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29 / 01 / 2009 | 48 vues
Sophie Caillat / Membre
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Les syndicalistes SUD-rail, des «irresponsables» ?

Il ne fait pas de doute, pour Jean-Marie Pernot, chercheur à l'IRES et auteur de "La Grève" (avec Guy Groux aux Presses de Sciences Po, 2008), que le mois de conflit des conducteurs du dépôt de Saint-Lazare "met en lumière le dialogue social impossible à la SNCF". En regardant de près les tracts de l'intersyndicale, on s'aperçoit, comme l'affirme Jean-Marie Pernot, que "les revendications ne sont pas étroitement corporatistes mais axées sur la sécurité et les effectifs". En outre, "94% des arrêts de trains sont dus à des problèmes techniques et 6% à des grèves, les voyageurs le savent bien".

En partenariat avec Eco89


Les "mécanos" (nom des conducteurs dans le jargon cheminot) de SUD insistent beaucoup sur les "problèmes de sécurité liés à la hausse de la productivité". Ils témoignent:

  • "Les freinages d'urgence sont en forte hausse car il nous arrive de nous endormir en conduisant, et les “gares bouffées” (oublis d'arrêt) se multiplient aussi. Ca fait un moment que la cocotte minute menace d'exploser. Sur le réseau Saint-Lazare, on ne cesse d'ouvrir des lignes et d'augmenter le cadencement alors que le nombre de cheminots est passé entre 2004 et aujourd'hui de 750 à 700. Le sous-effectif est comblé grâce à du personnel volant venu d'autres régions et qui touchent des primes allant jusqu'à 1700 euros par mois. A cause d'eux, on nous refuse nos congés, notre avancement de carrière est bloqué et nos horaires se dégradent. Pepy ne cesse de promettre plus de régularité, nous, on dit juste que c'est impossible sans moyens supplémentaires".


Notons que le conflit s'est terminé sur des promesses de mise en formation de 84 jeunes et non par des hausses de salaires. "Une grève altruiste" en somme, pour Christian Chevandier, auteur de Cheminots en grève ou la construction d'une identité (1848-2001) (Maisonneuve et Larose 2002). Cet historien a noté depuis la grève de novembre 2007 sur la réforme des régimes spéciaux que:

  • "Les cheminots se battent pour les générations futures, ont une conception moins virile qu'avant de la grève, d'où la nécessité de convaincre les non grévistes, notamment chez SUD."

SUD est-il responsable de la fermeture de la gare Saint-Lazare?


La fermeture de la deuxième gare de France, de 10 heures à 19 heures le 13 janvier, a suscité beaucoup d'émoi et fait remonter la ritournelle de la "prise en otage" des usagers par des syndicalistes extrémistes. La veille à 19h40, un conducteur a été tabassé en gare de Maisons-Lafitte. A la prise de service le lendemain matin, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre et rapidement, tous les conducteurs invoquent le "droit de retrait", prévu en cas danger grave et imminent, pour cesser le travail sans préavis. Plus aucun train ne circulant, la direction a craint un mouvement de panique de passagers mécontents et fait fermer la gare. SUD et la direction se renvoient la responsabilité de ce dénouement, mais pour SUD, une telle agression était inéluctable:

  • "On sentait monter le risque d'agression depuis un moment, la direction de la SNCF alimentait la haine contre nous, relayée sur des blogs et sur Facebook où s'est créé un groupe “Pour qu'on abatte les responsables syndicaux Sud-rail à Paris Saint-Lazare”."


En assemblée générale, la reprise du travail est votée dès 14 heures, mais il a fallu attendre 19h10 pour que le premier train reprenne du service. Pour SUD, "la direction a fait traîner le stylo" mais pour cette dernière, il fallait simplement "le temps de réorganiser le trafic".

SUD est désormais présenté comme seul responsable de la fermeture de la gare, mais c'est l'ensemble des conducteurs qui ont invoqué le danger grave et imminent pour se mettre en droit de retrait. La SNCF glisse qu'il n'y avait "pas plus de danger ce jour-là sur ces lignes qu'avant". Dans un document interne de la SNCF qu'Eco89 s'est procuré, il est écrit:

  • "Cette coagulation du conflit, fondée sur l’amalgame d’un conflit long et de l’agression d’un conducteur, est inusuelle et a présenté un caractère tout à fait imprévisible."


Une chose est sûre, la fermeture de la gare n'a pas seulement coûté cher à l'entreprise qui a promis d'indemniser les passagers, elle a durablement entamé l'image de SUD-rail. Et permis de réinterpréter le mois de grève précédent sous l'angle du "trublion anarcho-syndicaliste" dont l'objectif serait d'arriver en tête aux élections professionnelles de mars en montrant "ses muscles face à son puissant concurrent, la CGT. Et de se présenter comme le seul vrai syndicat contestataire capable de faire plier Guillaume Pepy, président de la SNCF", comme l'écrit Le Figaro dans l'article SUD-rail ou la stratégie du blocage.

