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24 / 03 / 2014 | 18 vues
Franck Daout / Membre
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Le pacte de responsabilité à l’épreuve du dialogue social chez Renault

Les vœux du président, ainsi que la conférence de presse du 14 janvier qui a suivi, permettent de saisir l’étendue du chantier « pacte de responsabilité ». Les allègements sur la masse salariale de 4 % en 2014 et 6 % en 2015, pour les entreprises, ainsi que le lot de simplifications administratives et fiscales vont dans le sens de plus de compétitivité. Le troisième volet du plan concerne les contreparties qui répondent à une des revendications des organisations syndicales réunies en intersyndicale (CFDT, CGT, FSU et UNSA). Reste à savoir comment celles-ci vont se traduire en embauches, insertion des jeunes, travail des seniors, qualité de l’emploi, formation et surtout modernisation du dialogue social.

Sur les premières contreparties chez Renault (emploi, insertion des jeunes et  travail des seniors), un diagnostic a été partagé avec les organisations syndicales et des accords ont été signés, a minima au regard de la situation économique de l’entreprise (par exemple concernant le contrat de génération). Mais la nouvelle donne présentée le 14 janvier et les futurs rendez-vous pour le printemps 2014, puis à l’automne 2014 (pour les années 2015-2017) méritent de revoir les copies fraîchement signées, surtout en termes d’objectifs et d’engagements précis et chiffrés. Sur la qualité de l’emploi (CDD, intérimaires etc.), la situation ne devrait être que passagère, en particulier si l’embellie économique en France et en Europe se confirme pour l’automobile.

Le pacte de responsabilité ne pourra fonctionner que s’il est structuré par un dialogue social renforcé et de qualité.

Est-ce le cas aujourd’hui chez Renault ? A priori oui, au regard d’un accord dit « de compétitivité » signé en mars 2013, qui en plus de pérenniser tous les sites en France sans licenciement jusqu’en 2016 (durée de l’accord), aborde le « développement du dialogue social » et la qualité de vie au travail dans son contenu. Mais la situation d’urgence imposait une réelle volonté de consensus uniquement refusée par une CGT consciente de ne pas à avoir à prendre ses responsabilités au regard de l’engagement précoce des autres acteurs. Dans les faits, et au-delà de cet épisode positif, quel dialogue social vivons-nous au quotidien, chez Renault (et sans doute plus globalement dans les grandes entreprises du CAC 40) ?

Un centralisme institutionnel de plus en plus prégnant

Premier constat, nous vivons une dérive « centralisée et institutionnelle » des relations sociales et de la fonction RH. Le centralisme de la fonction RH peut être compris dans le cadre d’une volonté à figer des règles et consignes, dans un but légitime de ne parler que d’une seule voix dans tout le groupe. Mais la règle ne doit pas être la même au moment de sensibiliser et présenter les différents sujets aux managers de terrain et aux salariés. En effet, l’amoncellement de textes législatifs, leurs déclinaisons dans l’entreprise et les innombrables notes d’applications qui en découlent font que nous nous trouvons face à une montagne de contraintes, que ne sont plus capables de gérer les relations sociales… Sauf à mettre en place des responsables « relations sociales » avec des profils de juristes et prompts à uniquement appliquer les directives en faisant fi des contraintes locales.

Or, le dialogue social ne peut se satisfaire de situations figées dans le carcan de règles législatives et qui plus est interprétables à souhait. C'est d’autant plus inquiétant que les chantiers à porter sont immenses et sans doute vitaux pour l’avenir de l’entreprise ; la formation, la GPEC (voir GTEC avec l’aide des acteurs locaux) et surtout la qualité de vie au travail (QVT) voulue et poussée par une CFDT bien esseulée durant la négociation concernée. Sur ce dernier sujet, nous pensons que la société civile ne laissera pas indéfiniment les ouvriers, les techniciens et les cadres souffrir en travaillant, les salariés finiront par demander à l’entreprise et aux partenaires sociaux des comptes sur cette « inaction et incurie » sur ce thème. Le diagnostic semble partagé, alors comment faire et surtout avec qui ? Comment faire et avec qui, dans le cadre de déséquilibres locaux flagrants?

