Le dialogue social s'est-il amélioré dans les entreprises avec la mise en place des CSE ?
Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont réformé en profondeur le cadre du dialogue social et des relations de travail en France. Rappelons que le CSE (Comité social et économique) a remplacé les anciennes instances représentatives du personnel (les DP, le CE et le CHSCT ou le cas échéant la DUP - délégation unique du personnel- , ancien mode de représentation du personnel instauré par la Loi Rebsamen en 2015, dans l'objectif de simplifier les démarches de l'employeur dans l'information-consultation des instances représentatives du personnel (IRP) élues.).
La mise en place du CSE a démarré au 1er janvier 2018 en s'étalant dans le temps puisque pour les entreprises déjà dotées d’instances représentatives du personnel, il devait être mis en place au terme du mandat de DP, de CE, de DUP, du CHSCT, lors du renouvellement de l’une de ces institutions ....soit, au plus tard, initialement le 31 décembre 2019, date reconsidérée au regard de la crise sanitaire.
La durée du mandat des membres du CSE étant fixée 4 ans, les premiers renouvellements à intervenir dès cette année vont donc commencer à s'organiser.
La plupart des organisations syndicales ont souvent émis de vives critiques tant sur les conditions de mise en place, que sur l'organisation et le fonctionnement de cette nouvelle instance. Que faut-il en penser ? Quel bilan peut-on en tirer à ce stade ?
Le comité d’évaluation des ordonnances travail de France Stratégie a précisément publié récemment son rapport d’évaluation 2021 (*) sur le sujet . Il ne manquera pas de retenir l'attention, son diagnostic étant plutôt préoccupant.
Le rapport est articulé en trois parties.
La première partie est consacrée à l’examen des dispositions qui relèvent de la transformation du cadre du dialogue social, avec d’une part l’analyse de la mise en œuvre des Comités sociaux et économiques et de leur fonctionnement, et d’autre part celle des effets des ordonnances sur la négociation collective au niveau des entreprises et des branches.
La deuxième partie analyse les mesures liées plus particulièrement aux dimensions de gestion de l’emploi et de son ajustement aux besoins économiques, avec le suivi des accords spécifiques de gestion de l’emploi créés par les ordonnances (Accord de Performance Collective et Rupture Conventionnelle Collective) d’une part, et la mise en œuvre du barème d’indemnité des licenciements sans cause réelle et sérieuse d’autre part.
La troisième partie, de nature différente, renvoie à la poursuite des travaux du Comité. Elle rend compte de réflexions menées sein du comité sur les façons d’appréhender la qualité du dialogue social, et expose plus largement les pistes de travaux quantitatifs et qualitatifs qui restent à explorer pour mener l’évaluation de cette réforme.
Quels sont les principaux enseignements à retenir ?
Pour les rapporteurs, à ce stade, et s’agissant de mesures dont les effets globaux sur le dialogue social et le fonctionnement du marché du travail devront être appréciées sur le moyen ou long terme, il s'agit d'un bilan provisoire (la crise ayant depuis début 2020 affecté la démarche d’évaluation).
- Au 31 décembre 2020, on comptait près de 90 000 CSE créés et près de 49 000 situations de carences (absence de candidats aux élections professionnelles pour mettre en place des instances).
- En 2019 (derniers résultats disponibles), 41 % des entreprises de 10 salariés et plus, représentant 79 % des salariés du champ, étaient couvertes par au moins une (ancienne ou nouvelle) instance représentative.
