L’écologie n’est pas une punition
S’il y a bien un débat qui échappe à toute rationalité en France, c’est celui qui concerne l’écologie.
Bien sûr, la plupart des débats dans notre pays sont difficiles à mener en raison de leur polarisation permanente : retraites, immigration, institutions… Nos dirigeants politiques, mais aussi la majorité des « commentateurs » se renvoient des anathèmes ou des fins de non-recevoir, chacun étant persuadé de mieux savoir que son contradicteur « ce que pensent les Français ».
Pas plus tard qu’en novembre, comme pour paraphraser cette règle médiatique intangible, un responsable politique plein d’ambitions s’est fendu d’un nouveau livre, opportunément intitulé : « Ce que veulent les Français ». Et comme par hasard, les « Français » (en tout cas ceux qu’il a soigneusement choisis) sont d’accord avec lui et lui avec eux.
Mais qui se soucie encore de ce que pensent ceux qui ne sont pas dans l’anathème, qui sont les plus nombreux, et pour qui l’évidence scientifique s’impose ?
Écologie et majorité silencieuse
Le débat sur l’écologie est sans doute celui qui tient le moins compte de cette « majorité silencieuse ». Sans doute parce que c’est celui qui véhicule le plus de caricatures. Ainsi, il y aurait d’un côté les « écolos bobos » qui circulent en vélo cargo et achètent des légumes bio pour l’équivalent d’un demi-SMIC, et de l’autre les « vraies gens » qui n’en peuvent plus qu’on saccage leurs territoires avec des éoliennes et à qui on empêcherait de prendre leur voiture pour aller travailler. Écologie des nantis versus écologie punitive.
Cette vision du monde binaire n’est pas seulement caricaturale : elle est fausse et contre-productive. Les « Français », à condition qu’on les écoute au lieu d’interpréter ce qu’ils pensent en fonction de ses propres préjugés, ne sont pas davantage des anti-écolos primaires que des hommes-soja qui se nourrissent de graines en crevant les pneus des SUV. Et si un certain nombre d’entreprises ou de responsables politiques surfent sur un supposé « backlash écologique », en se réjouissant de la mise en sommeil des ZTL, ZAN et autres CSRD, c’est qu’ils prennent leurs désirs pour des réalités. Certes, dans la liste des priorités, l’écologie arrive assez loin derrière le pouvoir d’achat et la sécurité.
Mais ce serait un contresens de dire que les Français se désintéressent du sort de leur avenir sur la planète : ce sont des individus conscients des enjeux, qui veulent tout simplement qu’on évite de leur imposer des choix ou des comportements qui ne tiennent pas compte de la cohésion sociale.
En effet, 68% d’entre eux considèrent « l’écologie comme une priorité ». Seuls 6% la voient comme une « contrainte à laquelle ils n’adhèrent pas. De même, « adopter un mode de vie plus écolo pourrait rendre la vie plus joyeuse et plus épanouissante » pour 49% de nos compatriotes, contre seulement 37% qui y voient un « renoncement à leur style de vie ». Avouez qu’on a déjà vu pire comme punition.
Si les Français sont beaucoup plus écolos qu’il ne votent écolo, ils savent surtout activer d’autres leviers dans leur vie quotidienne, notamment avec le sens qu’ils donnent à leur argent. L’écologie est entrée dans les mœurs et dans les portefeuilles. Parmi les 59% de Français qui déclarent avoir « fait évoluer les habitudes d’achat en raison des enjeux écologiques », 34% estiment que cela a eu un « impact positif sur leur plaisir à consommer », 50% que ça n’a « pas eu d’impact », et seuls 9% que ça a eu un impact négatif ». Autrement dit, sans que cela soit massif, il n’y a aucun décrochage, dans l’opinion, entre plaisir et responsabilité. C’est une bonne nouvelle.
Pragmatiques et responsables
En revanche, et c’est là que nous pouvons rattacher l’enjeu écologique à celui du pouvoir d’achat, on observe une véritable préoccupation pour le coût de la bascule vers des comportements de consommation vertueux. Pour les Français – comment ne pas souscrire à cette assertion, « consommer responsable » est jugé « difficile » (à 47%), et surtout « cher » (à 87%). C’est en ce sens qu’il faut concevoir une « écologie populaire » qui se conçoive et se décide en associant les consommateurs et les citoyens.
Une fois de plus, on a tendance à idéologiser ce que « pensent les Français », au lieu de les considérer comme des individus pragmatiques et collectivement responsables. Quiconque a vu le trait de côte reculer, subi une sécheresse, une inondation, ou une canicule, sait bien que l’enjeu environnemental est crucial.
Qu’on accentue le backlash écologique par démagogie ou qu’on en tire profit par appât du gain, les Français restent droit dans leurs bottes : comme sur tous les autres sujets, lucides, ils veulent bien faire des efforts, mais ils veulent en être des acteurs responsables.
Nous, acteurs économiques, devons avoir conscience de cet axiome, finalement indémodable : fin du monde, fin du mois, la réconciliation est possible et indispensable.
Réflexions déjà publiée dans La Tribune ces dernières semaines