Participatif
ACCÈS PUBLIC
06 / 12 / 2012 | 3 vues
Didier Cozin / Membre
Articles : 167
Inscrit(e) le 23 / 07 / 2012

La formation peut-elle être sacrifiée sur l'autel des négociations sociales ?

La formation, c’est l’anticipation et comme en France on préfère depuis toujours le curatif au préventif, la formation ne risque-t-elle pas une nouvelle fois de faire les frais des actuelles négociations entre les partenaires sociaux en vue de sécuriser l’emploi ?

Le droit individuel à la formation (DIF) doit-il être dissout dans un fourre-tout « compte individuel de formation » et servir de monnaie d’échange lors des actuelles négociations sociales ?

Selon certaines sources, en matière de formation, afin de « sécuriser l’emploi », le MEDEF proposerait désormais de dissoudre le CIF et le DIF dans un compte fourre-tout dénommé compte individuel de formation.

Si la nécessité d’un compte de formation attaché à la personne semble s’imposer pour transférer les droits et sécuriser la formation des salariés, le compte individuel de formation doit-il pour autant priver 16 millions de salariés du privé de leur droit à la formation ?

Dans une précédente tribune (le DIF et le CIF dans un même bateau), nous avons tenté d’expliquer pourquoi la confusion entre le DIF et le CIF serait préjudiciable aux salariés et au monde du travail (le CIF est un dispositif marginal conçu pour une reconversion exceptionnelle, le DIF permet à chaque travailleur d’entretenir ses compétences et de maintenir son employabilité tout au long de sa vie professionnelle).

Détruire ou dissoudre le DIF reviendrait à négliger tous les efforts entrepris depuis huit ans par les acteurs de la formation (branches professionnelles, organismes de formation, OPCA, pouvoirs publics...) pour finalement accoucher d’une souris, une simple cagnotte d’heures de formation sur un compte que personne ne pourra par ailleurs financer.

  • Mais il y a plus grave : détruire le DIF serait aussi anéantir la promesse de 2003 d’une formation redevenant équitable (20 heures par an) et universelle (pour chaque travailleur). Au pays du diplôme roi ce serait au final abandonner les millions de travailleurs non qualifiés face à la crise et à ses conséquences sociales et éducatives.

Il s’agirait d’un très mauvais signal donné aux travailleurs non qualifiés de notre pays (ceux sur lesquels repose très largement la flexibilité en France) : la formation ne leur serait pas destinée et en cas de perte d’emploi (et d’employabilité), ils ne pourraient que rejoindre des stages parking de Pôle Emploi.

Après s’être consacrés à bien d’autres choses qu’à développer le DIF durant huit longues années, les employeurs profiteraient donc des négociations sur la sécurisation de l’emploi pour annuler le droit à la formation de 16 millions de salariés du privé alors que la crise fait rage, qu’un milliard d’heures de DIF ont été capitalisées et que les salariés commencent (enfin) à intégrer que leur droit à la formation est une vraie opportunité pour se former régulièrement avec le financement de leur employeur.

Il faudra bien un jour comprendre en France que la formation est un temps long, qu’on ne se forme pas sur un coup de tête (et d’ailleurs le système empêche quiconque de se former très rapidement) et que si huit années qui se sont écoulées depuis le vote de la loi du 4 mai 2004, celles-ci n’auront été ni inutiles, ni improductives.

Au-delà du symbole (démanteler le droit à la formation huit ans après l’avoir inventé), il faut se demander si notre pays a encore le temp et les moyens de tâtonner, d’expérimenter ou de tergiverser en matière de développement des compétences des travailleurs. 

Imaginons que les partenaires sociaux acceptent donc et signent l'arrêt de mort du droit individuel à la formation. Quelles seraient les conséquences d’un tel renoncement ?

