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29 / 01 / 2016 | 11 vues
Michel Le Clainche / Membre
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Les utilisateurs publics de jeunes diplômés : quelle place pour les finances publiques ?

Les administrations ont le devoir de bien organiser l’accueil des jeunes diplômés. Elles souhaitent que les universités les préparent bien à leur future carrière par une pédagogie stimulante.
 
Il est très intéressant que la Société française de finances publiques ait choisi d’associer les « utilisateurs publics de jeunes diplômés » à sa réflexion sur la place des finances publiques pour demain.
 
En effet, l’une des finalités de l’enseignement est de favoriser la future insertion professionnelle de ses étudiants et la conception de la discipline enseignée n’est pas indifférente aux choix des étudiants et aux capacités des diplômés.
 
Quant aux administrations publiques, elles constituent un débouché, non exclusif mais très important, pour les jeunes diplômés. Leurs responsables ont donc une opinion sur l’état actuel de l’enseignement et sur son évolution souhaitable.
 
Les utilisateurs publics : toutes les administrations sont concernées par les finances publiques. Cependant, il faudrait distinguer les administrations « financières », qui ont besoin de techniciens des finances de tous niveaux et en sont très conscientes au point de participer elles-mêmes à la formation des jeunes par leurs écoles ou par des formations internes, des administrations « gestionnaires » qui souhaitent disposer, à côté de leurs techniciens, d’un nombre limité de cadres capables de participer efficacement à leur gestion budgétaire et comptable mais ne sont pas en mesure d’investir beaucoup de ressources sur ce sujet.
 
Les jeunes diplômés : termes vagues qui recouvrent plusieurs catégories. On peut différencier selon le niveau : contrôleurs, inspecteurs et attachés qui sont plutôt des techniciens ou « niveau administrateurs » dont on attend plus de polyvalence ; il faut distinguer aussi ceux qui passent par une école financière spécialisée (ENFiP, END…), ce qui ne les dispense pas d’avoir une bonne culture de base préalable, bien au contraire, et ceux qui, après un parcours universitaire, passent par une école « généraliste » (ENA, INET, IRA…).
 
Ces quelques réflexions de praticien sont issues de trois sources :
  • mon expérience d’ancien DRFiP et de nouvel enseignant de finances publiques en préparation ENA et IRA ;
  • quelques entretiens avec des responsables administratifs en vue de cette communication ;
  • un questionnaire adressé par la revue Gestion et Finances Publiques auquel ont répondu l’ENA, l’INET, l’EHESP, les IRA de Metz et Nantes, l’ENFiP et l’IGPDE.
 
Les utilisateurs publics de jeunes diplômés ont des responsabilités. Ils ont aussi des attentes.

Les responsabilités des utilisateurs publics : une « vraie » GRH adaptée à l’accueil des jeunes diplômés

 
Les « utilisateurs publics » de jeunes diplômés ont la responsabilité de concevoir les concours, d’accueillir les jeunes, de les préparer à l’exercice des métiers.
 
A. Les concours
 
Alors que chacun s’accorde à considérer que la bonne gestion des services publics est un enjeu majeur, on peut s’étonner de la place relativement modeste des finances publiques dans les concours d’entrée. La matière n’est pas toujours obligatoire (notamment pas à l’EHESP, ni au concours externe de l’ENFiP !). Elle vient d’être fortement revalorisée à l’ENA puisque l’épreuve de finances publiques devient une épreuve d’admissibilité et passe d’un oral à un écrit sous forme de « questions à réponses courtes ».
 
On peut souhaiter que cette réforme soit le début d’une prise de conscience de la nécessité de professionnaliser davantage la fonction financière dans les services publics.
 
Par ailleurs, les calendriers et les programmes sont toujours très vastes et assez hétérogènes : les finances publiques sont souvent autonomes mais parfois rattachées à la gestion ou à l’économie.
 
Donc la première obligation des responsables administratifs est de bien définir leurs besoins et, si possible, de calibrer et d’harmoniser les concours.
 
