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04 / 05 / 2010 | 4 vues
Reixludwig Patricia Renée / Membre
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Reclassement des salariés à l'étranger : réforme ou tour de passe-passe ?

Il y a un an l'usine textile Carreman, qui employait 150 personnes à Castres, proposait à neuf de ses salariés un reclassement dans une autre usine du groupe à Bangalore, en Inde, avec un salaire de 69 euros par mois !

Le fabricant de pneumatiques Continental proposait quelques mois plus tard aux salariés de son usine de Clairoix, dans l'Oise, licenciés dans le cadre d'un plan social, des postes au sein du groupe en Tunisie à 137 euros par mois !

Ces affaires, qui ont soulevé l'indignation des syndicats et des salariés, ont fait la « une » des médias.

Les employeurs vivement critiqués se sont retranchés derrière le Code du Travail :

« Obligation légale », rétorque un responsable de la communication du groupe Continental. « Il y a une obligation de proposer tout poste disponible en interne correspondant aux compétences des salariés et pour lesquels la langue n'est pas une barrière ». Il faisait référence à la jurisprudence concernant Olympia, le fabricant de chaussettes, condamné à verser 2,5 millions d'euros d'indemnités à d'anciens salariés pour ne pas leur avoir proposé un reclassement en Roumanie. « Nous sommes pris entre le marteau et l'enclume », a dénoncé ce responsable, espérant une évolution prochaine du Code du Travail. Selon lui, l'entreprise s'expose soit à des poursuites devant les tribunaux si elle ne propose pas ces postes, soit à l'indignation du grand public si elle fait ces propositions jugées indécentes.

En effet, selon les textes en vigueur et en l'absence de toute disposition conventionnelle  ou contractuelle, l'employeur n'a aucune obligation de maintenir le salaire des salariés reclassés à l'étranger.

Projet de loi

Émus par l'indignation générale, nos députés concoctaient dans la précipitation un projet de loi « visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement ».

Un projet flou et sans aucune garantie concrète, notamment en matière salariale pour les employés, a été adopté le 30 juin 2009 (TA n° 307) par l'Assemblée nationale et transmis au Sénat.

vanlerenberghe_jean_marie01034p.jpgM. Jean-Marie Vanlerenbergue, vice-président de la commission des affaires sociales du Sénat vient de déposer, fin avril 2010, son rapport sur le projet et de proposer un amendement qui vise notamment à donner des garanties salariales tangibles aux salariés touchés par une mesure de reclassement à l'étranger.

  • En effet, selon cet  amendement le reclassement du salarié s'effectue sur « un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord express du salarié, il s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure, dont la rémunération est au moins égale au SMIC ».

Réunie le mardi 27 avril 2010, sous la présidence de Muguette Dini, la commission sociale du Sénat vient d'adopter en l'état la proposition de loi et de rejeter l'amendement proposé par M. Jean-Marie Vanlerenbergue.

Le texte doit faire l'objet d'une seconde lecture à l'Assemblée nationale.

Il est plus que probable que nos sénateurs, conscients des dangers et des insuffisances du projet de loi, n'y apporteront aucun changement.

  • Lors de la séance du 27 avril, M. Jean-Marie Vanlerenbergue, a déclaré : « Je vous indique que le gouvernement préfèrerait que nous ne touchions pas au texte actuel. Il s'agit d'un arbitrage entre l'urgence et le règlement au fond du problème. Vaut-il mieux adopter un texte rapidement, quitte à ce qu'il ne s'applique pas bien, ou construire un dispositif opérationnel et sécurisé, quitte à retarder sa mise en oeuvre de quelques mois ? »
Que prévoit le texte voté par les Députés ?
  • Lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur a l'obligation de demander au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation.
  • Le salarié a un délai de 6 jours ouvrables pour donner son accord de principe et doit faire part, s'il le souhaite, des restrictions notamment quant au salaire et aux postes proposés.
  • L'employeur n'adressera des propositions de reclassement qu'aux salariés ayant manifesté leur intention d'en recevoir et en fonction des restrictions émises par les salariés.
  • De ce fait, l'obligation de reclassement incombant à l'employeur ne porte plus que sur les offres à l'étranger compatibles avec les restrictions apportées par le salarié, alors qu'auparavant, l'employeur avait une obligation de proposer des reclassements à tous les salariés menacés par une mesure de licenciement.
  • Selon le nouveau texte, l'employeur doit également faire des propositions de reclassement « assorties d'une rémunération équivalente » à celle perçue par les salariés.

Première analyse : du contentieux en perspective

À première vue, nous pouvons penser que les propositions jugées « indignes » font partie du passé.

Mais après une lecture attentive du projet, force est de constater que ce projet est flou, qu'il ne change rien pour les salariés et ne manquera pas de générer des contentieux.

Une première analyse de la proposition de loi révèle plusieurs difficultés :

  • Le contenu de la demande que l'employeur doit adresser au salarié est imprécis et les restrictions que le salarié peut apporter aux offres de reclassement à l'étranger qu'il souhaite recevoir ne sont pas limitées. L'employeur doit simplement demander aux salariés s'ils souhaitent être reclassés à l'étranger et s'ils émettent des restrictions.

Le caractère pour le moins imprécis du courrier qui doit être envoyé aux salariés pourrait notamment permettre à certains employeurs de se dédouaner facilement de leur obligation de reclassement, en orientant le questionnaire de manière à limiter, voire à supprimer, les réponses positives des salariés.

  • Créer un questionnaire type pourrait contourner cette difficulté mais le législateur n'a pas adopté cette solution.