  • Au niveau social, la France enverrait un piètre signal : face à la crise nous n’aurions plus d’avenir économique commun, dans la société de la connaissance, il serait acceptable d’abandonner des millions de salariés à leur (triste) sort professionnel, sans formation ni capacité à se retourner en cas de rupture professionnelle.
  • Au niveau individuel, l’effet serait aussi désastreux pour chaque salarié. Chacun d'eux est propriétaire d’un capital formation de 20 à 120 heures (c’était aussi l’esprit de la réforme de 2004) et il aurait donc patiemment cumulé ses heures de DIF (en pensant qu’elles pourraient servir un jour), pour qu’en 2013 une nouvelle loi le laisse sans ressources (car le compte formation ne serait pas un droit, juste une facilité de gestion).
  • Au niveau des formations réelles, en stage, ce compte individuel de formation, s’il était vidé du DIF, ne serait plus qu’une coquille vide, probablement non financée (qui croira que les nombreuses entreprises en difficulté vont débloquer des dizaines de milliers ou millions d’euros pour former leurs salariés non qualifiés ?).
  • Enfin, au niveau du timing, l’effet serait aussi catastrophique : en rythme annuel, nous perdons 500 000 emplois depuis l’été 2012, l’agenda de l’UE 2020 nous enjoint de développer un emploi durable et de qualité tout en ouvrant la formation à 15 % des salariés tous les mois (nous avons actuellement régressé à 5 %). Les négociations sur le compte individuel de formation, une énième loi votée des mois plus tard, puis des négociations de branches, l’attentisme des entreprises etc. repousseraient au mieux à 2015 une éventuelle mise en œuvre du compte individuel de formation.

En cette cinquième année de crise, les enjeux devraient être évidents pour tous : soit le monde professionnel  déploie sincèrement  des efforts pour former et remettre à niveau les millions de salariés qui ne l’ont jamais été depuis les années 1970, soit nous continuerons à nous payer de mots, à leurrer les travailleurs avec des droits virtuels, tout en renonçant à jouer un rôle autre que celui de figurants dans l’économie de la connaissance et de l’information (car c’est de la formation de tous et aussi des moins qualifiés que dépendra notre futur développement).

Désormais, les travailleurs connaissent le DIF (pour 93 % d’entre eux d'après une enquête IPSOS pour Demos en mars 2012), notre pays a sans doute fait les trois quarts du chemin, dans certaines entreprises les demandes de DIF doublent tous les ans (la plupart des OPCA sont assaillis de demandes de financements, le FAFIH affiche une augmentation de 50 % des demandes de DIF en 2012, OPCALIA a arrêté le financement du DIF depuis l’été, ne pouvant faire face à la demande)… Bref, alors que le DIF prend désormais sa place dans le paysage de la formation, certains voudraient le rayer de la carte de formation pour plonger dans l’inconnu d’un compte individuel délesté de tout droit à la formation.

Oscar Wilde a écrit en 1895 une pièce intitulée De l’importance d’être constant. Même si cette pièce ne parlait pas d’éducation (mais du mariage et des unions), nous pourrions peut-être imaginer en France que le législateur et les partenaires sociaux comprennent l’importance d’être eux-mêmes constants, responsables et engagés auprès des travailleurs.

Il faut bien évidemment changer face à la crise mais le premier changement qu’attendent les travailleurs, c’est que l’on cesse de leur mentir, de les berner avec des lois sans effet sur le terrain et que les entreprises intègrent que former annuellement tous leurs salariés coûtera bien plus cher que les 1,6 % de cotisations obligatoires (pour les entreprises de plus de 20 salariés). Le prix à payer sera certes élevé pour le pays et les entreprises mais celui de l’absence de formation le serait bien plus grand.

Le droit à la formation est installé dans le paysage professionnel depuis 2004, une vingtaine d’articles du Code du travail y fait référence, les 16 millions de salariés du privés ne peuvent accepter qu’on les prive sans raison de cet indispensable droit de l’Homme et des travailleurs.

Pas encore de commentaires