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26 / 10 / 2015 | 362 vues
Philippe Pihet / Membre
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Négociations ARRCO/AGIRC : parlons concrétement des conséquences

Vous trouverez ici les conséquences de cet accord et vous pourrez vous rendre compte de l’aspect soi-disant« équilibre » de l’accord.

 

Sur ce point, même si ce n’est pas dans l’accord lui-même, le gouvernement s’est engagé à « accompagner » la signature ; en clair, la part patronale sera payée par une nouvelle exonération, ou une compensation prise sur les cotisations AT/MP (pacte de responsabilité oblige).

 

Outre le fait qu’au final, seuls les salariés et retraités paieront, cela préfigure le mélange de financement entre régime de base et régime complémentaire, première étape vers le régime universel.


Après cinq séances de négociations infructueuses sur les régimes de retraite complémentaire ARRCO et AGIRC, malgré de multiples rencontres (débutées il y a 13 mois) pour examiner et confronter les propositions respectives de chacune des organisations, les propositions mises sur table lors de la 6ème séance de négociation qui s’est tenue le vendredi 16 octobre au siège du MEDEF ont été jugées inacceptables par la délégation de Force Ouvrière.  

 

Nos représentants et ceux de la CGT ont quitté le siège du MEDEF, refusant de donner leur aval à la deuxième version de la « trame en vue d’un accord interprofessionnel sur les retraites complémentaires » qui leur a été remise en séance et dont le MEDEF a précisé qu’elle n’était pas modifiable.

 
  • Le bureau confédéral du 20 octobre a confirmé le refus de signer.
 

On peut donc considérer que le MEDEF a ainsi reçu un accord de principe de la part des organisations CFDT, CFE-CGC et CFTC, notamment sur la principale novation qui consiste à allonger d’un an (à compter de 2019) la durée de cotisation nécessaire pour liquider une retraite ARRCO et AGIRC à taux plein (ce qui revient ainsi à décaler l’âge de la retraite) et à instituer des pénalités sur le montant des retraites complémentaires allouées à des assurés réunissant les conditions de la liquidation de la retraite à taux plein au régime général.

 

Nous ne polémiquerons pas sur l’entente cordiale entre le MEDEF et la CFDT (laquelle ne date pas du 16 octobre 2015) qui a permis de  rallier leurs propositions respectives. 

 

Nous relevons que la CFE-CGC a voulu montrer une volonté de revenir sur la scène de la gestion des régimes de retraite complémentaire en donnant son feu vert au principe de la fusion des régimes ARRCO et AGIRC sans s’inquiéter outre meure de l’incertitude qui va planer sur le devenir du statut de cadre défini par la convention de 1947.

 

Quant à la CFTC, elle ne voulait pas ou, plus exactement, elle ne pouvait pas échapper aux diverses pressions dont elle était l’objet, représentativité oblige.

 

Il faut en effet ajouter que, bien qu’absent de la table des négociations, un acteur supplémentaire a interféré dans la négociation.

 

Nous ne pouvons ignorer la pression politique exercée pour l’obtention d’un accord (trois jours avant la tenue de la conférence sociale !), par le Premier Ministre Manuel Valls, lequel a pris contact avec la CFDT et la CFTC notamment. Nous en avons pour preuve la teneur du communiqué de presse rédigé le jour même, dans lequel le Premier Ministre « se réjouit de l’accord de principe intervenu », relève que « cet accord apporte la preuve de la capacité du dialogue social dans notre pays » et précise que « le gouvernement accompagnera la mise en œuvre de cet accord ».

  • Une réunion pour la signature de cet accord devrait se tenir le 30 octobre prochain.

Pour notre organisation, pourtant gestionnaire historique du régime, les raisons du refus sont diverses.

