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« Ne faudrait-il pas substituer les 15 % de taxe sur les couvertures de santé par 0,5 % de CSG qui s’appliquerait alors à tous les revenus ? » - Éric Chenut, FNMF
Alors que les réflexions de toutes sortes sont menées sur notre système de santé et sur la place et le rôle des organismes complémentaires de santé, le nouveau président de la Mutualité Française, Éric Chenut nous a livré ses pensées.
À la demande du Ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, le HCCAM travaille actuellement sur un nouveau rôle pour les complémentaires de santé, et a notamment instruit un scénario dit de « grande sécu ». En tant que président de la Mutualité Française, qu’en pensez-vous ?
Je m’interroge. Le débat qui s’est déroulé ces dernières semaines n’est-il pas un écran de fumée pour masquer les vraies questions ? En effet, quand on lit attentivement la loi de financement de la Sécurité sociale votée par le Parlement, on ne peut être que très surpris du niveau de déficit de l’Assurance-maladie obligatoire, notoirement sous-financée pour faire face aux besoins. Alors que le niveau d’emploi retrouve son niveau d’avant crise sanitaire et que le PIB va remonter au niveau de 2019 l'an prochain, le déficit de l’AMO reste abyssal. Pire, dans les annexes du PLFSS le niveau de déficit restera structurellement au-dessus de 15 milliards d’euros au-delà de 2023. Cela devrait mériter un large débat dans l’opinion et dans les médias. Quels moyens devons-nous collectivement nous donner pour faire face aux besoins en santé pour notre pays ?
Aujourd'hui, la Sécu n’a plus les moyens de sa promesse originelle : chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Avant de s’interroger sur une modification du périmètre de l’Assurance-maladie, encore faudrait-il déjà lui donner les moyens nécessaires à sa mission. Une partie des difficultés que nous constatons en matière d’accès effectif aux soins et de problèmes de démographie médicale provient de ce manque de ressources pour l’Assurance-maladie.
Lorsque je me déplace à travers le territoire et que j'y rencontre des assurés sociaux, des patients ou des professionnels de santé, ceux-ci me parlent avant tout des déserts médicaux qui s’étendent et touchent plus de 7 millions de personnes aujourd’hui. Ce que beaucoup de nos concitoyens pointent, ce sont les délais pour accéder à certaines spécialités qui ne cessent de se rallonger. Comment garantir l’accès effectif aux soins ? Comment faire reculer les inégalités territoriales, économiques, sociales et numériques dans l’accès aux soins ?
Pour autant, beaucoup de gens rencontrent des difficultés pour s'acquitter de la cotisation de leur mutuelle. Pourquoi celle-ci augmente-elle chaque année ?
Aujourd’hui, grâce à la sécurité sociale et aux mutuelles, nous avons le reste à charge moyen par personne le plus bas d’Europe. Notre système mixte permet au plus grand nombre de pouvoir se soigner indépendamment de la capacité contributive par une large socialisation, assurée par l’Assurance-maladie et une mutualisation des complémentaires.
Il est cependant vrai que les coûts en santé augmentent chaque année. En vingt ans, les dépenses de santé dans notre pays ont presque doublé, passant de 110 à 208 milliards d'euros, soit une croissance de +3,3 % par an en moyenne (plus rapide que celle de la richesse nationale). L’effort collectif et individuel est plus important car on se soigne plus et mieux. Cette augmentation est liée à un triple effet : le vieillissement de la population, l’explosion du nombre de gens atteints de pathologies chroniques et aux progrès médicaux (techniques et thérapeutiques). Il est illusoire de faire croire aux gens que cela peut se faire à coûts constants. Les cotisations sociales et les cotisations des complémentaires augmentent.
Nous sommes d’ailleurs très soucieux de n’augmenter ces cotisations que de ce qui est strictement nécessaire pour équilibrer les comptes. Nous n’avons d’ailleurs pas le droit de gérer les mutuelles en déficit. Nous ne pouvons pas reporter les dépenses de santé d’aujourd’hui sur les générations futures par le recours à la dette. Ce serait d’ailleurs injuste et irresponsable car nous savons que les dépenses ne vont cesser de progresser.
Les dirigeants des mutuelles étant des représentants élus par les adhérents, ils sont attentifs au pouvoir d’achat de ceux-ci et n’acceptent que les augmentations indispensables. Par ailleurs, la concurrence entre complémentaires est telle qu’un opérateur qui augmenterait trop ses cotisations verraient ses adhérents le quitter pour un autre acteur.
Est-ce à dire qu’il ne faut rien changer que tout est parfait aujourd’hui ?
Non, nous ne sommes pas favorables au statu quo. Nous disons nous-mêmes que, compte tenu des insuffisances du système de santé, il est nécessaire de travailler en associant toutes les parties prenantes pour faire des propositions et lancer des expérimentations apportant des réponses concrètes en proximité à l'échelle locale.
Globalement, les solidarités au sein de l’ensemble de la société ont été percutées par les couvertures collectives mises en œuvre pour les salariés. Tout en confortant cette avancée pour eux, il faut repenser les solidarités, inter-générationnelles notamment.
