La qualité de vie au travail pour mieux masquer la détérioration des conditions de travail
Rappelons tout d’abord que l’on n’a jamais autant parlé de « qualité » et de « démarche de qualité » dans le monde industriel que lorsque la qualité des produits manufacturés laissait à désirer.
En matière de vie professionnelle, la « qualité de vie au travail » relève de la même approche : il s’agit de masquer une détérioration des conditions de travail par une formulation positive, par des projets et des bonnes intentions virtuelles mais affichées par des DRH en mal de certification-écran. L’important, c’est de communiquer.
Le numérique, un monde de difficultés fabriquées
Les sociétés du secteur informatique (ou numérique) n’ont pas pour vocation de mettre en place des conditions matérielles de travail difficiles. Les postes de travail sont d’ordinaire confortables et constitués d’une table, d’une chaise, d’une connexion informatique avec ou sans fil, dans des espaces ouverts relativement bien éclairés et généralement bien conditionnés.Pourquoi constate-t-on autant de stress, de cas d'épuisement professionnel et d’alertes du CHSCT pour risques graves menant à des rapports circonstanciés et à des préconisations rarement suivies d’effet ? Les phénomènes se reproduisent souvent d’un mandat de représentant du personnel à l’autre.
La racine du mal résiderait-elle dans le mode de management : la façon de conduire une entreprise appliquée à ses salariés ? C’est un domaine où l’on constate de plus en plus de rigidités et de lourdeurs qui seront sécurisées par une fléxi-insécurité imposée par ailleurs…
Mettre le management en question, une vue de l’esprit idéologique ?
Le récent sondage sur le « management de qualité », disponible sur le site de l’ANACT, mène à une synthèse édifiante.1. Les managers s’accordent sur « un consensus quant à la nécessaire mise à jour des pratiques managériales ».
2. Ces responsables « attendent d’être outillés, formés et accompagnés pour mettre en place un management de qualité ».
Une question se pose alors : sur quels critères les managers ont-ils été désignés à des postes de responsabilités humaines ?
Un exemple parmi d’autres de QVT mais un portrait révélateur
Le projet « notre qualité de vie au travail », lancé dernièrement dans une entreprise, s’inscrit dans un programme qui se veut plus global et qui est baptisé « feel good ». La langue anglaise est nécessaire pour rassurer un actionnariat mondial anglo-saxon.
À son lancement, la direction a imposé aux représentants du personnel membres du comité de pilotage du projet une clause de confidentialité ainsi rédigée : « Dans ce cadre, afin de garantir la protection totale des droits individuels des salariés et prohiber toute divulgation d’informations personnelles et confidentielles, nous nous engageons à ne pas diffuser, ni communiquer, ni utiliser, hors la tenue des comités de pilotage, toute information et tout document non public qui nous seraient transmis ou portés à notre connaissance à l’occasion de ces réunions ».
La protection des droits des salariés est un bel alibi pour éviter de faire connaître les souffrances psychologiques et mentales auxquelles les employés sont exposés et qui perdurent depuis des années.
Ainsi, dès l’année 2013, le CHSCT avait une vision claire : « La charge de travail a été identifiée comme un risque pour les ventes, le conseil et le groupe produit. Elle se matérialise différemment selon les groupes. Pour les ventes, il s’agit d’une mise en situation d’échec via des objectifs croissants changeants au cours de l’année, d’objectifs irréalistes … Pour le conseil, la charge de travail est très importante en fin de mois… Le consultant doit généralement trouver par lui-même ses propres missions. Les missions sont sous-dimensionnées à cause de la pression sur les ventes. Pour certaines missions, il existe une sous-expertise avec un décalage entre les compétences requises et les compétences du consultant… Pour le groupe produit, la pression 24h/24 et 7j/7 peut être citée ».
Quatre ans plus tard, la situation n’a pas changé : les charges de travail ne sont toujours pas maîitrisées ni même identifiées.
Cependant, « notre qualité de vie au travail » prévoit d’organiser des séances d’ostéopathie, des dépistages cardiovasculaires, une formation « search inside yourself », des actions de santé et de bien-être et un droit à la déconnexion : « feel good », non ?
« Pour les managers qui diffusent du mal-être, que fait-on ? », a demandé un cadre des ventes, lors de la réunion de restitution du projet QVT devant le personnel.
Car les problèmes d’organisation ne sont pas abordés, ni les approches répétées de dégradation des conditions de travail visant à imposer l’atteinte des objectifs « managériaux ».
La qualité de vie au travail ne serait-elle, comme le harcèlement moral, qu’une question de ressenti et d’émotions, sujet complexe et difficile à quantifier ?
Tenter de noyer le poisson rend l’eau trouble ; c’est déjà ça de gagné !
Car les managers toxiques (MT) ne sont pas en voie de disparition. Les directions savent non seulement les protéger malgré les alertes CHSCT mais encore s’en servir dans les cas les plus extrêmes. Ainsi, une direction souhaitant se débarrasser à peu de frais d’un salarié n’hésite pas à utiliser un MT pour que le salarié soit affecté à un emploi ou une mission qui ne correspond ni à ses compétences, ni à sa qualification. Elle prend un risque de « qualité » en interne ou chez un client, mais c’est un coût qu’elle s’autorise [1]. Que celui-ci s’interroge sur le processus de décision, il lui sera répondu, avec la plus grande courtoisie du monde, que l’on est prêt à « l’accompagner au mieux » dans ce positionnement difficile et qu’il s’agit de lui « venir en aide puisque tu évoques toi-même le sujet de tes compétences et de tes qualifications dans le cadre de la mission qui t’est affectée » (sic).L’approche subtile de culpabilisation du personnel sous couvert de responsabiliser les acteurs pour de meilleures « performances de l’entreprise » est une pratique de management enseignée et reproduite à la différence d’un management de qualité, exploré par la récente enquête de l'ANACT susmentionnée.
La déresponsabilisation des employeurs ne sera jamais compensée par un projet de QVT
Ce mode de management trahit ses carences dans la connaissance des métiers et de leur organisation. Il n’apporte pas d’autre valeur ajoutée que la déclinaison d’objectifs et la constatation des résultats. Il met les « acteurs » en situation de stress artificiel, forcés de compenser le manque de moyens mis à leur disposition et le défaut de soutien méthodique par un surinvestissement en temps et en efforts. Tout cela participe à la détérioration des conditions de travail. Pour effacer tout cela et étaler une approche positive, les DRH mettront en place des plans de QVT appropriés.Comme le « dialogue social », la « qualité de vie au travail » a été analysée, structurée, modélisée et théorisée. C’est une formule bien positive pour qu’elle soit réemployée et instrumentalisée à tous crins par les professionnels de la communication exerçant dans les domaines sociaux ou politiques
Mais comme le dialogue social a remplacé la négociation sociale, les avantages sociaux et le progrès social, la QVT se développe sur l’usure de la notion de risques psycho-sociaux, à l’heure où l’on supprime les CHSCT devenu trop gênants.
La suppression des droits et des contre-pouvoirs salariaux pour défendre uniquement la santé au travail s’accompagne d’une nouvelle notion, la QVT, pour apporter de l’espoir virtuel, et disons même plus : de l’espoir numérique, pour être dans le vent !
[1] Le film Corporate, sorti au printemps 2017, présente une variante de ce management toxique intégré dans un service RH.
- Santé au travail parrainé par Groupe Technologia