon l’étude, il faut agir aux quatre étapes clefs de la prise de décision (s’intéresser au message, décider d’agir sur la base de ce message, prendre rendez-vous, se rendre au rendez-vous). Les assurés peuvent par ailleurs questionner la légitimité des acteurs de l’assurance santé, suspectant une volonté d’impact sur la tarification.

 

Les freins peuvent aussi être d’ordre juridique : les assureurs n’ont pas accès aux données de santé des assurés ; ils ne connaissent que les taux de remboursement et la fréquence des arrêts de travail. Cela limite le développement de solutions personnalisées, alors que la personnalisation est l’un des facteurs clefs de succès dans la prévention.

 

Enfin, l’accès technologique à ces dispositifs n’est pas aussi aisé que l’on croit : dans le cas des assureurs, bien souvent seule une partie des assurés a droit à tel ou tel service ; en outre, si l’application est liée à l’assureur, le changement d’assureur, corrélatif au changement d’entreprise pour un salarié, crée nécessairement une certaine distance peu propice à l’appropriation. C’est en travaillant sur la résolution de ces quatre leviers que nous espérons faire progresser le sujet.

 

Changer de regard économique sur la prévention

 

Du point de vue économique, l’une des clefs réside très certainement dans l’idée que la prévention n’est pas seulement un investissement d’avenir, mais aussi un service consistant à préserver le capital santé d’un individu et qu’en tant que telle elle mérite un financement direct, indépendamment de son retour immédiat sur investissement.

 

Impliquer les professionnels de santé dans la prescription d’applications digitales de prévention

 

Concernant les comportements, il faut créer des étapes intermédiaires et ne pas être trop pressé. Comme le propose la Délégation du numérique en santé dans sa feuille de route du numérique en santé, il serait opportun « d’outiller les professionnels de santé pour renforcer leur pratique en termes de prévention » en appuyant « l’intégration dans leurs logiciels métiers de solutions de prévention, de bon usage et d’alerte, éventuellement basées sur de l’intelligence artificielle, pour aider les acteurs de santé à cibler les patients, à les sensibiliser ou les accompagner au travers d’une approche populationnelle ». Dans la mesure où une bonne partie des Français sont couverts par une complémentaire santé, nous pensons que les logiciels des médecins pourraient indiquer les services numériques de prévention inclus dans les contrats des assurés : ceci permettrait aux médecins de prescrire à leurs patients les services de prévention digitale de leurs complémentaires santé à mobiliser selon leurs situations.

 

Vers une plateforme digitale personnalisable des services de prévention ?

 

Du point de vue technologique, trois avancées pourraient accélérer les usages : une logique de plateformisation permettant de relier les différents services utiles aux assurés d’une part ; l’injection d’intelligence artificielle afin de personnaliser au maximum les parcours de prévention des assurés d’autre part. La logique de plateformisation pourrait, afin d’éviter le truchement des assureurs, être mise en place par des acteurs qui y auraient tous intérêt : les acteurs de l’assurance santé justement, non pas dans une logique de concurrence, mais dans une logique gagnant-gagnant. Dans cet esprit, pourquoi les différentes fédérations concernées, l’UNOCAM (Union nationale des organismes complémentaires d’Assurance maladie), ou, dans un premier temps, le CTIP (qui fédère les institutions de prévoyance), l’OCIRP (Organisme commun des institutions de retraite et de prévoyance), la FNMF (Fédération nationale de la mutualité française) ou la FFA (Fédération française des assurances), ne créeraient-ils pas une sorte de Doctolib de la prévention ?

 

Pour conclure, le digital est assurément un possible levier puissant d’accélération de la prévention. Pour l’amplifier, il est indispensable de travailler en plus sur d’autres leviers, qui eux ne sont pas digitaux, mais relèvent à la fois de l’économie, des neurosciences, et qui sont plus largement d’ordre culturel… Les réflexions ci-dessous, questions ou suggestions, mériteraient d’être approfondies pour lever les obstacles et passer à l’échelle.

 

L’auteur s’exprime à titre personnel et ses propos n’engagent pas IBM Consulting.

 

Source :
1. Haute Autorité de santé. Rapport « Évaluation des applications dans le champ de la santé mobile (mHealth) ». Juin 2021.

Pas encore de commentaires