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13 / 06 / 2016 | 8 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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Le CESE : lieu privilégié de réflexion et outil important de la démocratie

Patrick Bernasconi, nouveau président du Conseil économique, social et environnemental a bien voulu répondre aux questions de Miroir Social et donner son avis sur la place et le rôle de cette institution.

Vous êtes le nouveau président du CESE, comment comptez-vous rendre à cette assemblée tout son rôle ?
Le CESE est un outil de la démocratie. Il est avec l’Assemblée nationale et le Sénat, la troisième chambre constitutionnelle de notre pays. C’est un outil important car c’est la seule assemblée dans laquelle on retrouve l’ensemble des organisations représentant la société civile ; au CESE siège la société civile organisée et qualifiée.

Le CESE est une petite France : les organisations qui y délèguent des  conseillers représentent des dizaines de millions de Français.

Le rôle dévolu par la Constitution au CESE est triple :
  • éclairer les pouvoirs publics et le Parlement par le biais des saisines gouvernementales et des autos saisines,
  • participer à l’évaluation des politiques publiques,
  • répondre aux pétitions citoyennes qui lui sont adressées.

Je compte (c’est une œuvre collective) refaire prendre tout son rôle au CESE dans ces trois missions :

  • augmenter le nombre de saisines par les pouvoirs publics mais aussi par le Parlement, de façon à appréhender la faisabilité ou pas d’un projet ou d’une proposition de loi. C’est pour le gouvernement ou les parlementaires une façon de tester le ressenti des citoyens vis-à-vis d’une politique publique, savoir si elle est attendue et comment elle est attendue puis, après que nous ayons rendu notre avis, suivre véritablement ce qui est fait de nos préconisations : ces préconisations sont-elles reprises dans la loi ou ailleurs, sont-elles mises en œuvre ? Je le rappelle, ce sont les préconisations de la société civile, et ce sont des préconisations qui très souvent font l’objet de consensus ; phénomène, hélas, assez rare dans notre société ;
  • user véritablement de ce droit d’évaluation des politiques publiques, ce qui sera une nouveauté. Il ne s’agit pas de concurrencer, par exemple la Cour des Comptes, mais d’agir en complémentarité ; il peut s’agir de juger de l’efficience d’une politique publique sur le terrain et je crois que la composition du CESE peut beaucoup aider à travailler en ce domaine ;
  • répondre aux pétitions citoyennes : depuis la réforme de 2008, le CESE a le devoir d’étudier les pétitions citoyennes qui lui sont adressées et comptant plus de 500 000 signataires, dans des conditions très restrictives. Nous sommes actuellement en train de réfléchir à optimiser cette possibilité : pourquoi et comment se saisir de pétitions importantes n’atteignant pas les 500 000 signatures requises, par quels moyens, aussi je pense que nous ne pouvons plus ignorer internet, en 2016. Or, aujourd’hui, ces pétitions ne sont pas reconnues.

Je pense indispensable de proposer aux citoyens d’être écoutés.

Comment pourriez-vous nous résumer vos premiers mois au CESE ?
La venue du Président de la République et du Premier Ministre au CESE dès le début de la mandature ont été pour nous des premiers messages très importants par rapport à notre rôle et ce qui était attendu de nous. Depuis lors, je me suis attaché avec l’ensemble des conseillers du CESE à travailler dans 4 directions :

  • la définition d’orientations stratégiques du CESE qui sont les bases de nos travaux durant la mandature. Ces orientations stratégiques ont été votées à l’unanimité, c’est la première fois que le CESE se dote d’une telle base de travail ;
  • un toilettage de notre règlement intérieur, un travail sur l’organisation de l’institution et sa gouvernance afin qu’elles correspondent le plus possible à son niveau de responsabilité ;
  • un travail en direction des pouvoirs publics et du Parlement afin de leur redonner le reflexe CESE ;
  • un retissage de liens très importants avec toutes les organisations représentées au CESE afin que celles-ci s’emparent des avis votés par le CESE, votés par leurs propres délégués, et les portent en direction de leurs propres adhérents et des pouvoirs publics.