  • Impossible d’apposer une signature sur un texte qui risque d’enclencher un changement profond dans toute l’architecture de la retraite complémentaire. Il introduit en effet des conditions de ressources fiscales qui remettent en cause le caractère contributif des retraites ARRCO/AGIRC.
  • Il est inacceptable que les décisions sur les retraites complémentaires ARCCO et AGIRC issues d’un accord interprofessionnel puissent servir de cheval de Troie à un gouvernement (quel qu’il soit) qui serait tenté de légiférer sur le recul de l’âge légal de la retraite à taux plein et/ou sur l’allongement de la durée de cotisation. De ce point de vue, l’accord revêt une dimension politicienne.
  • Le malus (un abattement de 10 % sur le montant de la retraite pendant les trois premières années de retraite) est une inéquitable double peine imposée : aux plus de 40 % de salariés qui ne sont plus sur le marché du travail au moment où ils partent en retraite ; à tous les salariés qui n’auraient pas la possibilité de différer leur départ en retraite ; aux femmes dont le montant de retraite reste encore en moyenne inférieur de 40 % à celui des hommes (voire de 60 % pour les femmes cadres) ; aux jeunes générations qui verraient leur niveau des futures retraites baisser compte tenu également de la baisse programmée du niveau de rendement des retraites complémentaires.  
  • Les retraités ne seraient pas épargnés et devraient continuer de subir une baisse de leur pouvoir d’achat durant trois années supplémentaires, d’une part, avec la sous-indexation des retraites  par rapport à l'inflation (comme cela a déjà été fait en 2013, 2014 et 2015), d’autre part en raison du report au 1er novembre (au lieu du 1er avril) de la revalorisation de leurs pensions sous-indexées par rapport à l'inflation, comme cela a déjà été fait en 2013, 2014 et 2015.
  • En outre, c’est peu dire que le partage de l’effort contributif n’existe pas. Comment en effet ne pas s’insurger contre des mesures de financement profondément déséquilibrées, dont 95 % reposent sur la contribution des salariés et des retraités, contre seulement 5 % à la charge des entreprises. Une nouvelle fois, la logique libérale de compétitivité l’a emporté avec l’aide du gouvernement.  
  • Enfin, les mesures préconisées ne permettraient nullement aux régimes ARRCO et AGIRC de retrouver un équilibre financier. Cette trame d’accord projette d’hypothéquer l’existence du régime complémentaire AGIRC, contre un engagement à ouvrir « une négociation interprofessionnelle pour définir la notion d’encadrement », ce qui est par ailleurs nécessaire. Un marché où se trame en filigranes une volonté de mutualisation des réserves des deux régimes ou plus exactement de siphoner les réserves ARRCO, ce qui, à terme, risquerait de conduire à une nouvelle baisse des retraites.
Détail des conséquences des mesures prévues dans la «trame en vue d’un accord interprofessionnel sur les retraites complémentaires présentées par le MEDEF »

1. Premier temps : mesures applicables dès 2016

> Sous-indexation des retraites complémentaires pendant trois ans (2016, 2017 et 2018) : les retraites complémentaires continueront d’être revalorisées annuellement selon l'indice des prix à la consommation, moins un point (avec une « clause plancher » afin d’éviter une évolution négative en cas de déflation).

Gain attendu : 1,3 milliard d'euros en 2017 ; 2,1 milliards en 2020 ; 2,6 milliards en 2030.

> Décalage de la date de revalorisation annuelle des retraites complémentaires : à partir de 2016, la revalorisation s'effectuera le 1er novembre, contre le 1er avril actuellement.

Gain attendu : 300 millions d'euros d'économies en 2017 ; 1,3 milliard en 2020 ; 1,5 milliard en 2030.

> Augmentation du coût d'achat du point de retraite : pendant 3 ans, le point de retraite coûtera plus cher car il sera revalorisé en fonction de l’évolution annuelle du salaire moyen (et plus sur l’évolution des prix). L'objectif est d'abaisser le rendement brut de 6,6 % actuellement à 6 %.

Gain attendu : zéro en 2017 ; 300 millions d’euros en 2020 ;  1,1 milliard d'euros en 2030.

2. Les mesures applicables à partir de 2019, au moment de la mise en place du régime unique

> Création d’un régime unifié issu de la fusion de l’AGIRC et de l’ARRCO. Pilotage de ce régime à deux niveaux, stratégique par les partenaires sociaux et tactique par les conseils d’administration. Ce pilotage est fondé sur le niveau des réserves. Corrélativement, il est prévu d'ouvrir une négociation nationale interprofessionnelle afin de définir la notion d'encadrement. Le dispositif d’abattements viagers pour les participants qui liquident leur retraite avant 67 ans sans avoir le taux plein dans le régime de base, est maintenu.

