Organisations
Dialogue social territorial : l’exemple du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon
Un centre commercial concentre une grande diversité d’enseignes par la taille, par les produits vendus, les modes d’organisation et le statut juridique. Pour autant, il existe une réelle communauté d’intérêts économiques (l’attractivité du centre commercial est l’affaire de tous) et des problématiques sociales communes aux salariés qui y travaillent. Or, dans la plupart des enseignes, il n’y a pas de représentation des salariés tout simplement parce qu’elles comptent généralement moins de 11 salariés, seuil de mise en place des délégués du personnel, première instance représentative du personnel (pour un comité d’entreprise, le seuil est de 50 salariés, ne l'oublions pas).
Si on prend l’exemple du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, sur 260 enseignes, moins d’une dizaine seulement ont un effectif supérieur à 50 salariés et disposent de ce fait d’un comité d’entreprise et/ou d’un comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT). La moitié d’entre eux environ ayant un CHSCT propre à leur établissement, les autres étant rattachés à un CHSCT au niveau national. D’autres enseignes de taille plus modeste disposent certainement de délégués du personnel mais il n’y a pas d’état des lieux exhaustif mis à la disposition des partenaires sociaux, ce qui est, en soi, un frein à toute démarche de dialogue social à l’échelle du centre. Bien que leur nombre soit restreint, ces instances constituent des lieux de dialogue social à part entière sachant, cependant, qu’elles n’ont pas pour vocation de traiter des problèmes du centre commercial, problèmes qui sont juridiquement considérés comme « externes » à l’entreprise.
- La CGT a pris l’initiative d’y créer, il y a quelques années, avec ses syndicats présents dans différentes enseignes, un syndicat de site. Le « nouveau » syndicat a réalisé avec l’appui financier du conseil régional et le concours d’un cabinet d’ergonomie un diagnostic sur les conditions de travail.
Diagnostic
Ce diagnostic a permis d’objectiver les facteurs de pénibilité qui, à bien des égards, se situent à proximité de ceux du secteur de la construction ou de l’hôtellerie restauration. Une enquête a également été diffusée auprès des salariés qui y ont répondu massivement. L'absence de lumière naturelle, l'alternance de chaleur et de froid ou encore le bruit constituent un cadre de travail anxiogène, venant s'ajouter à la pénibilité inhérente au flux important de clients souvent exigeants, parfois agressifs ou pressés, dans un espace qui reste malgré tout confiné. Les conditions d’accueil collectives des salariés sont extrêmement minimalistes. Il n’y a pas d’espace pour se restaurer ou faire une pause, au point que certains salariés mangent dehors par tous les temps alors que d’autres n’ont pas accès à des sanitaires. Le diagnostic a également mis en avant les facteurs de pénibilité mentale liée à la pression commerciale (vendre toujours plus) et à la pression temporelle (travailler dans l’urgence avec peu de moyens). Les salariés sont en permanence sollicités par une clientèle exigeante et pressée alors que leur métier tend à se standardiser et à s’appauvrir (diminution du rôle d’information et de conseil du client au profit du seul acte de vente).
La situation du centre commercial, à proximité de la gare et d’une forte densité de bureaux et d’administrations, en fait un lieu de passage très important. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le centre commercial de la Part-Dieu compte parmi ses salariés moins de « seniors » que dans le commerce en général. Ainsi, 81,6 % des salariés ont moins de 40 ans. En comparaison avec d’autres enquêtes sur la santé au travail, les résultats montrent que les conditions de travail dans ce centre commercial engendrent une usure prématurée élevée, équivalente à celle constatée dans le bâtiment. De nombreux salariés de moins de 30 ans ressentent des troubles de santé proches de ceux des travailleurs de plus de 50 ans.
En ce qui concerne la sécurité, des salariés subissent régulièrement des agressions verbales voire physiques. Plusieurs cas de vols de la recette du jour ont été signalés au syndicat de site : « il n’y a pas de dispositif sécurisé pour amener la recette à la banque. Ce n’est pas un problème pour les grandes enseignes qui ont leurs propres services de transport de fonds. En revanche, pour les petites enseignes, ce sont les salariés qui prennent quotidiennement un risque en parcourant les allées et recoins du centre jusqu’à la banque », selon la secrétaire du syndicat de site. Enfin, dernièrement, c’est une partie du plafond qui s’est effondrée, heureusement, sans faire de blessé.
Le jeu des acteurs
Le jeu des acteurs est complexe, il détermine le succès de la démarche. La configuration du centre commercial influence directement ou indirectement les conditions de travail. C’est sur la base de ce constat que le syndicat de site a sollicité le gérant du centre commercial. Jusqu’à ce jour, cette démarche est restée vaine. Chacun semble se retrancher derrière des considérations d’ordre juridique entre ce qui relève directement de l’employeur et ce qui relève du gestionnaire du centre commercial.