Enfin, j’ai décidé de créer des missions nécessitant une réflexion collective :

  • par exemple sur nos relations avec les CESER,: quelles synergies construire, comment profiter les uns et les autres de nos travaux respectifs etc. ;
  • sur l’Europe : quelles relations avec les conseils économiques et sociaux européens, avec le CES européen, comment intégrer la dimension européenne dans les travaux de toutes les sections ;
  • sur la question des pétitions citoyennes que j’évoquais plus haut mais aussi sur la question de la participation plus importante des citoyens à nos travaux par le biais de plate-forme collaborative, d’ateliers participatifs...

On parle de la « méthode Patrick Bernasconi », comment la décririez-vous ?
Ma méthode, c’est le collectif. Je crois profondément au dialogue et à la convergence.
Dans le projet qui m’a conduit à la présidence du CESE, nous avons, avec une vingtaine d’organisations, construit un projet commun. Ce collectif a fait que l’élection a été large et le projet partagé. Cela nous oblige. Ce collectif, je l’ai étendu à tous les groupes, tous les conseillers du CESE. Je suis un adepte du dialogue et du consensus mais pas du consensus mou, du consensus qui naît de constats partagés, de méthodes de travail collectives, transversales, du respect des différences ; bref, du consensus qui soit le plus haut possible.

Notre pays subit aujourd’hui un mal-être, une montée des extrêmes et des populismes. Le CESE est un lieu privilégié de dialogue et nous comptons bien occuper notre place et jouer  notre rôle. La force de la démocratie politique est d’être à l’écoute et au plus proche des citoyens. Elle se doit donc de l’écouter. En cela, elle met en place le meilleur rempart à la montée des extrêmes et du populisme

Comment comptez-vous renforcer l’implication des organisations présentes au CESE ?
Je crois  fortement aux corps intermédiaires. Ils émanent de la société civile qu'ils structurent et ils vivent au milieu des citoyens, transmettent leurs messages, catalysent les réflexions et sont de puissants moteurs de recherche et d’innovation.

Pour toutes ces raisons et parce que ces corps intermédiaires, organisations, associations, syndicats patronaux ou de salariés rassemblent des dizaines de millions de Français, leur rôle doit être considéré à leur juste valeur : ils sont le fruit de l’engagement quotidien des Français.

Les organisations doivent beaucoup plus se saisir de ce qui est produit par le CESE.

J'ai bâti mon projet avec ces organisations que je connais (et j’ai vu ce qu’elles pouvaient apporter) ; en tant que chef d’entreprise, j'ai vu ce que la force du collectif pouvait apporter à l’individuel.

Ces organisations délèguent des membres (le plus souvent leurs principaux responsables) au CESE en tant que conseillers. Ces conseillers travaillent beaucoup au CESE mais les organisations doivent beaucoup plus se saisir de ce qui est produit par le CESE.

Je m’explique. Quand le conseil vote un avis (par exemple sur la modernisation du dialogue social), les organisations patronales et syndicales de salariés doivent s’emparer de ce rapport et surtout de ses préconisations et les porter auprès de leurs adhérents mais aussi des pouvoirs publics. La force de ces préconisations s’en verrait décuplée.

Pour atteindre cet objectif, il est indispensable que le CESE associe le plus possible l’ensemble des organisations qui en sont membres par leurs représentants, à sa vie quotidienne et à ses réflexions. Nous avons lancé cette démarche mais je sais que l’effort nécessitera d’être soutenu.

Quel regard avez-vous sur la crise sociale qui traverse notre pays ?
Je pense que cette crise traduit une multiplication des inquiétudes et tensions. Tensions géopolitiques, tension dues à l’accélération du monde, avec ses mutations rapides comme la numérisation, l’ubérisation, l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies. Il y a aujourd’hui une peur d’évoluer, un blocage et une incompréhension. Nous ne sommes pas le seul pays concerné…

Nous sommes à un moment (et la loi n’est pas le seul sujet) où l’accumulation de toutes ces tensions se cristallise. Nous n’avons pas (tout le monde a sa part de responsabilité) su répondre à cette montée d’inquiétudes et d’incompréhensions. Les mutations sont fortes et les réponses insuffisantes. La France dans sa façon de fonctionner n’est pas en état de répondre à ces craintes.