> Création d’un malus improprement dénommé « coefficients de solidarité » (en fait un abattement) applicable à tous les nouveaux retraités remplissant les conditions du taux plein au régime de base pendant les trois premières années et au maximum jusqu’à 67 ans : malus égal à 10 % de la retraite chaque année pendant trois ans. En seraient exonérés : les nouveaux retraités exonérés de CSG (application d’un cœfficient de 5 % pendant trois ans pour les retraités soumis au taux réduit de CSG) ; les nouveaux retraités qui justifient avoir prolongé leur activité professionnelle pendant quatre trimestres au-delà de la date à laquelle ils avaient rempli les conditions d’obtention du taux plein au régime de base en seraient exemptés.

Le but consiste à pousser les salariés à travailler au moins une année de plus, une fois remplies les conditions de durée d'assurance et d'âge légal pour liquider leur pension à taux plein au régime de base.

Exemple : une personne née en 1957 remplissant les conditions de durée d’assurance (166 trimestres) pour partir en retraite à l'âge légal de 62 ans en 2019, verrait sa retraite complémentaire amputée de 10 % pendant les 3 premières années de sa retraite, si elle ne travaille pas 4 trimestres supplémentaires et si elle est soumise à la CSG à taux plein.

La création du malus aurait également pour corolaire la mise en place d’un cœfficient majorant de 10 % pendant un an, pour les participants qui justifient d’avoir prolongé leur activité pendant 8 trimestres au-delà de la date à laquelle les conditions du taux plein sont remplies dans le régime de base (la majoration serait portée à 20 % pour 12 trimestres supplémentaires et à 30 % pour 16 trimestres supplémentaires).

Gain attendu : zéro en 2017 ; 500 millions d’euros en 2020 ;  800 millions d'euros en 2030.

> Modifications des cotisations, fusion des tranches T2,  TB et TC des cotisations des régimes AGIRC-ARRCO. Passage à une répartition des cotisations uniformes à hauteur de 60 % à la charge de l’employeur et de 40 % à la charge des salariés, augmentation du taux d’appel des cotisations porté de 125 % à 127 %. Mise en place d’une cotisation supplémentaire AGFF sur la tranche C.

Gain attendu : zéro en 2017 ; 1,8 milliard d’euros en 2020 ;  2,3 milliards d'euros en 2030.

> Poursuite de la baisse des dépenses de gestion et des dépenses d’action sociales 

Économies attendues au titre des dépenses de gestion : zéro en 2017 ; 200 millions d’euros en 2020 ; 200 millions d'euros en 2030 

Économies attendues au titre des dépenses d’action sociale : zéro en 2017 ; 300 millions d’euros en 2020 ; 300 millions d'euros en 2030

Le gain financier total des nouvelles mesures est estimé à 1,7 milliard d’euros en 2017 ; 6,1 milliards d’euros en 2020 ;  8,6 milliards d'euros en 2030.

On sait déjà que les mesures s’avèrent insuffisantes pour assurer l’équilibre de la situation financière de l’ensemble AGIRC+ARRCO+AGFF qui continuera d'afficher des résultats techniques déficitaires. Les déficits techniques estimés à 6,7 milliards d’euros en 2017, à 8,4 milliards d’euros en 2020 et à 12,7 milliards d’euros en 2030 sur la base des règles en vigueur actuellement, ne seraient limités qu’à 5 milliards d’euros en 2017, à 2,3 milliards d’euros en 2020 et à 4,1 milliards d’euros en 2030.

  • Pour notre confédération, la journée du 16 octobre 2015 risque de marquer un tournant dans la gestion des régimes de retraite complémentaire et fait planer un point d’interrogation sur l’avenir de la gestion paritaire des régimes de protection sociale basés sur la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle.

Le glissement vers un régime plus individualisé, non contributif constitue un prélude à la mise en place d’un régime unique avec un boulevard ouvert aux compagnies d’assurance, ce que revendiquent certaines organisations syndicales ainsi que certaines voix politiques de tout bord, y compris dans les mouvements de rejet de l’autre.

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