Projet Bromo : Pour une industrie spatiale française souveraine et pérenne
Dans l’espace, personne ne vous entend crier. Surtout si vous n’avez plus la capacité à y installer des satellites pour communiquer. C’est bel et bien ce qui risque d’arriver à la France et à l’Europe spatiales si elles ne repensent pas leur stratégie au plus vite. Et à l’heure où les tensions géopolitiques redessinent l’équilibre des puissances, c’est bien cette dernière qui complète les conditions d'accès à la souveraineté. La supériorité technologique et stratégique ne peut reposer que sur l’ensemble de la chaîne du spatial, du lanceur aux satellites à applications civiles ou militaires et leurs infrastructures terrestres.
Mais aujourd’hui, les règles du jeu ont changé, dans un contexte international où des acteurs privés comme SpaceX les redéfinissent à leur profit en multipliant les constellations de satellites et en innovant, le tout avec l’aide appuyée du gouvernement des Etats-Unis. Le satellite du 21ᵉ siècle doit désormais s’inscrire dans la maîtrise de la chaîne globale comprenant infrastructures terrestres, réseaux de télécommunications et services numériques. Cette vision, nous l’avions déjà clairement exprimée dans deux Livres Blancs sur l’industrie spatiale, en 2015 et 2019. Nous y mettions en exergue la nécessité d’évoluer pour répondre aux nouveaux défis géostratégiques et technologiques. Enfin, face aux enjeux climatiques et de durabilité, de nouvelles exigences en termes d’observation de la terre nécessiteront une continuité dans le développement de notre gamme de produits.
L’avenir de l’industrie spatiale ne peut se réduire à une logique de court terme et de recherche de rentabilité immédiate. Il ne peut aussi s’écrire qu’en respectant deux impératifs majeurs : garantir une exploitation souveraine de l’espace et préserver le savoir-faire des sites industriels français. Face à l’ascension fulgurante de SpaceX et à sa constellation Starlink, l’Europe se doit d’affirmer son indépendance. Le programme de constellation IRIS2 est un premier élément de réponse mais il est nécessaire d’aller plus loin encore. Le projet Bromo peut ici offrir une réponse européenne robuste, en permettant un rapprochement entre Leonardo, Thales et Airbus, afin de combiner les compétences et les actifs de chaque partenaire. Ce projet symbolise l’ambition de redéfinir le modèle spatial européen en s’appuyant sur la coopération entre industriels historiques, sans recourir à des fusions susceptibles de fragiliser l’existant.
Projet Bromo : la chance européenne de contrer SpaceX ?
Dans le cadre de la « mission flash sur les satellites : applications militaires et stratégies industrielles » de l’Assemblée nationale, nous avons rencontré les députés Corinne Vignon et Arnaud Saint-Denis.
Au cours de cet échange, les représentants syndicaux FO d’Airbus Defence & Space et de Thalès-Alenia Space ont porté la voix des salariés, soulignant les risques d’un délitement de l’esprit de coopération européenne et les conséquences en termes d’emploi et de compétences, notamment face aux rivalités entre grands groupes français et européens.
Le nier serait suicidaire : il est crucial de repenser le modèle économique du spatial en intégrant tous les acteurs, y compris ceux du New Space, afin de garantir une stratégie industrielle globale, cohérente et résolument européenne. Aussi, il y a de quoi s’étrangler lorsque l’on sait qu’il sera fait appel à des conseillers financiers étrangers, notamment américains, pour piloter des projets aussi stratégiques que le projet Bromo !
Au regard de ce contexte, il est une autre évidence : préserver la souveraineté européenne et l’excellence française dans le domaine spatial ne peut être assuré qu’avec l’implication forte et durable de l’État. Il doit renforcer son rôle en tant qu’actionnaire stratégique à long terme, pour éviter que la logique financière à court terme ne détruise emplois et compétences.
Cela doit aller de pair avec une gouvernance adaptée pour accompagner les investissements en R&D, soutenir l’innovation et la création de technologies de pointe. Il faudra bien sûr définir des règles communes aux majors (ADS & TAS) et aux acteurs du New Space pour éviter les compétitions déloyales et obtenir le meilleur de notre écosystème.
L’industrialisation par les Majors des innovations du New Space permettrait de bénéficier de l’agilité de ce modèle, du savoir-faire, des compétences et des moyens des grands groupes, tout en répartissant l’argent public de manière efficace et efficiente. Tout cela n’est possible que si la filière satellite est reconnue en tant que telle, afin de valoriser l’ensemble de sa chaîne de valeur et de répondre aux besoins d’une Europe autonome.
Une place dans le ciel mondial
Le secteur spatial doit rester un vecteur d’émancipation technologique et un gage de souveraineté pour notre pays. En adoptant une politique industrielle ambitieuse qui intègre des projets structurants comme Bromo et en privilégiant une gouvernance européenne indépendante de toute influence étrangère, la France pourra préserver son patrimoine industriel et asseoir sa place sur la scène mondiale.
C’est aussi en s’appuyant sur les partenaires sociaux et les salariés du secteur qu’il sera possible de défendre ces valeurs et de promouvoir une industrie spatiale qui serve l’intérêt collectif et la sécurité stratégique de notre nation.