Focus
ACCÈS PUBLIC
18 / 04 / 2023 | 340 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
Articles : 4196
Inscrit(e) le 16 / 11 / 2007

Trilogie du grand âge

Employabilité, conditions et coût du travail : la trilogie de l'emploi des seniors

Retrouvez les trois débats en ligne portés par Tandem Expertise sur fond du projet de réforme des retraites.

 

Employabilité : quelle place pour les seniors au travail ? - 26 janvier 2023

Live 1 Tandem expertise

"Le recul de l’âge de départ augmente le sas de précarité, sans effet réel sur l’emploi, notamment pour les ouvriers. C'est la double peine au regard de la corrélation entre l'espérance de vie en bonne santé et le niveau de vie", souligne Nathalie Nagel, consultante chez Tandem Expertise qui dresse les principaux enjeux du projet de réforme. Si le taux de non emploi des seniors est un sujet, celui de la faible propension des directions à reconnaître ceux qui sont en poste en est un autre. La surreprésentation des seniors chez les salariés « non promus » est ainsi patente de même que la baisse brutale du taux l’accès à la formation à partir de 50 ans. "Dans les entreprises de services numériques, des salariés peuvent être embauchés à des niveaux de salaire supérieurs à celui des salariés plus âgés en poste. C'est un facteur de risque psycho social qu'il faut prendre en compte", considère Aude Reygades, également consultante au sein du cabinet qui souligne le besoin des CSE à développer des grilles de diagnostics de la situation des seniors en poste.
 

Gâchis constaté
 

Le poids de la culture du départ précoce des seniors a largement été illustré par les interventions. Valérie Beaulieux Foucault, déléguée syndicale régionale CFE-CGC de l'AFPA a ainsi rappelé que 75 % des 1200 salariés licenciés dans le cadre du plan de départ de 2020 l'ont été dans le cadre des mesures d'âge pour un coût de 148 millions d'euros. Il y a aussi du gâchis chez Carrefour qui enchaîne les plans de départ depuis 2018.  "Quand on voit les seniors qui partent pour des créations d'entreprise ou des reconversions professionnelles, on se dit que ce sont des ressources qui auraient dû être mieux valorisées par la direction", souligne  Cyril Boulay, délégué syndical central FO Carrefour.

Quelle politique pour les contrats temporaires ?


A l'Afpa, les formateurs sont à la base des gens qui ont exercé le métier qu'ils transmettent pendant plusieurs années. On recrute donc des profils en seconde partie de carrière qui apprennent à former. D'où une part importante de seniors qui font face à une problématique de stagnation dans les évolutions professionnelles. Un récent accord GEPP entend fluidifier les évolutions. "Du fait des contraintes budgétaires imposées par l'Etat, il y a entre 30 et 40 % de CDD et d'intérim dans les emplois de l'AFPA et la GEPP négociée ne s'applique pas à ces gens. Cela rend illisible la traduction concrète des mesures de l'accord",  temporise Valérie Beaulieux Foucault.


Dans la logistique, chez GXO, on est aussi sur un taux massif de recours à l'intérim et une course à la productivité via une prime pour les salariés en CDI dont le salaire de base est proche du SMIC. Une prime sur objectif quantitatif que les seniors peinent de plus en plus à atteindre. "Nous voulons négocier une prime prenant  à la fois l'âge et l'ancienneté sur le poste des seniors sur des critères plus qualificatifs, moins usants. La baisse de la productivité doit pouvoir être discutée lors des entretiens annuels", explique Kalid Ezzarhouni, délégué syndical CGT qui précise que les capacités de reclassement sont très limitées et que les nombreuses inaptitudes se traduisent par des licenciements. Et ce dernier de revendiquer "plus de contraintes légales pour les employeurs afin de permettre des négociations plus offensives en faveur des seniors"


Articulation CSE - CSSCT
 

Pour nourrir au mieux les négociations sur les conditions d'emploi des seniors, il s'agit donc pour les syndicats d'être en capacité de mettre en perspective tout à la fois les indicateurs de gestion RH (salaire, formation, promotion...) des seniors avec ceux liés à leur santé.  "En amont, cela sous-entend une bonne articulation entre le CSE et la CSSCT", précise Nathalie Nagel. Vient ensuite la question de la capacité des services RH à décliner opérationnellement les accords. C'est notamment le cas de l'accord GERPP de l'AFPA signé au début de l'automne 2022 sur lequel la direction n'avait toujours pas communiqué auprès des salariés à la fin janvier 2023.