- Dans le cadre d’une étude sur les représentants de proximité, il a été dénombré un peu plus de 8 600 accords de mise en place du CSE, signés entre septembre 2017 et décembre 2019 et enregistrés sur Légifrance
- En matière de santé, sécurité et conditions de travail, le déploiement des CSSCT (commissions santé, sécurité et conditions de travail) issues des CSE se fait également progressivement. Du fait de leur caractère facultatif dans les entreprises de 50 à 300 salariés (contrairement aux anciens CHSCT obligatoires dès 50 salariés), la couverture globale des salariés par de telles commissions dédiées est en recul : elle est d’au moins 46 % dans les entreprises de 10 salariés ou plus en 2019, contre les trois quarts en 2017. Mais l’année 2019 est une année de montée en puissance, avec un effet de rattrapage par rapport à l’année précédente. À la fin de l’année 2019, 74 % des entreprises de plus de 300 salariés ayant mis en place un CSE (couvrant 85 % des salariés), et qui doivent à terme être toute couvertes, disposent d’une CSSCT.
- S’agissant des objectifs associés à la fusion des instances dans le CSE (revitalisation, simplification et amélioration qualitative du dialogue social), si l’objectif d’une approche plus transversale est plutôt a priori partagé, l’effacement de la représentation de proximité apparaît comme une crainte récurrente.
- Si dans certaines entreprises la crise a eu pour conséquence de mobiliser plus fortement les instances de représentation du personnel, en particulier sur les questions de santé, sécurité et condition de travail, le traitement de ces sujets n’est pas encore stabilisé et la nouvelle articulation entre CSCCT et CSE reste difficile à trouver.
- L’élargissement et la concentration sur le CSE d’un champ très vaste de sujets à aborder ne crée pas mécaniquement une meilleure articulation des enjeux stratégiques, économiques et sociaux, et peut constituer un élément de fragilisation de l’engagement des élus (surcharge de travail de représentation, difficultés de conciliation avec l’activité professionnelle, parfois renforcées pendant la crise en raison de la forte sollicitation des instances existantes, manque d’expertise sur l’ensemble des sujets, etc.).
- De même, s’agissant de l’extension du champ de la négociation collective dans les entreprises, la compréhension de la dynamique reste à affiner tant dans son ampleur que dans son contenu.
- Du côté des branches, la négociation reste stable, parallèlement à l’augmentation de la négociation d’entreprise. Mais la distinction faite par les ordonnances entre les sujets relevant uniquement de la négociation de branche et les autres (la présentation en « trois blocs ») et la possibilité pour les entreprises de négocier néanmoins sur ces premiers sujets, sous réserve de prévoir des « garanties au moins équivalentes », posent encore des difficultés d’interprétation et d’application (en particulier sur les salaires minima hiérarchiques). Et surtout, les dispositions spécifiques prévues pour permettre aux branches de négocier sur de nouveaux sujets (relatifs aux contrats de travail à durée déterminée ou sur les accords de méthode notamment) ou pour adapter les accords de branches aux PME sont peu utilisées pour l’instant. Finalement, pour les rapporteurs: "Nous sommes donc encore dans une phase de transition dont l’issue n’est pas certaine et ne peut être pleinement anticipée à ce stade."
A suivre...
(*) Le rapport du comité d'évaluation: fs-2021-ordonnances-travail-rapport2021-_decembre.pdf (strategie.gouv.fr)
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Ordonnances travail : FO maintient ses critiques
Ordonnances travail : FO maintient ses critiques fondées sur le bilan et appelle au rétablissement et aux moyens de conforter la liberté de négociation collective
Les ordonnances travail de 2017 ont fortement dégradé le dialogue social, avec la fusion des instances représentatives du personnel dans le CSE, une décentralisation accrue des négociations affaiblissant le rôle de la branche, ou encore la création de dispositifs tels que le référendum dans les petites entreprises comme détournant la nature de la négociation collective.
Quatre ans après la mise en place des premiers CSE, les représentants du personnel sont nombreux à témoigner d’une forte réduction de leurs moyens et d’une dégradation générale du dialogue social. Nos craintes exprimées dès la publication des ordonnances sont donc plus que jamais fondées et d’actualité.