Le salarié, lui, peut mentionner toutes sortes de restrictions, y compris les plus difficiles à interpréter juridiquement. Dans ces conditions, l'employeur risque fort de se retrouver  dans une situation délicate.

En effet, comment pourra-t-il interpréter la réponse d'un salarié qui souhaite par exemple être reclassé sur un emploi « moins pénible »  ou avec un salaire qui lui permette de garder le même niveau de vie qu'en France ?

L'imprécision du projet adopté par l'Assemblée nationale pourrait donc aboutir à ce que la loyauté de l'employeur dans l'exécution de son obligation de reclassement soit facilement, et donc systématiquement, contestée devant un juge, ce qui aboutirait à l'effet inverse de celui souhaité par le législateur.

  • Les oublis et les erreurs de l'employeur seront lourdes de conséquences, car tout salarié qui ne recevra aucune proposition alors qu'il a accepté le principe de  recevoir des offres sera fondé, comme aujourd'hui, à réclamer des dommages et intérêts.

L'employeur devra également faire une bonne lecture des restrictions émises par le salarié, car s'il lui fait parvenir des propositions qui vont à l'encontre des restrictions émises par les intéressés, il risque fort de créer des mécontentements et d'aggraver le climat social généralement déjà tendu, pendant les procédures de licenciement collectif.

Si le salarié émet des restrictions vagues et imprécises, par exemple « je refuse tout poste ne me permettant pas de maintenir mon niveau de vie », l'employeur risque également de s'exposer à des dommages et intérêts s'il ne fait pas de proposition, alors que le salarié estime que les postes pouvaient lui convenir.

Les problèmes risquent d'être multiples et les contentieux en proportion.

Enfin, un détail technique mais qui reste de poids : la Cour de Cassation, dans un arrêt du 4 mars 2009, a estimé, dans un attendu de principe, que l'employeur « ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimées à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète ».

La proposition de loi ne modifie pas substantiellement la rédaction de l'article L. 1233-4 du Code du Travail. Elle ajoute le questionnaire dans un nouvel article L. 1233-4-1.

Ainsi, la Cour de Cassation pourrait considérer que le législateur n'a pas modifié l'article dont découle l'attendu de principe, et que celui-ci reste valable. Cela obligerait les entreprises à continuer de devoir faire parvenir l'ensemble des offres concrètes au salarié, quels que soient les souhaits formulés à l'occasion des réponses au questionnaire, ce qui priverait la loi de son effet utile.

  • Enfin, l'employeur a l'obligation de proposer un salaire équivalent. Mais équivalent ne veut pas dire identique, les débats à la commission sociale étant clairs sur ce sujet.

Quelques interventions des membres de la commission sociale, dont celle du rapporteur

« La référence au concept d’ordre public social français en matière de rémunération correspond au salaire minimum de croissance. Or, les cadres et les salariés qualifiés perçoivent une rémunération supérieure et la garantie du SMIC ne leur suffirait pas. Je souhaite que seule l’obligation de proposer un reclassement sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente soit inscrite dans le droit du travail ».

« Le fait d’adresser une lettre recommandée aux salariés, puisqu’en pratique cela se passera ainsi, est une contrainte minime. Dans l’autre sens, l’amendement vise à instaurer une règle simple et claire qui évitera en conséquence le maximum de contentieux.

Une entreprise possédant des établissements en France, en Espagne, en Belgique, en Roumanie, en Inde ou encore au Brésil, fera au salarié des propositions en fonction des conditions de rémunérations qu’elles pensent pouvoir légitimement offrir dans chacun de ces pays ; toutefois, comme le salarié aura indiqué à l’avance ses conditions de salaire, si l’entreprise ne peut pas offrir une rémunération égale ou supérieure à celle demandée, elle ne sera pas obligée de faire une proposition. En définitive, le salarié ne risquera plus de recevoir une proposition indécente et l’employeur ne sera plus dans une situation de doute.

J’ajoute, connaissant le peu de goût pour la mobilité de nos concitoyens, que cette disposition concernera peu de salariés.

Enfin, si nous n’adoptions pas cet amendement, nous laisserions dans le texte la référence au concept d’ordre public social français, juridiquement incertaine et source de contentieux.

La première partie de l’article unique de la proposition de loi précise que les offres de reclassement devront assurer aux salariés une rémunération équivalente à celle qu’ils percevaient dans leur précédent emploi. Cette mention était étrangement absente de l’article L. 1233-4, qui se contentait d’assurer aux salariés concernés un reclassement portant « sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe, ou sur un emploi équivalent ».

Désormais, le juge pourra, si ce texte est adopté, sanctionner les offres de reclassement assorties d’une rémunération non équivalente, et plus particulièrement celles qui sont humiliantes pour le salarié, ce qui permettra d’éviter les nombreuses dérives dont nous avons été témoins ».

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Tour de passe-passe

Cette proposition de loi  ressemble fort à un mauvais tour de passe-passe.

Non seulement elle ne permet pas d'éliminer les propositions de reclassement sur des postes assortis de salaires aussi peu élevés que ceux qui ont soulevé l'indignation des uns et des autres, mais elle ajoute une complexité de procédure qui risque fort d'être une boîte à contentieux !

Ce projet de loi, déposé en réaction à des affaires médiatisées, est une sorte de pommade qui a pour objectif de ménager la susceptibilité des salariés, de rassurer les employeurs et de ménager le public (futur électeur en 2012) !

Il appartiendra encore une fois aux tribunaux, si le  projet reste inchangé, de définir ce qu'est une rémunération équivalente.

Ce point sera particulièrement délicat dans les pays émergents ayant des salaires très inférieurs à ceux que nous pratiquons en France.

Pour aller plus loin :

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