Quelle prise en compte des conditions de travail des seniors ? - 09 février 2023

Live 2 Tandem Expertise

C'est bien la question de la soutenabilité du travail que vient poser le recul de l'âge de départ à la retraite. "En seulement 10 à 15 ans, une hôtesse de caisse peut se retrouver en inaptitude. L'entreprise est basée sur un modèle ultra productiviste qui fait qu'une partie des salariés n'a même pas le temps de devenir senior", déclare Arnaud Rouxel, délégué syndical CGT de  Lidl en Bretagne où le CSE a eu l'occasion de voter une expertise pour risque grave au regard notamment du nombre des inaptitudes (73 en 3 ans). 
 

Changer de modèle ?
 

Cela a contribué à un changement d'approche de la direction qui a impliqué les élus dans des groupes de travail pour revoir notamment le DUERP et travailler sur la prévention de deux populations à risque : les managers adjoints et les hôtesses de caisse. Les postes de managers adjoints vont être doublés, les solutions sont en revanche beaucoup plus floues pour les "équipières polyvalentes" car cela sous-entend de sortir d'un système ultra productiviste. 

 

L'écho est exactement le même dans un tout autre secteur, celui de la santé. "Les taux d'invalidité sont plus importants dans notre branche que dans le BTP. C'est l'usure psychologique qui dégrade le plus les conditions de travail. Le personnel est géré à flux tendu.  Il n'y a plus d'espace collectif de régulation et de soutien, dans la santé privée comme dans la santé publique", explique Franck Houlgatte, secrétaire général de l'union nationale des syndicats FO de la santé privée.

 

Pour Julie Bertin, consultante en santé et travail chez Tandem Expertise : "une véritable politique de prévention sous entend d'adopter des modèles moins productivistes. Or force est de constater que le travail de nuit et les horaires atypiques se développent. C'est une source d'exclusion dès 40 ans. On en reste donc à des solutions palliatives qui n'enrayent pas les mécanique d'usure professionnelle. Certains métiers comptent peu de seniors en raison de la pénibilité qu’ils occasionnent et concentrent ces contraintes sur des salariés plus jeunes qui sont, de fait, exposés à des risques professionnels en début de carrière, ce qui aura des incidences sur leur santé à long terme".

 

Les accidents du travail chez les seniors (50 ans et plus) sont moins fréquents qu’au sein du reste de la population  (22 % des accidents du travail alors qu'ils représentent 27 % des salariés) mais ont des conséquences plus lourdes : ils représentent 39% des accidents avec incapacité permanente et 51% des accidents du travail avec arrêts, les arrêts sont par ailleurs plus longs. Sans surprise, ce sont aussi les seniors qui sont les plus représentés dans les maladies professionnelles.
 

Tarification de la sinistralité à revoir 
 

Et le passage du C3P au C2P qui s'inscrit exclusivement dans une logique de réparation et non de prévention conduit à invisibilité des critères comme le port de charge, les postures pénibles ou encore les vibrations mécaniques. Le manque d'investissement dans la prévention est patent. Pour Bernard Salengro, médecin du travail et président CFE-CGC de l'INRS : "On a créé des conditions de travail très pénibles en ne respectant tout simplement pas les rythmes physiologiques. Il manque un thermomètre. On ne se donne pas les moyens de mesurer les conditions de travail et le mode de tarification de la sinistralité par la branche AT-MP n'incite pas les employeurs à la prévention. La performance de celle-ci devrait pouvoir se mesurer à long terme en faisant le lien avec la santé des retraités".


Comment voir les séniors autrement que comme un coût ? - 17 février 2023

Live 3 Tandem Expertise

"Après de multiples revirements, les politiques publiques de soutien à l’emploi des séniors sont aujourd’hui inexistantes", rappelle Damien Lorton, consultant chez Tandem Expertise.


Parmi les mesures instaurées puis abandonnées, on citera :

  • La contribution Delalande (1987 – 2008) visant à taxer les licenciements de salariés en CDI de plus de 50 ans
  • Le contrat de génération (2013 – 2017) visant à favoriser en même temps l’insertion des jeunes et l’emploi des séniors
  • L’obligation spécifique de négociation sur les séniors (2003 – 2017), réintégrée comme une possibilité dans la négociation GEPP


Seuls subsistent aujourd’hui des dispositifs dans les faits très peu utilisés :
 

  • Le contrat de professionnalisation senior pour les demandeurs d’emploi de plus de 45 ans
  • Le CDD senior, réservé aux plus de 57 ans, permettant à l’entreprise de ne pas justifier le recours au CDD autrement que par l’âge
  • Le CDI inclusion ouvert aux structures d’insertion par l’activité économique


Dans ce contexte, les directions sont d'autant plus enclines à cibler les seniors pour réduire la masse salariale , quitte à perdre des compétences. D'autant plus que l'écart moyen des salaires en France  entre les plus de 55 ans et les 25 -54 ans est de 17 %, en faveur des premiers contre 6 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.  
 