Le paysage syndical, depuis la loi de 2008, aurait dû se clarifier mais avec la crise, les évolutions sociologiques de l’entreprise sont bouleversées et, contre toute attente, on ne peut que constater un éparpillement et un repli sur soi du monde syndical. L’émergence d’organisations syndicales non représentatives, le centralisme, dénoncé par ailleurs, et conséquemment le manque de latitude et de moyens en local ont fini par saper les bases d’un dialogue social de qualité. Nous avons là tous les ingrédients d’un scénario catastrophe. Renault ne semble pas vouloir sortir de cet équilibrisme d’amateur qui consiste depuis deux décennies à privilégier des relations sociales centralisées et des institutions centrales comme le CCE, en laissant les relations sociales locales d’établissement sans marge de manœuvre. Il a fallu que la CFDT sorte de sa réserve et s’ouvre vers l’extérieur, dans le cadre de son livre Renault en danger aux éditions de l’Harmattan, en juin 2012, pour secouer la vieille dame de Boulogne-Billancourt et se poser les vraies questions sur l’avenir de la marque Renault. Les négociations qui ont suivi dans le cadre du sauvetage d’au moins deux sites sur le territoire, ont, il est vrai, été exemplaires du fait de la volonté de chacun de sauver le navire.

Mais depuis, la CGT et les groupuscules syndicaux évoqués précédemment font feu de tous bois dans les tribunaux de France et de Navarre pour arrêter cet accord… C’est le syndrome de l’arroseur arrosé : en effet, la direction centrale n’a eu de cesse depuis plus de 20 ans, que de vouloir annihiler la présence de la CGT en central, alors que sur les sites du groupe, elle continue de vivre sa vie d’organisation syndicale majoritaire, (voire ultra majoritaire à plus de 50 %). Paradoxe d’une situation sociale où des accords sont signés au niveau central, par des organisations syndicales non majoritaires au niveau local. Le point de bascule se faisant par la situation du site de Guyancourt (l’ingénierie de Renault) avec 10 000 salariés et où la CGT frôle la correctionnelle avec un peu plus de 12 % des suffrages et une CFE-CGC majoritaire.


Le paysage syndical chez Renault était le suivant au 31 décembre 2013 :

  • CFE-CGC : 29,6 %,
  • CGT : 24,85 %,
  • CFDT : 18,39 %,
  • FO : 15,17 %.
  • On peut constater l’écart significatif entre « le monde social Renault » et les chiffres de représentativité nationale et interprofessionnelle (CGT : 30,62 %, CFDT : 29,74 %, FO : 18,23 % et CFE-CGC : 10,78 %). Si l’on prend les chiffres au niveau de la métallurgie, les résultats sont plus globalement réalistes pour la CGT, la CFDT et FO…Mais  « étonnant » en ce qui concerne la CFE-CGC. Le paysage syndical se construit sous l’emprise d’un seul site de 10 000 salariés. Nous nous trouvons donc devant une situation schizophrène, où le paysage syndical est décalé du fait de l’histoire et de la volonté de l’entreprise de favoriser un type de syndicalisme, et où les décisions centrales semblent refléter un dialogue social équilibré, alors qu’en local, la situation est tout autre. Cette double contradiction sera-t-elle tenable plus longtemps, sans un rééquilibrage des forces et une prise en compte, des spécificités de site, d’où la nécessité d’une décentralisation de la fonction RH, avec des moyens adéquats afin de valoriser les acteurs locaux dits « réformistes » ?

Les contraintes économiques et les réformes nécessaires à la modernisation du fonctionnement de l’outil industriel ne pourront se faire sans une responsabilisation de tous les partenaires sociaux locaux, sous peine que la position des « réformistes » ne soit plus tenable et qu’ils « démissionnent » de leurs missions. L’entreprise ne pourra éternellement appréhender les contours de la représentativité du groupe en se basant essentiellement sur les résultats du site de Guyancourt et de son siège (avec des taux de participation de moins de 60 %), même s’ils représentent plus du tiers des salariés de Renault SAS. Les moyens, la population et les besoins sont sans commune mesure à ceux des autres sites de l’entreprise. Avoir une telle démarche, c’est ignorer une partie du personnel et donc déserter le dialogue social sur une partie de l’entreprise. Avec un accord de droit syndical qui date de juin 2000 (!), donc forcément obsolète sur bien des sujets, des fonctions supports (donc RH) en déclin numéraire, comment l’entreprise va-t-elle pouvoir répondre à un pacte de responsabilité qui au-delà des chiffres demande une modernisation du dialogue social ?

Pour la CFDT, les performances industrielles de l’entreprise ne peuvent se faire que par un dialogue social de qualité, avec la volonté permanente de résoudre les problèmes au plus près du terrain et d’avoir une démarche constante d’anticipation sur le futur visage de notre groupe. Si la volonté présidentielle est de glisser lentement mais sûrement vers une démocratie sociale, avec l’accord et le soutien affiché du patronat, alors nous pensons qu’il est urgent que les grandes entreprises, et Renault au premier chef, se donne les moyens de relever ce défi, sous peine de s’engluer dans un syndicalisme passéiste et figé, qui fatalement aura un effet sur la pérennité de nos sites en France.

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