Organisations
L’échec d’une négociation multidimensionnelle sur le travail
La négociation sur le Pacte de la vie au travail présentait un triple intérêt. En premier lieu, elle constituait la première négociation interprofessionnelle multidimensionnelle depuis celle sur la modernisation du marché du travail en 2008.
En deuxième lieu, alors que depuis 1968 et surtout 1974, les négociations interprofessionnelles étaient dominées par la question de l’emploi, celle-ci portait explicitement sur le travail.
Enfin, alors que l’accord sur la modernisation du paritarisme de 2013 pérennisait la procédure de l’agenda social autonome, les organisations patronales et syndicales se trouvaient une nouvelle fois contraintes de réagir à une initiative de l’État.
La négociation s’est conclue par un échec.
Son interprétation suppose la prise en compte de ces trois aspects étroitement imbriqués.
Jacques Frayssinet , chercheur associé à l’Ires (1) livre son analyse et ses réflexions sur le sujet dans une récente note d' "Eclairages".(2) Pour lui, l’histoire des tentatives de négociations multidimensionnelles permet d’éclairer les potentialités et les difficultés de la négociation ouverte en 2024 sur le « Pacte de la vie au travail ». La complexité du processus et la nouveauté du thème contribuent à expliquer l’échec final ...qui sera lourd de conséquences.
Au-delà de l'analyse, Jacques Frayssinet considère que nombre d'enseignements sont à en tirer:
Ce n’est pas à leur initiative, mais à celle des pouvoirs publics, que les organisations patronales et syndicales ont été amenées à s’engager dans une nouvelle expérience de négociation multidimensionnelle.
- En premier lieu, la négociation a bien été, dans une certaine mesure, multidimensionnelle. Elle a traité des entretiens professionnels, des trajectoires d’évolution ou de reconversion professionnelle, de la prévention de l’usure et de la désinsertion professionnelle, de l’emploi des seniors, de l’aménagement des fins de carrière…
Dans ces domaines, les points de conflit ont renouvelé un affrontement traditionnel depuis 1984 : au nom de l’emploi, le patronat réclame différentes formes de flexibilisation des contrats de travail et d’abaissement du coût du travail (3) .
En revanche, il s’oppose à toute création de droit nouveau pour les salariés et salariées. Sous cet aspect, l’échec illustre un contexte dans lequel il n’est pas possible de construire un échange de contreparties qui soit acceptable pour les syndicats alors qu’il s’agit d’une condition de réussite de toute négociation multidimensionnelle.
- En second lieu, l’innovation majeure était l’ouverture d’une négociation qui, selon son intitulé, était consacrée à la vie au travail.
La question a été d’entrée écartée par la stratégie patronale centrée sur l’augmentation des taux d’emploi. Si les questions du travail sont abondamment évoquées dans le texte du projet final, elles ne font l’objet d’aucune disposition contraignante qui lui donnerait le caractère d’un accord de contenu.
La seule contrepartie dans le domaine du travail introduite in fine par la délégation patronale porte sur une obligation de négocier dans l’entreprise limitée aux seniors et excluant les PME.
Une note très intéressante à lire et faire lire !
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(1) L’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) est une association au service des organisations syndicales représentatives des travailleurs créée en 1982.
Pour en savoir plus: https://ires.fr/
(2) La note complète : https://ires.fr/wp-content/uploads/2024/04/Eclairages_29.pdf
(3) La position est réaffirmée sans ambiguïté dans le communiqué commun Medef-CPME après l’échec de la négociation : « Nous restons fidèles à la ligne pragmatique qui a été la nôtre tout au long de la négociation, avec pour seuls objectifs la compétitivité des entreprises et l’emploi. »