Organisations
Triste bilan de la formation professionnelle à Bercy
Déjà à la lecture de l’ordre du jour, il était aisé de sentir que ce groupe de travail serait pour le secrétariat général un simple passage obligé pour respecter l’agenda social :
- bilan de la formation 2015,
- mise en place du compte personnel de formation,
- point sur l’apprentissage et sur le service civique au sein du ministère,
- point d’information sur l’élaboration de la stratégie ministérielle de formation.
Il est vrai qu’entre les spécificités directionnelles qui doivent demeurer dans le débat à ce niveau et la mainmise de la politique RH par la fonction publique, la marge est de plus en plus étroite pour une expression ministérielle.
Pour nous, la formation professionnelle n’est pas un coût mais un droit et un investissement pour le bon exercice des missions. La formation des stagiaires ne peut se concevoir qu’à travers des écoles d’application du ministère, n’en déplaise à certains experts ou considérés comme tels, qui envisagent l’Université comme pouvant être un centre d’apprentissage aux missions du service public économique et financier.
De même, pour nous, l’e-formation ne peut être acceptée que comme complément de la formation présentielle et non comme substitut.
Bilan de la formation 2015
L’intérêt d’un document toujours aussi dense, élaboré par les services du secrétariat général, est de le comparer avec ceux produits les années antérieures.
Nous avons donc repris le document qui a servi de base aux discussions lors du dernier groupe de travail, à savoir le bilan 2012.
Alors que dans une période où les réformes et les restructurations se sont développées dans toutes les directions et où l’adaptation aux nouvelles méthodes de travail n’a jamais été aussi importante, force est de constater que comme les autres postes budgétaires, la formation professionnelle a subi une érosion de 20 % de ses crédits, passant de 401 millions d’euros à 380 d’euros !
La part des crédits de personnel exerçant au titre de la fonction publique n’est plus que de 23 % en 2015, contre 31 % quatre ans plus tôt.
Quant aux dépenses pédagogiques, elles ne sont plus que de 49,6 % (52,5 en 2012).
Le taux d’accès à au moins une formation de perfectionnement au cours de l’année 2015 est de 66,4 %. Là encore, le différentiel avec 2012 est significatif puisque ce taux était de 74,2 %.
Les raisons sont multiples et bien identifiées : tensions dans les services en raison de la baisse des effectifs, pressions de la hiérarchie locale pour retarder ou annuler une demande de formation, éloignement du lieu de formation, jour inadaptée (mercredi par exemple).
Notre fédération est revenue sur le niveau de remboursement des frais liés à la formation, mais plus généralement aux frais de déplacement, qui ne couvrent plus, loin s’en faut, les frais réels engagés par les agents.
Plusieurs indicateurs démontrent une distorsion de traitement entre hommes et femmes.
Alors que 57 % de femmes exercent dans le ministère, leur part n’est que de 35 % dans les formations statutaires, 54 % pour les préparations aux concours et 51 % dans celles de perfectionnement. Pire, ces taux sont là encore en retrait par rapport à ceux de 2012. Pour notre organisation syndicale, il faudra plus qu’un plan d’action, comme celui de 2015, pour dynamiser une politique permettant de tendre vers une égalité professionnelle dans le domaine de la formation professionnelle.
Quant à la baisse importante d’agents inscrits aux préparations aux concours (-9 %), il faut la mettre en corrélation avec l’effondrement des promotions internes depuis 2012. Comment motiver un agent à préparer un concours ou un examen professionnel quand il sait que le nombre de promotions a été divisé par 6 en quatre ans ?
Enquête sur les exclus de la formation
Le secrétariat général a restitué les résultats de l’enquête 2013-2015 sur les exclus de la formation. Enquête triennale, l’intérêt est d’en constater les évolutions majeures et surtout les solutions apportées par l’administration pour en réduire le nombre.
Premier constat qui peut être rassurant, la dernière enquête montre un nombre particulièrement faible d’agents concernés (2 678, soit 1,8 % de l’effectif, rappel 2010-2012 : 4,3 %). Ce chiffre mérite pourtant d’être nuancé, le passé prouve qu’il suffit d’une participation à une formation « obligatoire » (type « lutte contre les discriminations ») pour ne plus être intégré dans le tableau des exclus. Une étude attentive de cette enquête apporte un constat beaucoup plus sombre. Un accroissement majeur de femmes exclues de la formation, tout particulièrement en catégorie C. Alors que les femmes sont 63 % dans cette dernière dans les directions de Bercy, elles représentent 77 % d’exclues de toute formation ces trois dernières années (+10 points par rapport à la précédente enquête). Cette inégalité se retrouve dans le déroulement de carrière comme l’a démontré voilà quelques années une étude menée sur l’ensemble d’une promotion d’agents entrés dans l’administration la même année en catégorie C. La sur-représentativité des femmes, 25 ans plus tard toujours dans le même corps de fonctionnaires, était édifiante, sans qu’aucune mesure ministérielle ne réponde à ce constat.