Le niveau de fiscalité actuellement appliqué aux couvertures de santé doit être remis en question car les taux n’ont cessé d’augmenter, renforçant encore les effets de l’augmentation des dépenses de santé. On est passé d’un taux de 1,75 % en 2000 à plus de 15 % aujourd’hui : est-ce normal ? Cette assiette fiscale est-elle juste ? Plus quelqu'un paye de cotisations, plus il paye de taxes. Ne faudrait-il pas substituer les 15 % de taxe sur les couvertures de santé par 0,5 % de CSG qui s’appliquerait alors à tous les revenus ? Cela ne serait-il pas préférable ?
Certains pays européens ne taxent pas du tout les couvertures de santé et les pays qui y appliquent une fiscalité ne le font qu’à la hauteur des biens et services essentiels. Il est donc totalement singulier que, dans notre pays, la santé soit trois fois plus taxée que le hamburger.
Par ailleurs, la question des déserts médicaux et de la raréfaction du temps médical me semble être une question bien plus urgente que la répartition des flux de financement entre Sécu et complémentaires dans le quotidien des Français.
Qu’en est-il des frais de gestion dont vous ne parlez pas et qui sont mis à l’index dans ce débat ?
De quels coûts de gestion parle-t-on ? Ceux-ci sont de trois natures différentes : les coûts d’acquisition, les coûts de gestion administrative et les coûts liés aux services aux adhérents. Ces derniers créent de la valeur et du service pour les adhérents (par exemple, les actions de prévention) mais sont réglementairement classés en coûts de gestion. Nos entreprises les interrogent régulièrement et des efforts doivent être faits pour les réduire.
Par ailleurs, l’essentiel de ces coûts représentent des emplois en France. Vouloir les supprimer aura une incidence sociale. Enfin, les coûts d’achats publicitaires sont très bas pour les complémentaires de santé, contrairement aux intox que je peux lire ici ou là.
Que souhaiteriez-vous, puisque vous ne pensez pas que le statu quo soit souhaitable ?
Au-delà de la fausse promesse d’une « grande Sécu » qui pourrait renforcer les inégalités et qui ne règle en rien les difficultés constatées, le HCAAM instruit trois autres scenarii. Le premier est un scénario de statu quo. Il a le moins d'effets par rapport à celui existant mais il nous semble insuffisant à date car il ne permet pas de dégager les moyens nécessaires pour que l’Assurance-maladie puisse avoir les moyens de tenir sa promesse.
Le deuxième scénario aboutit à un encadrement total des complémentaires devenues obligatoires. Il a l’inconvénient de ne pas laisser de marge de manœuvre aux mutuelles. Or, c’est grâce à l’innovation que nous avons apportée que le tiers-payant s’est développé, que la téléconsultation a pu être mise en place malgré, à l’époque, les blocages de l’AMO. Ce sont encore, par exemple, les mutuelles qui développent des prises en charge actuellement en matière de sport et santé.
Pour finir, le dernier scénario aboutirait à un décroisement, certaines dépenses étant totalement prises en charge par l’Assurance-maladie obligatoire et d’autres par les complémentaires, avec un payeur unique pour chaque acte ; simplification et efficacité apparentes mais libéralisation du marché accentuée.
À date et à l’aune des hypothèses connues dans le pré-rapport du HCAAM, aucun des quatre scenarii ne semble correspondre aux enjeux et aux besoins ni garantir des ressources suffisantes à la Sécurité sociale pour assurer ses missions actuelles et futures.
Il est nécessaire de réinscrire les protections sociales sur le temps long. On ne peut raisonner les sécurités sociales à l’aune d’une loi de financement de la Sécu, ni même à l’échelle d’une législature. Si des adaptations profondes doivent être engagées et compte tenu des transitions multiples auxquelles notre société doit faire face, il paraît indispensable de nous accorder sur un nouveau compromis. Mais si nous voulons réussir, il faut une méthode et du temps pour nous accorder sur ce que nous voulons protéger et accompagner, en associant toutes les parties prenantes. Une fois cela défini, nous pourrons alors déterminer la manière de répartir l’effort en fonction des ressources que nous consentons collectivement d’y allouer.
Notre société doit affronter une transition écologique, qui va affecter les modes de production et de consommation auxquels certains flux de financement de la protection sociale sont assujettis, au-delà des conséquences environnementales de la santé ; nous devons les anticiper.
Nous sommes confrontés à une transition démographique : quatre générations (bientôt cinq) cohabitent. Cela a des conséquences importantes quant à la répartition des richesses et à la transmission des patrimoines ; cela engendre des dépenses en santé et davantage d’accompagnements sociaux. Nous avons intérêt à soutenir les aidants si nous ne voulons pas devoir assumer des dépenses sociales insoutenables. Tout ne pourra relever de la financiarisation des protections sociales.
Nous sommes par ailleurs engagés dans une transition numérique qui touche tous les compartiments de nos vies, notamment la santé, dans l’organisation, le recours aux données et l’intelligence artificielle. Ces évolutions doivent être accompagnées pour se traduire en progrès partagés et utiles à tous, afin de permettre une meilleure personnalisation de la prévention et des accompagnements. Nous devons en revanche refuser l’individualisation du risque qui serait mortifère pour les solidarités et la cohésion sociale.
C’est pourquoi j’en appelle à repenser les protections sociales durables dont nous avons besoin, afin de réinscrire ces protections dans la confiance en réinterrogeant leur périmètre (santé, prévoyance, retraite, dépendance et prévention), en réintroduisant leur financement sur le temps long et en rendant les assurés sociaux acteurs.
- Protection sociale parrainé par MNH