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La conquête du paysage audiovisuel polonais par Canal+ se complique...
Partir à l’assaut du paysage audiovisuel polonais n’est pas forcément une sinécure et peut provoquer quelques frayeurs. C’est bien ce que doit penser aujourd’hui Julien Verley, ex-patron des finances de Canal+, propulsé PDG d’une nouvelle société née de la fusion de la société « ITI-TVN » et de « Cyfra+ ». Il doit regretter son bureau douillet du 7ème étage d’Issy-les-Moulineaux, quand il veillait avec précision et dextérité sur les chiffres du groupe, entouré de ses meilleurs collègues.
Comme souvent à Canal+, l'épopée se mène fleur au fusil. Mais pour partir à l’assaut des plaines du nord, n’est pas Napoléon qui veut. Julien Verley n’a pas fait l’école de guerre, ni Polytechnique, n’a même pas fait de stage chez McKinsey. Issu de l’une des meilleures universités françaises (Paris Dauphine), il avait pris le relai de l’excellent Eric Pradon à la direction financière de Canal+. Pendant 6 ans et 7 mois, il a rempli cette tâche avec sérieux et discrétion.
Il a alors été chargé de mener à bien les négociations de rapprochement entre « Cyfra+ » (notre Canal+ historique polonais) et « ITI-TVN » (un groupe alors mis en vente). Une opération menée à son terme avec succès. En récompense, Bertrand Meheut le nomme à la tête de la nouvelle entité ainsi créée. Départ pour Varsovie.
La mariée est bien belle. Le rapprochement des deux sociétés présente un réel intérêt avec l’agrégation d’un portefeuille de 2,5 millions de clients. Mais voilà qu’une lecture peut être trop rapide du droit de la concurrence polonais est venue perturber le bel édifice et les nuits de Julien.
Articles dans la meilleure presse locale, sites internet, page Facebook « likée » par des dizaines de milliers d’abonnés, les Polonais sont mécontents et quand un Polonais est mécontent, il s’exprime et ça s’entend.
Réaliser une « fusaq » (une fusion acquisition dans le jargon du milieu) ne se gère pas comme un compte de résultat. Gérer 20 collaborateurs à Paris ou prendre la direction d’une entreprise à l’étranger avec, cerise sur le gâteau, une fusion à réaliser, c'est une tâche d’une autre ampleur.
Ces Polonais ne sont vraiment pas reconnaissants. Alors qu’ils ont accueilli Napoléon en libérateur en 1806 parce qu’il avait fait fuir les Russes et les Prussiens, les voilà qu’ils vilipendent ses descendants parce que quelques juristes ont oublié d’ouvrir le code de la concurrence local.
Pourtant, à Canal+, nous savons combien il est parfois risqué de se projeter sur des territoires inconnus. Le Vietnam en est un exemple récent. Histoire plus ancienne mais emblématique, le rachat de Telepiù dans les années 2000. Une épopée qui nous avait déjà valu quelques déboires. À l’époque, une chaîne de télé payante se rachetait au nombre d’abonnés dont le prix était fixé par avance en milliers de dollars. Nos amis italiens, toujours créatifs en bonnes affaires, nous ont vendu de l’abonné virtuel, des dizaines de milliers d’abonnés payés au prix fort mais qui n’existaient que sur le papier.
Plusieurs années de batailles juridiques ont été nécessaires pour récupérer une partie de notre cagnotte alors investie en pure perte. Malheureusement, une fois le bateau remis à l’eau, nous le vendions à notre brave ennemi de l’époque, le groupe Murdoch.
Julien Verley était encore trop jeune pour connaître cette histoire, il n’a pu s’en inspirer avant de s’engager dans sa nouvelle aventure. Ceux qui auraient pu le mettre en garde ont été virés ou remerciés depuis longtemps. Toute la mémoire collective de l’entreprise est effacée, plus personne n’est en mesure de tirer le signal d’alarme, sauf peut-être quelques syndicalistes, aujourd’hui si peu écoutés ! Dommage. Encore une occasion ratée qui risque de coûter fort cher…
Car aujourd’hui en Pologne, il ne s’agit pas d’abonnés virtuels. Bien au contraire, ils existent bien mais le droit concurrentiel polonais est d’une extrême rigueur. Après la fusion de Cyfra+ avec TVN, Canal+ s’offrait le luxe de devenir un acteur incontournable du paysage audiovisuel de ce pays. Patatras, une mauvaise lecture de la loi locale ou un refus d’entendre les alertes et ce beau rêve risque de prendre un peu plus de temps.
- En oubliant ce petit détail qui impose de communiquer à chaque abonné son bon droit en cas de modification de l’éditorial des chaînes concernées, la direction locale a réveillé une bronca sans précédent dans la presse et sur les réseaux sociaux, une expression parfois musclée de milliers d’abonnés…
« NC+ » un nouveau nom prémonitoire, on aurait dû s’en douter ! Problème, la Pologne constitue un relai de croissance essentiel pour le groupe Canal+ alors que son activité souffre en France métropolitaine du fait de la crise et de l’alourdissement notable des charges fiscales.
- L’inquiétude est également grande pour les centaines de salariés des deux entités fusionnées. Ils se demandent aujourd’hui quand et comment on va sortir de cette impasse.
Pour les aider, les patrons d'affaires parisiennes se succèdent sur place à un rythme soutenu pour tenter d’apporter un peu de répit aux équipes submergées par l’ampleur de la tâche.
Il faut parier sur un ressaisissement, comme en 1985 lorsque Canal+ a vécu sa première crise grave et que tous les journaux titraient « au moins sur le Titanic, on coulait en chantant ». S’il est urgent de redresser la barre, il est essentiel d’en informer les salariés visiblement déboussolés et en manque d’information.
Faites revenir les compétences, mobilisez McKinsey, Bain et compagnie, envoyez nos meilleurs spécialistes, nous serons indulgents sur vos dépenses, mais mobilisons-nous pour la Pologne, pour que vive cette belle aventure parce que notre avenir y est inscrit, parce que cette entreprise a survécu à la curée de 2003 par manque d’acheteurs, il ne faudrait pas qu’une petite erreur de jugement se transforme en catastrophe industrielle. Ce serait dramatique pour les centaines de salariés engagés sur place et inquiétant pour nos affaires en France et pour le développement du groupe à l’international.
Soyons persuadés que nos bonnes têtes pensantes sauront nous sortir de ce mauvais pas et démontrer aux Polonais que cette très belle entreprise est aussi indispensable là-bas qu'en France pour financer la création cinématographique ou le sport. Cyfra+ avait réussi son pari, NC+ va le transformer.
Bon courage, Julien ! Si tu as besoin d'un soutien syndical, tu peux compter sur le nôtre, il sera sans faille juridique !