Le CESE vient d’adopter un avis sur la modernisation du dialogue social. Certains « observateurs » de la vie politique se sont gaussé de ce manque d’à-propos traduisant bien le décalage formidable qui existe entre le CESE et la réalité social du pays et de ce fait son inutilité complète. Ils sont tort. Je ne crains pas de le dire je m’inscris en faux sur cette analyse.

La situation sociale de notre pays démontre bien la justesse et l’à-propos des travaux du CESE car cette crise démontre qu’il est urgent de moderniser le dialogue social dans notre pays. C’est impératif.

Le CESE n’existe pas pour traiter de l’actualité immédiate, politique et gouvernementale. Le Parlement est saisi d’un projet de loi et il en débat ; le gouvernement est interpellé par certains partenaires sociaux et il dialogue avec eux.

Le CESE, lui, dit : à notre avis, voici ce qu’il faut faire pour moderniser le dialogue social et essayer de faire en sorte que des crises de ce type se produisent moins. Le CESE n’est pas l’actualité ; il fait des propositions pour demain.

D’ailleurs, après que nous ayons remis notre avis à Myriam El Khomri, elle a immédiatement annoncé qu’elle reprenait certaines de nos préconisations sous forme d’amendements : voilà la réalité de l’action et de l’utilité du CESE. Pour tout vous dire, je suis heureux que d’autres « observateurs » de la vie politique se soient aperçus de la justesse de notre démarche 48 heures après et s'en fassent l’écho.

Pouvez-vous nous en dire plus sur « le développement de la culture du dialogue social en France » ?
Avant toute chose, je désire saluer le travail des deux co-rapporteurs, Luc Berille (secrétaire général de l’UNSA) et Jean François Pillard (ancien directeur général de l’UIMM et ancien vice-président du MEDEF). Le travail fourni dans un calendrier très restreint, le vote (148 pour, 5 contre et 27 abstentions) dans le climat social de notre pays sont des performances à saluer et la manifestation évidente que les consensus, cela se construit.

Je viens de largement évoquer cet avis sur la modernisation du dialogue social. Je ne parlerai donc que de quelques préconisations afin que tous comprennent les progrès formidables que nous avons à accomplir dans ce domaine :

  • l’ensemble du volet consacré à la formation initiale sur le dialogue social ; à ce jour rien n’existe pour apprendre aux lycéens et étudiants ce qu’est le dialogue social. Ainsi, savez-vous qu’aucune formation en ce genre n’est dispensée dans les écoles de management ? Comment voulez-vous qu'un nouveau manager sache alors comment faire quand il est confronté sa première réalité de dialogue social ?
  • dans les petites entreprises, ce que j’appellerai le dialogue social du quotidien existe : il est permanent entre le chef d’entreprise et les salariés mais il faut donner les moyens aux uns et aux autres d’être accompagnés, formés et guidés dans l’organisation d’un réel dialogue social adapté à la taille et à la spécificité de ces petites organisations ; il faut ouvrir des expérimentations avant de généraliser ;
  • les accords entre partenaires sociaux sont souvent très touffus, très loin des usagers que sont les salariés et les chefs d’entreprise ; il faut que les organisations s’engagent à les expliquer et à en souligner les avancées, auprès de l’ensemble de leurs adhérents ;
  • beaucoup d’accords sont conclus mais procédons-nous véritablement à l’évaluation de la mise en œuvre des accords conclus précédemment avant d’entamer d’autres négociations ?

Voici quelques préconisations très simples parmi toutes celles émises dans cet avis. Désormais, aux pouvoirs publics, avec l’aide du Parlement, et aux organisations représentant les salariés et les chefs d’entreprise de les mettre en œuvre. Au CESE de veiller à ce que ces préconisations soient prises en compte. J’y veillerai.

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