Le gouvernement propose aujourd’hui la mise en place d’un plan d’accompagnement de la mise en œuvre des ordonnances travail portant sur trois axes : le renforcement de la formation et la valorisation des parcours syndicaux (I), l’accompagnement à la mise en place des comités sociaux et économiques (CSE) et l’appropriation des outils de réorganisation des systèmes de représentation dans l’entreprise (II), la montée en puissance de la négociation collective, particulièrement dans les TPE (III).
Pour nous, il ne s’agit pas aujourd’hui d’accompagner la mise en œuvre des ordonnances mais bien de revenir sur nombre de leurs dispositions pour rétablir la liberté et renforcer les droits effectifs de la négociation collective porteuse de progrès social et non de régression.
Or, force est de constater qu’au-delà des énoncés généraux, ce plan vise surtout à assurer la promotion des différents dispositifs existants, afin d’inciter les entreprises à y recourir, mais ne prévoit à aucun moment de correctifs en réponse à toutes les difficultés qui ont été mises en avant par les études présentées dans le cadre du comité d’évaluation, et au-delà par les organisations syndicales elles-mêmes.
S’agissant de la formation des élus, il est proposé de mieux mettre en lumière les formations existantes et valoriser les formations communes. Outre le fait que notre confédération est plus que réservée sur les formations communes entre employeurs et représentants des salariés, qui interrogent sur l’indépendance respective, le réel problème en matière de formation n’est pas tant l’offre de formation que les droits limités en la matière.
Aussi revendiquons nous un droit à formation pour les suppléants ainsi que pour les délégués de proximité dont il faut renforcer le nombre ; des moyens et jours de formation supplémentaires lié à l’exercice des missions sur les questions environnementales… Notre organisation syndicale appelle aussi à mettre fin à la limitation à deux mandats pour les élus du personnel, le renouvellement des mandats de délégués devant rester de la liberté des syndicats.
Concernant le développement des CSE dans les PME, le plan propose des actions pédagogiques pour convaincre les employeurs de l’utilité des IRP, comme s’il s’agissait d’une obligation facultative. Il convient de contraindre les entreprises à respecter leurs obligations en la matière, ce qui passe par plus de contrôle et donc des moyens renforcés des services compétents.
Faire des propositions spécifiques en matière de santé et de sécurité, de référencement des compétences des différents acteurs et proposer de les sensibiliser à ces thématiques, ne répond pas à la question des moyens requis. Or, le manque de moyens des élus (en termes de compétence, de temps et de formation) n’est, une fois de plus, pas abordé. Les déclarations d’intention ne compensent pas la disparition d’une instance exclusivement consacrée à ces sujets de santé, sécurité et conditions de travail, le CHSCT, dont la crise sanitaire a soulevé à quel point son rôle était essentiel et dont nous revendiquons la remise en place dans toutes les entreprises à partir de 50 salariés (et non 300 comme pour les CSSCT), soulignant d’ailleurs que l’ANI Santé au travail allait dans ce sens que n’a malheureusement pas concrétisé la loi.
En matière de négociation, que les accords dans les petites entreprises aient été concentrés sur l’épargne salariale n’est pas surprenant tant les pouvoirs publics en font la promotion au détriment des salaires. Quand de tels accords ont été au-delà,on ne peut que déplorer les situations où cela a été utilisé pour faire adopter des accords APC (accords de performance collective) porteurs de régressions. Le référendum d’entreprise dans les moins de 21 salariés n’est en aucun cas de la négociation, mais un texte unilatéral de l’employeur soumis au vote des salariés, dans un contexte où le lien de subordination est particulièrement fort, et où la confidentialité du vote ne peut être totalement garantie.
Notre organisation syndicale ne fera pas la promotion de dispositifs régressifs, et continuera au contraire à se battre pour le rétablissement des CHSCT et des instances de proximité, l’obtention des moyens adaptés aux IRP, une représentation du personnel adaptés aux entreprises de moins de 11 salariés et le rétablissement du principe de faveur dans le cadre de la hiérarchie des normes.