Taux de cotisation dégressif avec l’âge ?
 

Tout est donc fait pour alléger la charge des seniors comme on le voit dans les plans de départ volontaire ou dans les dispositifs d'allégement du temps de travail. Chez Orange par exemple, le coût du temps partiel senior qui permet de travailler à 65 % avec une rémunération de 80 % pendant 5 ans est utilisé par 12 000 seniors pour un coût global de 1,2 milliard d'euros. La volonté des employeurs à remettre en cause les progressions salariales automatiques à l'ancienneté préalablement négociées dans les branches est par ailleurs bien affirmée.

"L’entrée sur le marché de l’emploi et les fins de carrière sont deux périodes sensibles nécessitant l’une comme l’autre l’appui des politiques publiques. En Suède, le taux de cotisation diminue avec l’âge : 31,42 % jusqu’à 65 ans, 16,36 % à partir de 65 ans. Il faut intégrer les spécificités des séniors dans les systèmes de rémunération alors que le critère de l'ancienneté est de plus de plus en plus remis en question", souligne Damien Lorton, consultant chez Tandem Expertise. 
 

Vers des critères de performance plus qualitatifs
 

Dans la métallurgie, la nouvelle grille de classification beaucoup plus resserrée est moins propice à une progression automatique à l’ancienneté valorise désormais des critères comme la communication ou encore la coopération. Reste à voir comment ces compétences seront valorisées pour les seniors.
 

Il y a 7 ans, les 80 salariés de l'entrepôt de l'UES Happychic se sont mobilisés pour que la prime ne repose pas uniquement sur des objectifs quantitatifs. "C'est plus favorable à l'emploi des seniors et la qualité du service s'est améliorée", explique Patrick Digon, secrétaire CFDT du CSE de cette UES qui regroupe des enseignes comme Jules, Brice ou Pimkie où la prime d'ancienneté reste pour le moment toujours à l'affiche (elle représente 300 € en plus par mois à partir de 30 ans d'ancienneté).
 

Les bénéfices des équipes mixtes

"Un vendeur doit être représentatif de ce qu'il vend. Ce n'est pas facile pour les seniors de s'adapter quand l'enseigne décide de rajeunir sa clientèle mais les compétences se complètent bien entre les anciens et les jeunes dans les magasins où la prime est collective", illustre Patrick Digon qui a 58 ans est responsable de magasin. "La complémentarité entre les savoir-être et les compétences transversales des séniors et les savoir-faire « métier » a priori plus à jour des juniors semble confirmée par des études indiquant une hausse de la productivité dans les entreprises mettant en place des équipes intergénérationnelles", souligne Nicolas Poirier, consultant chez Tandem Expertise.


Chez Cushman & Wakefield, une société spécialisée sur l'immobilier d'entreprise qui emploie 400 salariés en France, l'expérience est valorisée sur les postes de gestion de projets. C'est le relationnel tissé au fil des ans que la direction recherche. Les plus de 50 ans représentent ainsi 15 % des effectifs et 7 personnes de plus de 57 ans ont été recrutés sur les deux dernières années. "Il y a un effet de contagion positif sur les fonctions supports où là aussi les recrutements de profils de plus de 50 ans n'ont rien d'exceptionnel. Il y a une culture d'entreprise qui reconnaît de la valeur de l'expérience", souligne Séverine Do Amaral , secrétaire CFTC du CSE de Cushman & Wakefield en précisant que le recrutement de seniors est un gage de stabilité dans un secteur d'activité où le turnover est important.


C'est dans ce climat que la direction a lancé une RCC en 2021 en visant 43 départs. Sans surprise, les seniors n'y sont pas sur-représentés comme c'est le cas dans beaucoup de plans de départs. Cela a été par exemple le cas chez Alcatel après le rachat par Nokia avec des PSE qui se sont succédés tous les 15 mois. "La stratégie visait à racheter une part de marché sans prendre en compte les compétences or l'appauvrissement des expertises liées aux départs des seniors en a justement fait perdre. Depuis un an, la direction s'emploie à corriger le tir pour valoriser les seniors en prenant le contre pied d'une stratégie économique qui s'est révélée être destructrice de valeur. Dans l'activité du câblage sous-marin, la valeur de l’expertise a en revanche toujours été prise en compte", raconte Laurent Richard, délégué syndical central CGT de Nokia.
 

Mieux vaut en effet reconnaître l'expérience des seniors quand ils sont en CDI plutôt qu'une fois qu’ils sont devenus travailleurs indépendants. Et Nicolas Poirier d’avertir : "Le travail indépendant se développe chez les seniors et cela se traduit par de la précarisation car les deux tiers ont un revenu inférieur au SMIC"