- La vraie question qui se pose est de savoir comment convaincre les employeurs de participer à une démarche de dialogue social dont la première des caractéristiques est de ne pas être obligatoire. Il est évident que leur participation sera étroitement liée aux avantages qu’ils pourront en retirer. En l’absence de contrainte, il s’agit donc de trouver les points de convergences entre tous les acteurs. Il est à noter que cette démarche s’inscrit sur fond de détérioration de la performance commerciale du centre. Les chiffres de fréquentation attestent d’un fort recul sur la dernière année que la crise ne peut expliquer à elle seule. Certains clignotants semblent ainsi être passés au rouge (image du centre, dégradation du bâtiment, propreté du site, agressions…) venant d’une certaine façon corroborer l’analyse menée sur les conditions de travail.
Émergences a proposé au syndicat de site de travailler sur deux thèmes pour mobiliser les employeurs et le gestionnaire du centre.
Le premier concerne la sécurité. Nous entendons ici la sécurité au sens large : sécurité de la foule et des personnes, sécurité des salariés dans l’exercice de leur métier, sécurité par rapport à différents risques comme le risque d'incendie ou encore le risque d'amiante. L’insécurité a des conséquences sur l’image et l’attractivité du centre. Les conséquences économiques ne sont donc pas nulles et constituent nécessairement un sujet de préoccupation pour les dirigeants des magasins. L’impact sur la dégradation de la rentabilité de leurs activités est évident. Pour les salariés, l’insécurité constitue un facteur de souffrance au travail important qu’il convient de traiter dans les meilleurs délais. Le coût économique et social lié à cette insécurité devra être objectivé dans ses causes et dans ses conséquences. Il devra être également évalué pour que les parties prenantes soient en mesure de partager un diagnostic et de définir ensemble un plan d’actions et/ou des investissements à mettre en œuvre.
Le second thème concerne le turn-over. En effet, le turn-over du personnel est de toute évidence au cœur de la problématique du centre commercial. À la fois parce qu’il est l’expression d’un mal-être au travail mais aussi parce qu’il a des répercussions sur l’activité du centre lui-même. Comment pourra-t-on demain construire des solutions durables ou offrir un accueil de qualité avec des salariés qui quittent leur emploi trop rapidement ? Les employeurs doivent en permanence recruter de nouveaux salariés avec toutes les incidences que l’on imagine sur les moyens mobilisés, l’énergie et le temps consacrés ou encore le temps d’adaptation au poste de travail. Tout cela cumulé au niveau de toutes les enseignes finit par coûter cher. Là encore, il est nécessaire d’en évaluer le coût économique et social. En général le turn-over est d’autant plus fort que l’enseigne est de petite taille et que ses moyens pour recruter et former sont faibles. Il pourrait être imaginé de mutualiser les recours à des conseils en ressources humaines pour recruter puis sécuriser les parcours en travaillant sur l’intégration, les politiques de formations et de professionnalisation.
Ces diagnostics qui seront prochainement réalisés permettront d’éclairer ces deux dimensions, d’en mesurer les désavantages pour les salariés et pour les employeurs et de mettre ainsi en lumière l’intérêt d’ouvrir un dialogue.
Gouvernance
Le dialogue social territorial est un travail au long court.
- Pour en savoir plus, rendez-vous au colloque du 7 février 2012 à Lyon. Renseignements et modalités d’inscription sur www.dialoguesocialterritorial.fr
Il s’agit en fait d’un mode de gouvernance assez nouveau dans le système de relation professionnelle « à la française » qui nécessite un apprentissage en terme de méthode, un équilibre entre le politique et le technique (la mise en œuvre) et implique, pour chaque partie prenante, de dépasser les contraintes de sa propre organisation sans pour autant en renier les principes. Comme dans tout dialogue social, il y a souvent de réelles difficultés, parfois des échecs. Pour autant, cela ne doit pas remettre en cause l’intérêt de la démarche. D’autres centres commerciaux ont procédé différemment.
À Marseille, par exemple, c’est avant même le démarrage des travaux, que la Direction Régionale de la Consommation, de la Concurrence, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) qui représente l’État en région Provence-Alpes-Côte d’Azur a souhaité aborder la question de l’aménagement des locaux du futur centre commercial des Terrasses du Port et plus généralement celle des conditions de travail. Outre les organisations patronales et de salariés présentes sur le territoire, il s’est agit de mobiliser le promoteur exploitant du futur centre commercial en jouant sur l'effet positif que l’on pourrait attendre d’une telle démarche notamment sur sa réputation et son image.