Organisations
Comment concilier les enjeux commerciaux et l’épanouissement au travail ?
Pourquoi y a-t-il autant de contrôles ?
Le salarié se trouve confronté à un excès de contrôle. Il passe un temps important à « reporter » une multitude de tableaux et des indicateurs dont, le plus souvent, il ne comprend pas l’utilité. Cet excès de demandes de chiffres produit de l’erreur : « avant, on était à peu près sûr des chiffres ; maintenant on sait qu’ils sont faux…». Aujourd’hui, à tous les niveaux de l’entreprise, les salariés sont prisonniers des fameux KPI [1]. Ils sont comme ligotés par ces flux tendus, processus complexes et chronophages qui réduisent leur sphère d’autonomie. Ils le vivent comme la négation de leur intelligence et de leur créativité.
Mais pourquoi autant de contrôles ? Parce que la gouvernance qui demande ces contrôles est obnubilée par la gestion, elle ne « connaît souvent plus le métier » que l’entreprise exerce. Alors, pour avoir la sensation de maîtriser, elle demande du chiffre à ses salariés. Certains managers ne gèrent plus leurs équipes qu’à partir de tableaux Excel.
Cet excès de contrôle est un système qui arrive en bout de course. Le nombre d’ingénieurs ou de cadres supérieurs qui nous disent être confrontés à un travail d’exécutant est impressionnant. Deux solutions s’offrent à eux : soit surinvestir le travail et accepter de faire ces « tâches inutiles » jusqu’à en « perdre le sens » et se rendre malade (cf l'augmentation de 20 % du taux d’absentéisme global [2]) par peur de perdre leur emploi, soit investir son intelligence ailleurs et s’impliquer dans le monde associatif, social, culturel, amical ou familial qui leur offre une plus grande liberté et une meilleure reconnaissance. Mais dans les deux cas, quel gâchis pour l’homme et pour l’entreprise !
Où est passée la confiance ?
Si l’entreprise passe autant de temps à contrôler ses salariés c’est qu’elle ne leur fait plus confiance et qu’elle ne reconnaît plus leur expertise. Les salariés non plus ne lui font plus confiance. Ils sont conscients des exigences du marché. Ils rêvent pourtant d’une ambition forte pour conduire leur entreprise, de façon durable, sur le chemin du succès.Heureusement, il reste encore un peu de confiance dans les équipes où il existe du respect, du dialogue et du soutien. Mais, face à la montée de l’individualisme dans la société, le collectif de travail s’effondre un peu partout. De plus, le manager de proximité qui créait la confiance, connaissait le métier et était un vrai relai des informations du terrain, a disparu. Il a été remplacé par un management à distance. Il n’y a donc souvent plus de dialogue direct, plus de face-à-face, donc pas d’échange sur le travail et pas de soutien en cas difficultés. Les rares managers de proximité qui existent encore, enfermés dans des injonctions de rapidité et d’efficacité, sont poussés à produire plus qu’à diriger. Ils doivent appliquer et faire appliquer des règles qu’ils ne comprennent plus. Ils prescrivent le travail mais ne sont plus en phase avec la réalité. Face à ces injonctions ubuesques, les « managés » n’osent plus réagir, ils se taisent. Ils ont depuis longtemps compris que même leur manager n’a plus ni pouvoir, ni liberté.
Aujourd’hui, le temps du management répond plus à des obligations administratives (valider les congés, les notes de frais et réaliser à la chaîne les entretiens annuels...) qu’à du management humain permettant d’échanger sur l’activité de travail. Puisqu’ils ne connaissent plus le travail, ils ne peuvent pas le reconnaître. Quand on sait que la reconnaissance du travail accompli est l'une des clefs de la motivation, on peut se dire qu’il y a de réelles marges de progression. Beaucoup de managers n’ont pas appris à diriger des hommes. Le manque de temps est la première excuse mais derrière cela se cache en réalité une « peur de l’humain », une réelle difficulté à se parler et à entrer en contact avec des collègues, quels que soient leurs statuts.
Les équipes sont laissées seules, sans soutien et bâillonnées, face à des objectifs qui sont irréalistes ou qui leurs paraissent inatteignables. C’est à partir de ce moment-là que, submergés par la charge de travail, on voit des équipes ou des individus qui s’isolent en se disant qu’ils ne sont « pas ou plus à la hauteur ». Ils glissent dans une spirale de présentéisme, de démotivation et de perte de l’estime de soi. La perte de confiance en soi vient boucler la perte de confiance que l’on note à tous les niveaux du collectif.
Libérer les énergies pour retrouver du plaisir à travailler
Enlevons les carcans, laissons tomber les chaînes, arrêtons de penser que seul le chef sait. Et si on libérait les hommes ? Quels risques prendraient vraiment les entreprises ? Combien de salariés sont impliqués dans les décisions qui les concernent ? En tant que praticien du conseil en organisation et observateur de la santé des entreprises, je peux affirmer que les salariés aiment leur métier, ils aiment le plus souvent aussi leur entreprise, mais ils n’aiment plus les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier. Ils sont beaucoup plus stressés par le fait qu’on les oblige à produire un travail qu’ils jugent « sans qualité » que par la charge de travail elle-même.Redonnons à chacun, une marge de manœuvre pour, dans un cadre bien défini, leur permettre d’organiser leur travail avec intelligence et d’être reconnu pour cela. Juste de l’autonomie [3], pas l’anarchie. Cette liberté qui permet à ceux qui font vraiment le travail de le faire évoluer, d’apprendre et d’innover pour développer notre compétitivité. Alors tous ceux qui rêvent d’avoir des salariés motivés n’auraient plus de souci à se faire. Puisque bien avant celui de l’argent, les deux principaux moteurs de la motivation sont le plaisir, l’envie d’apprendre et le fait de participer à un projet qui a du sens. Remettre de la liberté, c’est remettre de l’intelligence dans nos entreprises. Nous ne réussirons pas sans l’intelligence humaine.
Un homme libre et heureux [4], qui peut s’exprimer en confiance, responsabilisé et vraiment soutenu, est un formidable salarié qui contribue à des résultats exceptionnels et durables pour les entreprises. Isaac Getz décrit bien l’histoire des entreprises qui ont mis en place ces stratégies de libéralisation des salariés [5] et comment elles ont fait. La liberté, c’est un état d’esprit qui rend tout le monde gagnant.
[1] KPI : key performance indicators.
[2] « L’absentéisme des cadres a doublé en 2012 », Le Monde du 15 septembre 2013.
[3] L’autonomie, selon Michel Gollac, comprend « l’idée de se développer au travail et d’y prendre du plaisir ».
[4] Selon la Harvard Business Review, « Les employés heureux sont 30 % plus productifs, leur ventes sont supérieures de 37 % et leur créativité est multipliée par 3 ».
[5] Isaac Getz et Brian M. Carney, Liberté et Cie ou Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises, collection Champs Essais, éditions Flammarion, 2013.
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