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Réforme de la formation : l’ombre d’un doute ?
2004-2009 les valses-hésitations face à la formation tout au long de la vie
- En 2004, les forces politiques et sociales unanimes ont décrété que la formation se ferait tout au long de la vie et que la stratégie de Lisbonne deviendrait notre fil conducteur pour les apprentissages professionnels (stratégie de Lisbonne).
- Le 4 mai 2004, une loi a instauré un dispositif révolutionnaire, le droit individuel à la formation (DIF). Le DIF était une créance éducative de 20 heures de formation annuelle, liée au contrat de travail et cumulable sur six années (jusqu'à 120 heures).
- Quelques semaines plus tard, le Conseil de la comptabilité a torpillé le DIF en décrétant que celui-ci ne serait pas provisionnable (la formation n'existant que si un accord était trouvé entre l'employeur et l'employé).
- En 2006, un rapport au vitriol de deux professeurs de fac (« la formation, un système à la dérive » de Cahuc et Zylberberg) a jugé que le DIF était inutile car seules des formations « longues, coûteuses et diplomantes » étaient supposées utiles aux salariés peu qualifiés.
- En 2007, la Cour des comptes a alerté sur le risque financier du DIF : 12 milliards d'euros pour une réalisation généralisée chaque année et 77 milliards de droits accumulés dès 2010.
- Fin 2008, la crise financière a provoqué une chute drastique de l'effort de formation des entreprises et a achevé d'entraîner le DIF (ce pari perdu sur l'intelligence) dans les limbes sociaux du pays.
- 2009, une seconde réforme a été votée, pour rien.
Soucieux de ne pas casser un système fragilisé par la crise et estimant que le problème social n° 1 du pays n'était pas là (mais dans notre système de retraite), les pouvoirs publics ont réformé à minima, en rendant le DIF portable (la crise de 2008 a entraîné le chômage de 1 million de travailleurs supplémentaires qui ont souvent perdu leur droit à la formation). Cette première tentative de flexisécurité à la française a échoué et le DIF a continué d'être utilisé dans quelques rares entreprises (6 % des salariés chaque année).
2013-2017 : des comptes et des compteurs en forme de leurres sociaux
CPF, CPA, CEC, CET, compte de pénibilité... En position délicate dès l'année 2013, le pouvoir politique a transformé la formation en un outil de communication politique et sociale.
Le compte personnel de formation (CPF) est né d'une « idée » du MEDEF : puisque le DIF n'avait pas (assez) fonctionné et qu'il représentait un risque social et financier croissant (1 milliard d'heures accumulées et 77 milliards de dépenses potentielles), il était opportun de le démanteler en reportant ce risque sur la collectivité (OPCA et Caisse des dépôts).
Le DIF (qui était une créance éducative liée au contrat de travail) a été transformé en un coûteux, complexe et vain compteur de formation (non financé et impossible à généraliser).
Le CPF colle désormais au social de notre paysSimple « réceptacle » qui oscille entre le compte de fidélité de supermarché et les miles des compagnies aériennes, il n'aura permis qu'à 1 % des salariés de de former de 2015 à 2017.
Le CPA, la « coquille vide » de l'année 2016
« J'ai voulu créer (ça va être la grande réforme du quinquennat) le capital de ceux qui travaillent » - François Hollande, avril 2016.
En 2016, le pouvoir politique, généreux en dispositifs sociaux, a inventé un nouveau compteur : le compte personnel d'activité (CPA). Ce CPA était censé regrouper différents comptes existants. Programmé pour 2017, pour chaque actif, il devait constituer la grande réforme sociale du quinquennat. Il est désormais totalement abandonné (aucune mention n'en est faite dans les 200 pages du texte de la loi sur la formation d'août 2018).
La nouvelle réforme tente de relancer le CPF en le monétisant (pour le « booster »).
Ce dispositif impensé, complexe et non financé (car non finançable) n'en finit pas de plomber les apprentissages professionnels mais il va changer d'unité en 2018, passant des heures aux euros de formation. ll continuera pourtant d'envoyer des signaux négatifs au corps social.
1) La formation professionnelle serait externalisée et externe à l'entreprise. Elle demeure une annexe de l'école qui devrait œuvrer à « boucher les trous de compétences » des salariés en poste ou au chômage.
2) Il serait pertinent d'attendre de chômer pour se former. La flexisécurité consisterait pour chaque salarié à se constituer (puis à gérer) sa petite cagnotte de formation (parfois pendant dix ans) qui le sécurisait afin que, le jour venu, il puisse apprendre ou se reconvertir.
3) L'État serait seul garant et juge suprême des compétences, à la fois garant de l'effectivité et de la qualité des actions de formation. Via une autorisation administrative de se former (le feu vert de l'OPCA ou désormais de la Caisse des dépôts), les salariés devraient quérir de nouveaux titres ou diplômes officiels qui garantiraient leur avenir professionnel (« loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel »).
Si, comme le concède désormais la Ministre du Travail, la réforme de 2018 mettra du temps à changer les mentalité des Français, il y a fort à parier que, dans quatre ou cinq ans, une nouvelle tentative sera relancée. Cet épisode IV de l'intermibale feuilleton sur la formation n'a pas fini de tenir les salariés en haleine (et à distance).