La méthode de la grève courte est-elle scandaleuse?


C'est une "faille" de la loi sur le service minimum de 2007 que ce syndicat a décidé d'exploiter habilement. Mais ce n'est pas la première fois et il ne l'a pas fait seul puisque, du 14 au 31 décembre, c'est l'Intersyndicale CGT CGT-FO SUD-rail et FGAAC qui donnait le mot d'ordre de grève. La CGT a négocié de son coté et s'est retirée du conflit le 31 décembre.

La "grève de 59 minutes" a des avantages: elle permet de limiter les pertes en salaire, de faire durer plus longtemps un conflit en coûtant moins cher aux grévistes. Mais contrairement à ce qui a pu être écrit, c'est une heure de travail qui est prélevée, soit 13,16 euros pour un cheminot en milieu de carrière. Un syndicaliste de SUD-rail témoigne:

  • g"On a mené deux grèves en parallèle, des 59 minutes en prise de poste et des préavis de 24 heures pour pourrir le conflit. Les grèves courtes sont compliquées à organiser pour nous car il faut déclarer 48 heures à l'avance l'intention de faire grève et il faut être suffisamment nombreux pour que ça tienne. En tournant avec les autres syndicats et des non encartés, ça a marché."


Le trafic n'a été que légèrement perturbé, mais suffisamment aux yeux de la SNCF pour qu'il faille déclencher le service minimum. Ce que conteste SUD:

  • "Si la SNCF déclarait au STIF, l'autorité organisatrice des transports en Ile-de-France [qui est sa tutelle] qu'elle assurait un trafic normal et qu'elle ne le faisait pas, cela lui coûtait des pénalités. Elle a aussi fait ce choix pour monter les usagers contre nous."


Problème, la direction avait fait appel à du personnel de remplacement et n'affectait pas de train aux grévistes à l'issue de leurs 59 minutes de grève. Une guerre des nerfs, pour SUD:

  • "On a passé des journées entières à ne rien faire et, vu qu'on ne roulait pas, on a été privés des primes qui constituent un tiers de nos revenus. C'est une discrimination."


Contactée, la direction se défend en plaidant le fait qu'une "absence d'une heure en début de service nous désorganise complètement et on ne peut plus affecter de train car le train est parti".

Pour Jean-Marie Pernot, il n'y a pas d'abus de la part de SUD, exploiter une faille dans la loi "prouve juste que la loi était mal ficelée. Elle prenait pour modèle l'alerte sociale de la RATP, mais on voit bien qu'on en est loin."

 

Pourquoi tout le monde s'acharne contre eux?


SUD est devenu un bouc émissaire bien pratique pour le gouvernement, qui profite de la campagne de sape menée par la direction de la SNCF contre ce syndicat. Mais il incarne surtout une nouvelle génération de syndicalistes, qui a refusé de s'institutionnaliser.

SUD (l'acronyme de solidaires unitaires autonomes) est né après les grèves de 1995, d'une scission de la CFDT. Il a certes repris un héritage trotskyste de cette dernière, mais il n'a aucun lien avec le Nouveau parti anticapitaliste d'Olivier Besancenot, outre le fait que ce dernier soit militant de base à SUD-PTT. Henri Vacquin remarque que:

  • "Ils sont en rupture avec les autres syndicats parce qu'ils sont bien plus proches de leur base, les militants sont mieux formés, et ils ont remplacé la CGT dans le rôle de syndicat qui fait peur au patronat, avec le couteau entre les dents."


Leurs méthodes sont plutôt libertaires, avec un recours permanent à la base, un respect du vote en AG. Ce qui leur a permis de faire durer le mouvement de Saint-Lazare, c'est l'engagement des non-syndiqués et le refus de la direction d'entamer un dialogue jusqu'au moment critique de la fermeture de la gare Saint-Lazare. Pour Jean-Marie Pernot, il ne fait aucun doute que:

  • "Ce sont les agressés plus que les agresseurs, on leur attribue une tendance trotskiste, ce qui est ridicule et faux. Trouver des boucs émissaires est toujours un moyen facile pour les pouvoirs en place d'assurer leur tranquillité".

Que va-t-il se passer après?


Le gouvernement a annoncé des ajustements à la loi sur le service minimum selon la ritournelle droit à se déplacer qui ne doit pas être menacé par le droit de grève.

Or, selon les premières réflexions du député Eric Ciotti, qu'Eco89 s'est procurées, il est question d'instaurer un "droit de réquisition" du préfet en cas d'atteinte caractérisée et prolongée à la liberté de circuler. Une liste d'agents volontaires serait établie pour suppléer leurs collègues en cas de grèves spontanées. Ils toucheraient une prime incitative journalière. L'instauration de "jaunes" officiels, en somme. Pas sûr qu'il y ait beaucoup de candidats pour devenir "briseurs de grève officiels", malgré la prime. De toutes façons, un tel texte aurait de fortes chances d'être retoqué par le Conseil constitutionnel.

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