B. L’accueil des jeunes dans l’administration
Bien accueillir les jeunes et bien les employer, même s’ils sont « surdiplômés »

Une anecdote illustrera ce qui semble être un devoir des responsables administratifs. Il y a quelques années, on a annoncé l’arrivée à la DRFiP d’un inspecteur fraîchement issu du concours externe et ingénieur des mines. Mes collaborateurs, chargés des ressources humaines, considérant qu’il ne pouvait être qu’un très mauvais ingénieur donc un mauvais fonctionnaire, ont décidé de l’affecter à la comptabilité, service alors très perturbé par la mise en œuvre du logiciel Chorus, qui n’était pas au point à l’époque et nécessitait sur le terrain plus de compétences comptables et de qualités psychologiques que de culture technique ou informatique.
 
J'ai résisté et nous l’avons affecté au service de l’action économique où il s’est épanoui
et a perfectionné un système de suivi de la conjoncture régionale à partir des déclarations
de TVA.
 
Donc la deuxième responsabilité est de bien accueillir les jeunes et de bien les employer,
même s’ils sont « surdiplômés ».
 
C. Compléter les formations
 
On peut illustrer ce point par le rôle important des écoles financières ou de l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE). Mais c’est sans doute moins vrai dans les administrations non financières dont le dispositif de formation ne dispense que de façon très limitée quelques sessions facultatives aussi bien en formation initiale que continue sur des sujets de gestion budgétaire, comptable ou d’achats publics.
 
Lorsqu’elles l’estiment nécessaire, les administrations peuvent construire avec des partenaires des préparations ad hoc aux métiers.

À titre d’exemple mais c’est une « administration financière », l’Inspection générale des finances est en train de mettre au point un cursus de formation interne pour ses jeunes inspecteurs à la sortie de l’ENA afin de les mettre à niveau dans certains domaines. À cet effet, les concepteurs ont souhaité disposer d’un module de finances publiques qui sera proposé à ceux qui éprouveraient la nécessité de rafraîchir leurs connaissances.
 
Donc la troisième responsabilité est de bien définir les connaissances et aptitudes attendues et si nécessaire de créer des formations ad hoc après les concours d’entrée... C’est ce que devraient développer l’ENA, les IRA et les autres écoles dans les parcours de formation initiale ou, à défaut, les administrations elles-mêmes, après l’entrée en fonction ou en cours de carrière.
 
Bien concevoir les concours, bien accueillir les jeunes, compléter les formations initiales par une préparation aux métiers, voici quelques responsabilités des employeurs publics qui, avant d’être des « utilisateurs », doivent être des « épanouisseurs » de jeunes diplômés.
 
Ces pistes sont des éléments élémentaires d’une gestion des ressources humaines (moins prestigieux que la fameuse GPEEC mais tout aussi essentiels) et qui, heureusement, commencent à se développer.

Les responsabilités des utilisateurs publics : une « vraie » GRH adaptée à l’accueil des jeunes diplômés

Les « utilisateurs publics » de jeunes diplômés souhaitent que les étudiants aient un meilleur niveau en finances publiques mais aussi que les manuels et les enseignements soient adaptés.
 
A. Le niveau
 

Tous les témoignages recueillis (y compris ceux de mes étudiants) et le contact avec les écoles montrent que le niveau moyen au moment des concours d’entrée est très faible. Comme les épreuves sont très sélectives, le niveau des lauréats n’est pas catastrophique mais cette sélection sur une matière « secondaire » et difficile n’est peut-être pas optimale. En outre, elle décourage les candidats, ce qui défavorise les finances publiques quand elles ne sont qu’une épreuve à option.

Enfin, les étudiants, même lorsqu’ils ont des connaissances, ne semblent pas avoir les « bases », la culture, le bon sens que les jurys attendent d’eux.
 
Comme l’a dit un inspecteur général des finances, « certains de nos jeunes collègues n’ont pas les bases en finances publiques mais comme ils sont intelligents, ils anticipent les difficultés et viennent se renseigner auprès des anciens ». Ce qui pose la question de ce qui est attendu des jeunes diplômés : un niveau élevé de connaissances techniques comme le croient trop souvent les étudiants ou des aptitudes à s’intéresser et maîtriser les enjeux de cette matière ?
 
Donc la première attente des « utilisateurs publics » est de relever le niveau ou, mieux, les aptitudes des diplômés en matière de finances publiques.

