Dialogue social : les jeux sont loin d’être faits
Quelles conditions pour réussir le dialogue social en entreprise ? Une table-ronde de la Fondation Jean Jaurès s'est déroulée le 17 avril 2018 où recherche et développement étaient dans la salle, clavier en main (1).
Commençons par les témoignages de deux entreprises connues : Korian (côté DRH) et Sephora (côté organisation syndicale), pour finir par le plaidoyer du trio de tête Berger (CFDT) + Bérille (UNSA) + Louis (CFTC), suite à leur tribune publiée dans Libération du 12 avril. Timing de pro !
Nadège Plou, directrice des ressources humaines chez Korian
Dans un contexte assez particulier de financement des EPHAD, nous sommes face à une page blanche en matière de conditions de travail. Korian, c’est le résultat d’une fusion de deux grosses entités (Korian et Medica) et entre 1 800 et 2 000 mandats en tout. Toute la difficulté hier était de choisir le bon niveau de dialogue social : un comité central d’entreprise et un CE par métier (santé, clinique et directeur d’établissement), tout en gardant une proximité pour les CSHT.
Désormais, avec le CES, la copie est à revoir avec, en filigranes, une perception juste : le dialogue social, c’est tous les jours aussi bien à la machine à café que dans des groupes de travail sur les métiers. Comment garder un réel contact avec le terrain ? Le but n’est pas de diminuer de 1 000 mandats, suite à la réforme CSE ; ça n’aurait aucun intérêt.
Sur le dialogue social chez Korian, ces dernières années, 15 accords ont été signés, ce qui représente donc plutôt un succès dont les raisons sont d'avoir appliqué les mêmes recettes que par le passé, savoir et transparence même quand cela va mal. Ainsi, pour illustrer, un membre de la direction hésitait à présenter un sujet en CCE. En surmontant son appréhension et en faisant finalement sa présentation, il en est reparti plus apaisé et serein.
Il y a peu, on avait un personnel attaché à un étage d’EPHAD ; demain, ce sera plutôt un rattachement à un établissement (voire deux) à proximité géographique. Je dis bien à proximité car c’est une hérésie que de balader ses salariés entre deux EPHAD éloignés.
Guillaume Martin, délégué syndical CFTC de Sephora
Chez Sephora (groupe LVMH), nous disposons d’un seul CE, 5 CHSCT déployés, un CHSCT central au siège et douze régions DP. Dans notre secteur, c’est le thème du travail en soirée et le dimanche qui est sensible. Pour le magasin des Champs-Élysées, c’est une décision judiciaire en 2013 qui a imposé une fermeture à 21h00 (20 % du CA réalisé après 21h00 quand-même). Finalement, cela a créé une meilleure écoute de la part de la direction. Ensuite, nous sommes allés parler aux salariés tous les jours pour savoir ce qu’ils attendaient du travail dominical et en soirée, bien avant la réforme Macron sur ce point. Pour au final, obtenir un accord plutôt novateur en 2016 et approuvé par les salarié. À cette époque, on parlait de taxi pré-payé pour le retour, une base stricte de volontariat aller-retour et une surveillance plus forte en matière de santé. Finalement, c’est le salarié qui fixe son jour dominical. Le dimanche doit rester un jour pas comme les autres. Mais on relève beaucoup plus de volontaires que de places disponibles. Les étudiants préfèrent largement travailler en soirée, nouveau dispositif qui a créé environ 50 postes sur 200. Globalement, les salariés disent aux organisations syndicales de faire au mieux sur le terrain, sans dogmatisme. Comme nous sommes imaginatifs et vifs à la CFTC, nos propositions remontent. Avec la refonte CSE, les mandats ont été prolongés jusqu’en 2019 : si l'on appliquait la réforme maintenant, on passerait de 150 à 28 élus sur 5 000 salariés ; ce qui rend direction et organisations syndicales pour le moins fébriles. On se donne un an pour passer en douceur.