Les années passent, les enquêtes s’accumulent et, au-delà de beaux discours, le manque de réponses concrètes du ministère pour résoudre cette inacceptable inégalité est déplorable.
Mise en place du compte personnel de formation
Dans le prolongement de la loi sur le travail, le gouvernement impose aux fonctionnaires par ordonnance la création d’un compte personnel d’activité (CPA). Ce passage en force s’est traduit par l’absence de concertation au niveau du ministère de la Fonction publique.
Il ne peut avoir l’agrément de notre fédération, puisqu’il individualise les droits des salariés au détriment des garanties collectives. Le CPA est constitué d’un compte personnel de formation (CPF), qui remplace le droit individuel à la formation (DIF) et d’un compte d'engagement citoyen.
Le groupe de travail n’a abordé que le premier d’entre eux. Le DIF n’a jamais trouvé un grand écho auprès des agents du ministère. En 2015, à peine plus de 2 000 d’entre eux en ont profité. Il faut reconnaître que ses conditions d’utilisation n’ont pas été encouragées par les directions. Bien souvent, ces dernières ont eu une fâcheuse tendance à l’autoriser uniquement dans le seul intérêt du service et non de l’agent.
Notre fédération a régulièrement pointé ces insuffisances à travers des échanges avec ses différents interlocuteurs du ministère ces dernières années.
Le CPF pourra être utilisé :
- sur du temps de travail, mais également en dehors ;
- en articulation avec le congé de formation professionnelle et en complément des congés pour validation des acquis de l’expérience (VAE) et du bilan de compétences ;
- avec accord entre le fonctionnaire et sa hiérarchie, tout refus devra être motivé. Après deux refus, la commission administration paritaire devra être saisie ;
- à hauteur de 24h maximum par année de travail jusqu’à un maximum de 120h, puis de 12h jusqu’à un maximum de 150h, sauf conditions particulières.
La nouveauté de ce compte, c’est sa portabilité tout au long du parcours professionnel, que celui-ci soit dans le public et/ou dans le privé. Les droits inscrits dans le CPF demeurent acquis jusqu’à leur utilisation ou à la fermeture du compte. Si les directions mettent autant d’obstacles pour le CPF que pour la mise en œuvre du DIF, le même échec est à craindre...
L’apprentissage et le service civique
En septembre 2015, dans la précipitation, suite à une décision tardive du Président de la République, les directions ont accueilli 271 apprentis. Ce chiffre s’élève pour la rentrée 2016 à 312. Contrairement à un engagement pris au niveau ministériel, les apprentis sont repris dans les effectifs de chaque direction en tant qu’effectifs en temps permanent de travail (ETPT), dans le tableau présenté en annexe du projet de loi de finances. Par cet artifice budgétaire, le ministre essaie de minorer les suppressions d’emplois de titulaires à Bercy. Notre fédération dénonce cette présentation qui est une tromperie grossière auprès de la représentation nationale et loin de l’objectif initial de l’apprentissage. Ce dernier n’a pas pour but de combler la pénurie des effectifs dans les services, mais d’apporter une formation professionnelle à des jeunes encore dans un cursus scolaire.
Certaines directions, certes marginales, profitent de cet apport de main d’œuvre, pour l’accaparer à des missions d’agents titulaires, pour combler leur pénurie d’effectifs. Le service civique, instauré en phase d’expérimentation en 2015 dans trois départements à la DGFiP, a été étendu dans 60 DRFiP en 2016 pour 272 volontaires. Là encore, il peut advenir que ces recrues temporaires et non titulaires, soient employées à des missions dévolues normalement à des titulaires. Il en est ainsi de l’accueil au public et pas seulement pour diriger les usagers vers le service compétent.
Élaboration de la stratégie ministérielle de formation
Ce dernier point de l’ordre du jour n’a donné lieu à aucun document de travail en amont, ce qui démontre (si besoin était) le peu de volonté du ministre d’engager un véritable débat de fond sur le devenir de la formation professionnelle dans les directions de Bercy.
Ce n’est qu’en toute fin de réunion, qu’une esquisse de ce qui pourrait être « une stratégie ministérielle » a été brièvement développée. Des travaux entre le secrétariat général et les directions sont en cours, permettant « d’essayer de voir par type de formation (initiale ou perfectionnement) ce que la concertation ministérielle peut apporter au regard d’objectifs communs, sans être exhaustif sur l’ensemble de la formation d’une direction ».
Pour nous, ces travaux semblent dessiner une nouvelle étape de mutualisation dans le domaine de la formation professionnelle, comme le préconise certains rapports publiés il y a quelques années (Le Bris). Ce groupe de travail était demandé de longue date par notre organisation syndicale, considérant que la formation professionnelle est l'un des piliers fondamentaux dans le parcours de carrière des agents, d’autant plus dans cette période de réformes et de restructurations.
D’évidence, le secrétariat général a eu pour simple but de « cocher une case » sur l’agenda social comme preuve d’« un dialogue social constructif ». Avec un tel objectif, il est évident que le débat ne pouvait pas déboucher sur grand-chose permettant d’élever la formation professionnelle en enjeu majeur de la politique RH du ministère...