B. Les manuels

Nos étudiants ont plus besoin de courts « que sais-je ? » que de longs « je sais tout ».

En comparant les manuels actuels avec ceux dans lesquels j’ai travaillé pendant mes études (le polycopié de Paul-Marie Gaudemet et le Thémis de Maurice Duverger), je relève trois évolutions :

  • d’une part, la matière a considérablement augmenté de volume incluant désormais et à juste titre la LOLF, la jurisprudence du Conseil constitutionnel et les finances locales, sociales, européennes et même internationales ;
  • d’autre part, dans certains ouvrages, la fiscalité a disparu. Nous savons que l’enseignement et les commentaires de la fiscalité s’éloignent du droit public et sont de plus en plus conçus comme ayant pour finalité l’optimisation fiscale qui est plutôt une préoccupation privée.

Mais si les éditeurs et les auteurs prennent acte de cette évolution, ils contribuent puissamment à l’accélérer.

  • Enfin, la matière est naturellement très technique, les connaissances de plus en plus spécialisées et les programmes et les ouvrages sont donc de plus en plus gros.

De sorte que, de peur de s’attaquer à des encyclopédies en deux volumes (finances publiques et droit fiscal), nos étudiants se rassurent avec des recueils de fiches forts utiles mais dont l’apprentissage passif ne répond ni aux attentes des jurys, ni aux besoins de leurs futurs « utilisateurs ».
 
Sans faire de publicité, nos étudiants ont plus besoin de courts « que sais-je ? » que de longs « je sais tout ».

C. L’enseignement

Les responsables des études des écoles et les étudiants sont assez critiques sur l’enseignement des finances publiques : académique, abstrait et technique. Pourtant, cette matière est passionnante si on la contextualise, si l'on met en avant ses liens avec la pratique, l’actualité et les disciplines voisines : histoire, économie, sociologie…
 
Par ailleurs, on peut la « mettre en scène » autrement que par des cours magistraux : l’éclairage historique, les exercices pratiques et les références à l’actualité peuvent en faciliter la compréhension. Cette matière doit et peut redevenir attractive. Ce point est essentiel.
 
Que la matière soit obligatoire et « payante » dans les concours et, a fortiori si elle est facultative et affectée de coefficient faible, les étudiants ne s’y intéresseront que s’ils sont
motivés. Quelle que soit la conception des concours, ceux qui choisiront les carrières administratives rencontreront les finances publiques tôt ou tard.
 
Mais surtout pour éviter la contradiction actuelle entre des programmes énormes et la volonté d’avoir des diplômés qui sortent de leurs fiches, qui aiment cette matière et qui en ont une approche intelligente, la seule solution semble être de mieux distinguer ce qui relève des « fondamentaux » (des finances publiques) de ce qui relève des « techniques » (budgétaires, comptables et fiscales).
 
Une telle distinction devrait servir de base à une réorganisation des enseignements, une révision et une certaine harmonisation des programmes des concours et à la rédaction de manuels.

Relever le niveau moyen, alléger les manuels, distinguer les fondamentaux des techniques, voici quelques attentes des étudiants et de leurs futurs « utilisateurs » qui sont tous des « usagers » de l’enseignement supérieur. C’est donc une rénovation de la pédagogie des finances publiques qui est envisageable. C’est l’expression même du directeur des études d’une école prestigieuse que j’ai rencontré. À cet égard, l’ENFiP a tenu à faire savoir qu’elle est ouverte à tous partenariats pour réfléchir à ces questions.
                                                 
À la « question à réponse courte » posée au niveau préparation IRA (« Dans quelle mesure les finances publiques se rattachent-elles plutôt au droit public qu’au droit privé ? »), les étudiants ont flairé un « piège » et toutes les copies ont fort bien démontré le rattachement des finances publiques au droit public. En revanche, peu ont vu le « problème ». Sur 21 copies, seules 3 ont évoqué (en quelques mots seulement), les « infiltrations » de gestion privée dans la matière : deux par la LOLF et une par le droit fiscal. Donc du point de vue des étudiants qui préparent les concours administratifs, l’ancrage dans le droit public est solide.

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