Laurent Berger (CFDT)
Nous avons pleinement conscience que le choix d’une démocratie sociale n’est pas fait dans ce pays. En face de nous, ni le gouvernement, ni le MEDEF ne sont conscients des mutations du monde syndical. Comme rien n’est écrit d’avance, cela promet pour la suite ! Aujourd’hui, on a une pratique gouvernementale trop englobante, floue de dialogue avec les organisations syndicales, jugées par un exécutif très « start-up nation », comme inutiles et archaïques. On a beaucoup moqué les conférences sociales et autres grandes messes pour leur théâtralité : claquement de portes, éclats etc. Elles ont pourtant leur raison-d’être de poser un jalon mais le gouvernement ne cesse de nous renvoyer au « vieux monde ». Nous rejetons cette étiquette d’où la tribune dans Libération.
Le renforcement de la négociation dans la branche et les entreprises est une bonne chose. Nous l’avons dit et répété. En quatre ans, trois réformes : Rebsamen 2015, El Khomri 2016 et Pennicaud 2017. Mais avec un point incontournable : le comportement des acteurs est primordial. Autre tribune : « Les syndicats sont mortels comme les partis politiques. On a aussi obtenu une hausse de l’indemnité légale de licenciement. Et même si elle n’est que de 25 %, elle va tout de même concerner un million de salariés. Notre position, c’est de dire que ces ordonnances ne représentent ni une casse sociale ni la fin du code du travail, comme le dénoncent certains. Mais ce n’est pas non plus la « vision moderne des relations sociales », comme le revendique le gouvernement. Au final, cette réforme est une occasion ratée, qui aura des conséquences dans les entreprises » (Libération, 2 novembre 2017).
Luc Berille (UNSA)
Serions-nous désormais dans une société clivée, en plein malaise social ? Nous, organisations syndicales, nous sommes mêmes soupçonnées d’en être la source en ayant favorisé la montée du populisme ! En somme, comment remettre ce pays en marche (rires inévitables dans la salle pour cette blague involontaire et récurrente). C’est bien le sujet, en marche, c’est une dynamique.
Il faut s’adresser aussi aux derniers de cordée ! Emmanuel Macron a bien réfléchi à la politique et à l’économie, beaucoup moins sur le syndicalisme. Selon lui, la redistribution marche quand on a quelque chose à redistribuer. Or, la justice, c’est tout le temps ! C’est se serrer la ceinture quand ça va mal et la répartition des efforts doit être juste et inversement, quand ça va mieux, la redistribution continue !
On sait bien que pour ne rien changer, il faut se donner du temps. Les syndicats sont bon tacticiens sur cette question. À propos de la réforme du marché ferroviaire, si c’était simple, ça se saurait mais il est irréaliste et irreponsable de dire qu’en trois mois, ce sera plié. Pourtant, l’Assemblée nationale va adopter le projet de loi en première lecture. Ce calendrier est fait pour empêcher les acteurs sociaux de jouer leur rôle.
Philippe Louis (CFTC)
Entre le gouvernement et nous, le constat est le même : il y a bien un changement des habitudes mais pas les mêmes solutions à la fin. Sur tous les sujets sociaux, les organisations syndicales ont l’impression d’être appelées quand tout est déjà écrit.
Tout est joué et caché comme la détresse des retraités avec une CSG en hausse : moins 30 euros pour un budget serré de petite retraite et c’est le désespoir. Quand on met une réforme en place, on provoque inévitablement des injustices auxquelles on peut généralement remédier. Il est alors dangereux de dire, comme le fait le gouvernement, que c’est tout ou rien.
Notes
(1) Nous avons aussi été attentifs à la présence de Jean-Marc Ayrault et Myriam El Khomri dans l’auditoire.
(2) Libération, 12 avril 2018 : « Des réformes mais surtout plus de démocratie sociale : « nous ne pouvons nous satisfaire du statu quo, que notre système social (juste dans ses fondements) n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui, ni au monde qui vient ».